Les archives en France

rapport au Premier ministre

par Albert Poirot

Guy Braibant

Paris : La Documentation française, 1996. - 303 p. ; 24 cm. - (Collection des rapports officiels). isbn 2-11-003607-9. issn 0981-3764. 120 F

De nombreux articles ont déjà insisté sur l'importance du rapport Les Archives en France remis par Guy Braibant au Premier ministre le 20 juin 1996 1. Sa publication par la Documentation française s'est faite au moment où une vigoureuse polémique se développait autour de la communicabilité des documents d'archives et de la gestion des archives de l'Élysée au cours des mandats présidentiels de François Mitterrand. Les archives, comme les musées, comme certaines bibliothèques de Provence, comme l'avant-garde dans les arts plastiques, ont ainsi rejoint la cohorte des passions qui troublent la sérénité des affaires culturelles en les hissant à la une des journaux.

L'objet des polémiques dans les archives est de fait présent dans le rapport. Le ton général en est pourtant très éloigné. On connaît Guy Braibant, président de section honoraire au Conseil d'État, pour ses avis exprimés dans le cadre de cette haute juridiction et pour ses ouvrages de droit administratif. Fils de Charles Braibant, ancien directeur des Archives de France, il se place à la croisée d'une triple culture, celle des archives par tradition familiale, celle de la haute fonction publique, celle du juriste enfin. Cette dernière qualité lui fait porter une attention vigilante aux tentations, même inconscientes, de l'administration, de s'affranchir de certaines règles pourtant garantes de la démocratie, telle la transparence.

Transparence

Dans le cadre de sa mission, Guy Braibant a officiellement rencontré 120 personnes : des responsables nationaux ou départementaux de dépôts d'archives bien sûr, des représentants d'usagers, des élus, des hauts fonctionnaires, des syndicalistes, des personnalités aussi diverses que l'ancien président de la République Valéry Giscard d'Estaing, Paul Berliet, président de la Fondation Berliet, Béatrice Faillès, chercheur au groupe d'étude français d'histoire de l'armement nucléaire, Jean-Ludovic Silicani, commissaire à la réforme de l'État. En revanche, les archivistes municipaux ont fortement regretté de n'avoir été ni associés ni entendus : ce reproche pourrait être le reflet d'une espèce d'opposition entre personnels d'État et personnels territoriaux, entre chartistes et agents formés par l'Université, entre logique d'État et logiques territoriales.

Le travail de Guy Braibant ressemble à une sorte d'audit établi au moment de l'arrivée d'un nouveau directeur à la tête des Archives de France ; il a porté sur l'application de la loi du 3 janvier 1979, et s'est attaché à définir les conditions d'un enrichissement des archives, de leur plus grande ouverture, d'une gestion encore améliorée ; quarante propositions finales en attestent.

On a beaucoup dit que la loi de 1979 avait vu son champ redéfini, pour ne pas dire rétréci, par la procédure des décrets d'application. Le rapport l'indique effectivement et établit un constat juridique sans appel. On n'a pourtant pas assez précisé que ce constat correspondait d'abord à une critique de la loi elle-même, mal agencée, en ce qui concerne la protection du secret-défense par exemple.

D'une façon générale, la profession des archivistes suit les conclusions du rapport quand il s'agit de raccourcir les délais de communicabilité. Pourtant, on peut s'interroger sur les effets stérilisateurs de la loi de 1978 relative à l'accès aux documents administratifs qui allait déjà dans le même sens. Raccourcir les délais de communicabilité des archives publiques renforcera la tendance qu'ont de nombreux fonctionnaires d'autorité ou de contrôle à aseptiser leurs écrits. A trop réclamer une transparence bien proprette du verre, on en arrivera à ne boire que de l'eau.

Plusieurs pages du rapport sont critiques vis-à-vis de diverses options prises par le gouvernement : il avance par exemple qu'avec la place encore libre dans le dépôt de Fontainebleau, on aurait pu largement faire l'économie du Centre des archives de la ve République à Reims. On souligne aussi que trop peu est fait pour les archives informatiques et audiovisuelles ; les archives scientifiques devraient également faire l'objet de plus d'attention. On aurait pu tenir le même propos sur les archives des entreprises et des syndicats qui localement tombent souvent en déshérence, malgré tout le volontarisme du Centre des archives du monde du travail de Roubaix.

Loi, seconde édition

Sur le métier, le rapport Braibant propose donc de remettre la loi pour une seconde édition. Les bibliothécaires en prendront bonne note, eux qui n'ont pas encore vu le processus législatif premier enclenché pour leur secteur. D'ailleurs, ces mêmes bibliothécaires auront également relevé que le terme « bibliothèque » est absent de l'index du rapport. Est-ce à dire justement qu'il n'y a pas de rapport ? On en reste surpris si l'on pense à diverses conséquences du rapport Rigaud qui se profileraient à l'horizon des réorganisations gouvernementales.

Le rapport Braibant ne cherche donc pas à clarifier les relations entre archives et bibliothèques. Dans le glossaire, la définition des archives reprend l'article 1er de la loi de 1979 : « Ensemble des documents quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé, dans l'exercice de leur activité ». Cette définition ne m'a jamais paru totalement satisfaisante, même si elle a le très grand mérite d'exister et d'avoir pu fonder des modalités de fonctionnement et des principes d'action. En effet, est-elle assez rigoureuse pour ne pas y rattacher, par exemple, le roman, fruit de l'activité de l'écrivain, la thèse, résultant de l'activité du chercheur, le journal, organe de presse d'un parti, etc. ? Est-elle assez précise pour distinguer la réalité des archives, celle des bibliothèques et des centres de documentation ?

En 1994, une circulaire conjointe des Archives de France et de la Direction du livre et de la lecture s'essayait à un partage des missions en matière de fonds à conserver ; ce thème n'est pas abordé ici, même si une allusion, d'ailleurs plutôt positive, est faite à l'imec (Institut Mémoires de l'édition contemporaine).

Une harmonisation européenne

Hervé Bastien, conservateur à l'Inspection générale des Archives de France, qui vient malheureusement de disparaître, a apporté un précieux concours à l'élaboration de ce rapport. Il est en particulier l'auteur d'une des annexes, fort intéressante, intitulée « Éléments de droit comparé », qui dresse le paysage des archives dans une demi-douzaine de pays 2. Or, on ne saisit pas pourquoi, malgré cette approche comparatiste, le rapport n'évoque pas l'éventualité (la nécessité ?) d'une harmonisation européenne dans ce domaine des délais de communicabilité des archives. Une solution franco-française est préconisée, ce qui ne correspond pas plus aux contraintes de la recherche historique qu'à l'inscription de l'action des archives publiques dans le projet collectif européen.

Outre cette approche comparatiste, les annexes comprennent un ensemble de textes de référence, de nature juridique pour la plupart. Archives obligent, on a même ressorti des lettres patentes de 1504 qui ordonnaient de rapporter au Trésor des chartes les papiers concernant les domaines.

Sensible aux débats actuels et aux besoins des historiens du temps présent, le rapport Braibant rend compte des évolutions de l'administration française ; il est le reflet des nouvelles exigences de notre société. On appréciera donc à leur juste valeur plusieurs propositions, par exemple celle qui porte le n° 37 : « Renforcer la Direction des Archives de France pour lui permettre d'accomplir ces missions, en y affectant des administrateurs civils et en étoffant l'inspection générale ».

  1. (retour)↑  Voir notamment Le Monde du 22 juin 1996.
  2. (retour)↑  Voir aussi son remarquable vade-mecum Droit des archives, édité par la Direction des Archives de France, Paris, La Documentation française, 1996.