Les bibliothèques font-elles acheter des livres ?

Dominique Arot

Le 17 mars 1997, dans le cadre du Salon du livre, s’est déroulé un débat, organisé par Livres Hebdo, intitulé « Les bibliothèques font-elles acheter des livres ? ». Étaient réunis, tant à la tribune que dans la salle, bibliothécaires, libraires et éditeurs.

Découvertes mutuelles

Pour Claudine Belayche (Association des bibliothécaires français), les relations bibliothèques/librairies sont plus souvent analysées en termes psychologiques qu’en termes chiffrés. Les bibliothèques représentent environ 600 millions de francs de crédits d’achats par an, soit une part somme toute faible du chiffre d’affaires de l’édition/librairie.

Au-delà des aspects économiques, les échanges entre libraires et bibliothécaires constituent cependant des occasions de découvertes mutuelles : de nombreux libraires, en traitant les commandes des bibliothèques, nouent des liens avec des éditeurs avec lesquels ils avaient peu ou pas de relations et font entrer dans leur propre fonds des titres ou des collections qu’ils ne connaissaient pas encore.

Selon Claudine Belayche, il y a généralement plus de livres en stock dans la plupart des bibliothèques que dans les librairies, compte tenu de la rotation de plus en plus rapide des titres dans les circuits de l’édition et de la librairie. Marie-Claude Brun, de la bibliothèque municipale de Chambéry, soulignait l’impact sur les ventes du Festival du premier roman organisé dans sa ville : environ soixante volumes achetés pour chaque auteur invité, soit un total de près de 900 volumes.

François Gèze, des éditions La Découverte et Syros, Pierrette Mathieu, de la librairie Le Préau à Metz, et les bibliothécaires présents s’accordaient sur la qualité, l’efficacité et la complémentarité des relations des partenaires du livre dans le secteur jeunesse.

Une édition universitaire dégradée

En revanche, dans le domaine de l’édition universitaire, les avis étaient nettement plus tranchés, voire carrément contradictoires, ne se rejoignant que pour un constat très pessimiste sur la situation du livre au sein de l’Université. Pour François Gèze, la situation de l’édition universitaire s’est dégradée, faute d’un encadrement sérieux des étudiants de premier cycle, dépourvus de la moindre initiation à la lecture documentaire et d’un véritable engagement des enseignants et des chercheurs (donc des prescripteurs), dont l’information sur les ressources éditoriales disponibles est défaillante.

Pour remédier à cette situation, François Gèze propose les mesures suivantes : plafonnement des remises aux collectivités et instauration dans les bibliothèques universitaires d’un prêt payant pour compenser les pertes subies par ce secteur de l’édition. Cette dernière proposition ne recueillait pas l’assentiment de Bruno Van Dooren, de la bibliothèque universitaire de Paris iv et président de l’Association des directeurs de bibliothèques universitaires. Celui-ci estime que la mise en œuvre d’un droit de prêt renforcerait la lecture prescrite et utilitaire, telle qu’elle se pratique en bibliothèque universitaire, ou médiatisée (dans les bibliothèques de lecture publique), alors même qu’il faudrait par l’intermédiaire du livre développer la soif de connaissance et de transformation personnelle des étudiants. Il insistait également sur le déficit global de l’offre de lecture existante : bibliothèques insuffisantes tant du point de vue de leurs locaux que de leurs collections, mais aussi librairies inconfortables aux fonds limités.

Annick Miget, de la librairie des entreprises de l’École supérieure de commerce de Paris, le rejoignait pour prôner un plus grand nombre de rencontres avec les enseignants, de plus en plus majoritairement absents de la clientèle de sa librairie. C’est pourtant un enseignant, Frank Debié, de l’École normale supérieure et des Hautes études commerciales, qui dressait pour terminer un tableau très attirant de la réalité américaine : librairies conviviales, et bibliothèques présentant les nouveautés de l’édition.