L'iFLA à Copenhague

Martine Poulain

Le 63e Congrès de l’IFLA (Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques) se tenait cette année du 31 août au 5 septembre à Copenhague. Congrès historique pour la France puisque pour la première fois depuis la création de l’IFLA en 1927, une Française en est devenue la présidente. Christine Deschamps a en effet été brillamment élue, loin devant son challenger, Marianne Scott, directeur de la Bibliothèque nationale du Canada. Christine Deschamps avait mené une campagne exemplaire, s’étant ainsi assurée du soutien d’un très grand nombre de pays et de représentants. Souhaitons-lui un plein succès dans cette entreprise, qui ne manque pas de dossiers brûlants.

Ce congrès est aussi l’occasion, pour le Bulletin des bibliothèques de France, d’offrir à ses lecteurs, d’après les communications présentées lors de la Conférence, un panorama du réseau de bibliothèques de ce pays, qui fait rêver tous les bibliothécaires français depuis plusieurs générations.

Le réseau danois

Jørgen Svane-Mikkelsen a publié, à l’occasion de ce Congrès, un précieux petit ouvrage 1 qui présente les principales lignes de force de ce système, au cœur de la politique culturelle et éducative de ce petit pays, qui compte 5,3 millions d’habitants.

Le modèle de la lecture publique à l’anglo-saxonne a été introduit au Danemark par un éducateur, Andreas Schack Steenberg. Dans les années 20-30 de ce siècle, les bibliothèques publiques se répandent largement. En 1964, une loi les rend obligatoires. Toute collectivité territoriale est, depuis cette date, obligée, seule ou en coopération avec d’autres, d’offrir un réseau de bibliothèques publiques. La dernière loi organisant le réseau date de 1993. Le Danemark compte 250 bibliothèques, qui se déploient sur 843 bâtiments et 57 bibliobus. Le personnel des bibliothèques publiques s’élève à 5 100 personnes, dont 44 % sont des professionnels. Les bibliothèques sont aujourd’hui sous la responsabilité financière exclusive des municipalités ; 400 couronnes (environ 360 FF) sont dépensées en moyenne par an et par habitant à cette fin. Le gouvernement a longtemps contribué au financement des bibliothèques publiques, mais sa participation ne consiste plus aujourd’hui qu’en l’attribution de bourses spécifiques liées à des projets particuliers.

Les collections s’élèvent à environ 32 millions de volumes, soit 6 livres par habitant. La fréquentation des espaces et le prêt des documents sont gratuits. Le nombre de prêts par habitant et par an s’élève à 13,7 volumes (soit 9 pour les adultes et 36 pour les enfants). Les bibliothèques publiques offrent également des médias autres que le livre, et ont considérablement développé les services spécifiques, telle, par exemple, la desserte à domicile des populations « empêchées ».

Le pays est aussi subdivisé en comtés (l’équivalent de nos départements), au nombre de 14. Les bibliothèques de comté sont, elles, financées par l’État. La plupart de ces bibliothèques de comté offrent, aux côtés de services divers aux bibliothèques qu’elles se doivent de fédérer, des bibliobus.

Le Danemark compte aujourd’hui 57 bibliobus, ruraux ou urbains, explique Inger Skamris, de la Bibliothèque publique de Skive. Ces bibliobus effectuent plus de 3 millions de prêts par an. Ils étaient plus nombreux dans les années 70 – jusqu’à 72 étaient en service –, mais la crise économique a conduit un certain nombre de collectivités à les interrompre. La plupart disposent d’un prêt automatisé. Leurs horaires s’efforcent de suivre les moments de disponibilité du public : les dessertes commencent vers 13 h et s’interrompent vers 20 h. L’une des spécificités danoises en la matière est peut-être que plusieurs bibliobus ont fait le choix de présenter une offre surtout dévolue à l’information locale, en étroite coopération avec les services municipaux de la collectivité.

Bibliothèques scolaires et littérature enfantine

Les bibliothèques scolaires sont des établissements municipaux, régis par la loi sur l’Enseignement primaire de 1993. Il y a environ 1 700 établissements scolaires au Danemark. Les bibliothèques scolaires, dont les collections totales s’élevaient en 1996 à 27 millions de volumes, sont des outils pédagogiques et poursuivent donc des buts différents de ceux des bibliothèques publiques.

De longs exposés, proposés par Eva Glistrup et Bente Buchlmave, de l’École royale de bibliothéconomie, dans le cadre de la section des bibliothèques pour enfants, présentèrent les grands traits de la situation de l’édition pour enfants au Danemark. Celle-ci, comme d’ailleurs l’édition pour adultes, est marquée par une difficulté majeure : l’étroitesse du marché dans un pays qui ne compte que 5 millions d’habitants. Il a donc fallu que l’État adopte une attitude volontariste en la matière et soutienne fortement l’édition, en même temps qu’il contribuait au développement des bibliothèques scolaires et des bibliothèques pour enfants. En 1979, pour la première fois, le nombre de titres publiés à destination des enfants atteignit le chiffre symbolique de 1 000. En 1986, on en fut à 1 304 titres pour revenir aujourd’hui à une moyenne de 1 100 titres annuels. Les tirages restent cependant modestes, d’où une difficulté cyclique, puisque, qui dit petits tirages dit coûts élevés, d’où peu d’achats privés, etc. Malgré une politique volontariste et une fréquentation enfantine importante, les emprunts de livres par les enfants doivent être stimulés, explique Bente Buchlave. D’où des initiatives et campagnes cherchant à faire travailler ensemble encore davantage bibliothèques pour enfants et bibliothèques scolaires ou s’efforçant, dans des sites pilotes, d’encourager l’emprunt.

