Les bibliothèques françaises et européennes en 1997

Martine Poulain

L’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (enssib) organisait au Salon du livre un débat, animé par François Dupuigrenet Desroussilles, sur la situation des bibliothèques françaises et européennes dans ces années de forte évolution.

D’un siècle à l’autre

Dominique Arot, secrétaire général du Conseil supérieur des bibliothèques, invitait à une promenade historique comparant la situation et les tentatives des bibliothèques en 1897 et cent ans plus tard, en 1997. En 1897, Léopold Delisle lançait le Catalogue général des imprimés de la Bibliothèque nationale. En 1898, la Bibliothèque du Congrès « mettait en place un système de distribution de fiches de catalogues imprimés et inventait en quelque sorte le catalogage centralisé ». Les bibliothèques, hier comme aujourd’hui, sont donc confrontées à d’importants défis. Ceux d’aujourd’hui ne sont pas moins minces que ceux d’hier : déficit d’image, crise des budgets publics, diversité et hétérogénéité de statut administratif, lacunes dans la coopération, évolution très rapide des technologies de l’information, augmentation importante des publics. Si le développement des bibliothèques a été sensible au cours des années récentes, quelques points demeurent inquiétants.

Europe : des défis similaires

Deux collègues étrangers ont séduit l’auditoire, tant par la qualité – non dénuée d’humour – de leur prestation, que par l’excellence de leur maîtrise de la langue française ; ajoutées à cela, une modestie et une simplicité qui fait défaut à nombre de nos meilleurs professionnels…

Debbie Shorley, directrice de la bibliothèque de Jordanstown en Ulster, a dressé un tableau peu réjouissant des bibliothèques britanniques : les fonds des bibliothèques publiques baissent dangereusement, en qualité et quantité, depuis des années. Les discours des responsables politiques sur l’accès de tous à Internet ne cachent que mal une absence de politique en faveur de la documentation. Dans les bibliothèques universitaires, le nombre d’étudiants augmente, mais pas les crédits. Le rapport Follett 1 a rencontré un écho favorable auprès des bibliothécaires, depuis longtemps convaincus de ce qui y est souligné, et a entraîné certaines mesures, telles la construction de quelques nouveaux bâtiments ou l’attribution de crédits supplémentaires pour la formation des bibliothécaires aux nouvelles technologies. La British Library, dont la salle des humanités doit ouvrir en novembre 1997, a connu des années particulièrement rudes…

Même sentiment que les moyens donnés aux bibliothèques ne leur permettent pas de répondre aux défis du temps chez Bernd Hagenau, directeur de la Bibliothèque universitaire et régionale de Sarrebruck en Allemagne.

La différence entre bibliothèques publiques et bibliothèques scientifiques y est beaucoup plus nette qu’en France. Dans les bibliothèques publiques, l’argent manque. Certaines sont fermées, d’autres sont fusionnées. On dépensait, pour les bibliothèques, 2,97 marks par habitant en 1990. On n’en dépense plus que 2,22 aujourd’hui, soit 6 % de moins, sans même une prise en compte de l’inflation. L’Allemagne offrait 188 documents pour 100 habitants en 1988 ; elle n’en offre plus que 167 en 1995. Les prêts ont, eux, augmenté.

Dans les bibliothèques scientifiques, les données semblent plus favorables : le budget d’acquisition a crû de 34 % entre 1990 et 1995. Mais cette croissance reste insuffisante, estime Bernd Hagenau, au vu de l’accroissement de la population étudiante et du prix de la documentation, des périodiques notamment. L’analyse des demandes de prêt entre bibliothèques montre que celles-ci n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient voilà vingt ans. L’Allemagne met en place bien sûr de nombreux projets de fourniture électronique de documents, tels Jason, Subito, etc. La bibliothèque universitaire et régionale de Sarrebruck est elle-même en train de numériser ses périodiques scientifiques.

Paris français

Jacqueline Sanson, directeur général adjoint de la Bibliothèque nationale de France, rappelait l’ouverture, en décembre dernier, du haut-de-jardin de Tolbiac, et son organisation thématique. Ces espaces offrent actuellement 180 000 (ou 130 000 ?) documents, et à terme, en proposeront 370 000. Le rez-de-jardin devrait ouvrir en 1998, à trois conditions : que les collections soient déménagées ; que le système d’information fonctionne ; que le personnel prévu soit suffisant.

Claudine Belayche, présidente de l’Association des bibliothécaires français, a souligné la proximité des préoccupations nationales avec celles de nos voisins européens. La question du réseau reste essentielle. Pour l’abf, l’ouverture de la Bibliothèque nationale doit « être un grand moment pour le réseau. Il faut passer de collaborations, de contractualisations conjoncturelles à la construction réelle de réseaux ». Les accords avec les éditeurs quant à la consultation des documents numérisés doivent concerner aussi les bibliothèques publiques. Celles-ci connaissent, comme leurs voisines, des problèmes budgétaires : si les prêts et la consultation sur place augmentent, les budgets d’acquisition et la proportion de personnels qualifiés stagnent ou régressent.

Un bilan parfois sombre, bien qu’il soit marqué par une multiplicité de réalisations en tout genre.