Trésors de la Bibliothèque nationale de France

par Agnès Marcetteau-Paul
Sous la dir. de Marie-Hélène Tesnière. Paris : Bibliothèque nationale de France, 1996. 239 p. : ill. ; 30 cm. isbn 2-7177-1999-7. 190 F

« Pour fêter l'ouverture du site de Tolbiac, la Bibliothèque nationale de France publie son grand livre de trésors », et consacre ainsi deux récentes évolutions bibliothéconomiques : l'inscription pleine et entière des collections patrimoniales dans les politiques de rénovation et d'ouverture des bibliothèques ; la mise en valeur de la dimension muséale de certains des documents qui y sont conservés. Ainsi que Marie-Hélène Tesnière nous le rappelle en introduction : « Mémoires et merveilles ils restent : Memorabilia et mirabilia ». Nous reprendrons, en l'inversant, cette double clé de lecture.

Mirabilia

En deçà et au-delà de l'exploration raisonnée de l'ouvrage, on découvrira en effet avec émerveillement, au fil des pages, telle ou telle pièce, pour le seul plaisir de la contemplation. Ces arts réputés mineurs et simplement décoratifs, exécutés par des artistes anonymes ou méconnus, recèlent des trésors de grâce et de perfection : celle qui naît de la rencontre de la technicité et de la créativité, et atteint de véritables sommets quand la technique utilisée s'harmonise parfaitement à l'esprit du temps. Le génie d'une époque n'est d'ailleurs pas facilement transposable à une autre.

Louis XIV, « roi (...) féru de beaux manuscrits », fait enluminer des recueils à sa gloire, où il se fait lui-même représenter en empereur romain : il ne peut atteindre la simple majesté du portrait de Lothaire Ier qui orne le manuscrit des Évangiles commandé par l'empereur à Saint-Martin-de-Tours au ixe siècle, ou de la scène de dédicace qui ouvre le manuscrit du De Bello Judaico de Flavius Josèphe, exécuté à l'abbaye de Moissac au début du xiie siècle. La maîtrise de ces premiers manuscrits à peintures n'a d'ailleurs rien à envier au raffinement des enlumineurs du Moyen Age finissant. Quant au Grand Siècle, mieux que dans les ultimes tentatives de manuscrits à peintures, il excelle dans les gravures et dessins des ballets et carrousels dont il fut si friand.

La maîtrise en quelque sorte innée des arts et techniques se vérifie encore à travers la typographie et la gravure. Elle donne à la première édition du Pantagruel (...) par maistre Alcofrybas Nasier, publiée à Lyon en 1532, une belle page à encadrement, parfaitement équilibrée. Elle fait des premiers burins connus au monde jeu de cartes gravées dont les couleurs sont figurées par des hommes et des femmes sauvages, des animaux, des fleurs un véritable travail d'orfèvre. La simplicité des illustrations gravées sur bois quelques années plus tard pour les Testaments et ballades de François Villon conserve une véritable modernité.

A côté des livres imprimés et manuscrits et des gravures, une place est heureusement faite à des documents moins habituellement rencontrés. La contribution du département des Cartes et Plans jalonne de cartes et mappemondes l'exploration de ce livre aux trésors.

Quant au département des Monnaies, Médailles et Antiques, il permet de retrouver la passion de ces amateurs qui ne concevaient pas une bibliothèque sans un cabinet de curiosités. Grâce à eux, la glyptique fait chatoyer le sardonyx de la coupe des Ptolémées ou du portrait de Louis XV ; l'écu d'or de saint Louis - « première monnaie d'or émise par un roi de France » - et la bulle d'or de Louis XII brillent de tous leurs feux. Les médailliers de Condé enfin restituent la « technique Boulle », dont il reste si peu de témoignages.

Un tel itinéraire, parce qu'il obéit aux seules lois de la plus totale subjectivité sans prétendre même en épuiser les objets de prédilection, ne peut être qu'invite à autant de parcours personnels. Parce qu'il offre tant de découvertes et d'échappées belles, l'ouvrage aurait d'ailleurs sans doute pu faire plus ample place aux explications et développements esthétiques et stylistiques.

Memorabilia

A « l'émotion d'une trace encore vibrante » répond pour chacun de ces documents et objets « une promesse de sens à réinventer » 1, fil conducteur de la découverte chronologique et thématique proposée. Les cent trente pièces sélectionnées sont en effet organisées en dix chapitres déroulant, de « la Renaissance carolingienne » aux « Lumières », les grandes étapes de l'histoire de la France médiévale et moderne 2, en privilégiant les temps forts de la constitution des collections de la Bibliothèque, et les monarques - Charles V, François Ier et Louis XIV - qui en furent les principaux bâtisseurs.

Histoires politique, intellectuelle et institutionnelle sont donc étroitement liées dans ce parcours. Au temps des « salons et collections », la Gazette de Théophraste Renaudot côtoie des manuscrits iranien et éthiopien du xive siècle acquis par Mazarin et le chancelier Séguier avant de rejoindre les collections royales ou nationales, et la rarissime édition de l'Élégie aux nymphes de Vaux de La Fontaine. L'apparition du manuscrit d'auteur, avec les Pensées de Pascal, parmi « les voix du classicisme », annonce ainsi l'importance de l'intellectuel au temps des « Lumières », illustrée par les manuscrits de Diderot, Laclos et Rousseau.

En disposant d'un index des auteurs, artistes et possesseurs et d'une typologie des documents, on aurait sans doute apprécié mieux encore toutes les ressources de l'ouvrage.

  1. (retour)↑  Bruno Blasselle, « Moments d'histoire », p. 21.
  2. (retour)↑  La plupart des trésors évoqués dans ce livre ont d'ailleurs fait l'objet d'une exposition présentée à l'automne 1995 à la bibliothèque du Congrès de Washington, sous le titre Creating French Culture : Treasures from the Bibliothèque nationale de France. Précisons également qu'un second volume, consacré aux Lettres et aux Arts des xixe et xxe siècles, est annoncé.