Les bibliothèques académiques

La plus ancienne bibliothèque de recherche est celle de l’Université de Copenhague, fondée en 1482. La Bibliothèque royale, elle, a été fondée au milieu du XVIIe siècle et a ouvert au public en 1793. Enfin, la bibliothèque nationale et universitaire d’Århus, première bibliothèque de recherche, a été fondée en 1902. Il n’y a pas de loi concernant strictement les bibliothèques de recherche, mais elles sont incluses dans le University Act de 1992. Au Danemark comme ailleurs, des bibliothèques d’instituts se développent aux côtés des grandes bibliothèques universitaires. Les bibliothèques de recherche, à elles toutes, sont au nombre de 881, mais les grandes bibliothèques universitaires sont au nombre de 49.

Ces 49 bibliothèques emploient 1 340 personnes, dont 48 % de professionnels. Elles offrent 34,9 millions de documents, dont 15,7 millions de livres et périodiques. L’auteur inclut dans les bibliothèques de recherche la Bibliothèque Royale, qui comprend à elle seule 4,6 millions de volumes, les deux plus importantes autres bibliothèques de recherche étant la Bibliothèque nationale et universitaire d’Århus (2,2 millions de volumes), la Bibliothèque nationale danoise de science et médecine (1,4 million de volumes). Les autres comprennent entre 300 000 et 900 000 documents.

Le mode de financement des bibliothèques universitaires a été modifié, explique Svend Larsen, directeur-adjoint de la Bibliothèque nationale et universitaire d’Århus, au cours de la session consacrée aux bibliothèques universitaires. Le ministère de l’Éducation a mis au point une série de variables (variable bibliothèques au sein du budget de l’université, variable nombre de prêts, variable concernant les responsabilités spécifiques de chaque bibliothèque, etc.), qui permettent de moduler la somme budgétaire affectée et de préciser des critères privilégiés.

La Bibliothèque royale

Une très intéressante session fut consacrée par la section des Constructions aux projets de nouveaux bâtiments de bibliothèque nationale que réalisent actuellement chacun des quatre pays scandinaves. Dans ce cadre, Charlotte Rohde, de la Bibliothèque royale du Danemark, présenta les principales étapes du long processus de modernisation de cette bibliothèque, dont la part la plus éclatante sera le nouveau bâtiment, construit en bord de canal, le fameux « diamant noir », qui a soulevé au Danemark autant d’enthousiasme sur son audace que de remarques frileuses sur son architecture, par trop moderne pour certains 2. La Bibliothèque royale a mis en œuvre depuis 1986 un processus de modernisation ayant deux objectifs majeurs : l’intégration des nouvelles technologies électroniques ; l’accroissement de l’espace. Le nouveau bâtiment sera consacré aux sciences sociales et au droit. Il va, par son architecture, ouvrir la bibliothèque sur l’extérieur, autoriser la multiplication par cinq des espaces de lecture. L’ouverture est le maître-mot du projet, qui cherche à développer considérablement, au sein d’une bibliothèque de recherche et de collections académiques, les activités culturelles, en proposant des salles de réception et d’exposition dès l’entrée du bâtiment, une cafétéria, une salle multifonctionnelle de 600 places, etc. La fréquentation quotidienne attendue est de 2 000 usagers par jour, pour un personnel de 500 personnes.

Danbib

Le réseau de coopération danois est particulièrement efficace. Le Dansk BiblioteksCenter, DBC, a notamment en charge la réalisation de la Bibliographie nationale, en coopération avec la Bibliothèque royale, qui reçoit le dépôt légal. Le DBC tient à jour et développe DanBib, le catalogue collectif danois, résultat de la coopération entre toutes les bibliothèques et dont sont propriétaires à la fois les collectivités territoriales, regroupées dans une association, la municipalité de Copenhague et la maison d’édition privée Gyldendal… Et ça marche… DanBib est mis à jour quotidiennement, grâce aux informations fournies électroniquement par ses membres. Le Dansk BiblioteksCenter propose d’autre part de nombreux services aux bibliothèques : catalogage, bibliographies particulières, fourniture de matériel. Le Danemark s’est aussi doté d’un Centre national de reliure.

Au niveau national, l’État assume ses tâches régaliennes d’encouragement au développement des bibliothèques par un département, interministériel depuis 1990, et placé sous la tutelle du ministère de la Culture (Statens Bibliotekstjeneste, SBT, en anglais National Library Authority). Son directeur est directeur de la Bibliothèque royale. Il conseille le gouvernement sur toute question touchant aux bibliothèques. Il conseille aussi les bibliothèques elles-mêmes. Il organise la coopération et établit des règles de fonctionnement. Il a en charge l’application du droit de prêt (Public Lending Right), rémunération fournie aux auteurs, traducteurs, compositeurs et illustrateurs en échange de la présence de leurs productions dans les bibliothèques.

Décidément, l’organisation des bibliothèques dans ce petit pays est toujours exemplaire…

  1. (retour)↑  Jørgen Svane-Mikkelsen, The Library System in Denmark, Copenhagen, Royal School of Library and Information Science, 1997, 84 p.
  2. (retour)↑  Voir, à ce sujet, la présentation complète du projet par Martine Darrobers dans Nouvelles Alexandries : les grands chantiers de bibliothèques dans le monde, sous la direction de Michel Melot, Paris, éd. du Cercle de la librairie, 1996.