Internet dans les bibliothèques finlandaises

Tuula Haavisto

Les bibliothèques finlandaises utilisent Internet depuis début 1994. 60 % d'entre elles environ offrent à leurs utilisateurs un accès gratuit à ce réseau, et quatre catalogues collectifs sont consultables sur le Web. Cette évolution tient à des raisons d'ordres politique, technique et professionnel. A l'attitude positive du gouvernement à l'égard des bibliothèques publiques s'ajoute depuis le début des années 90 la volonté de définir le cadre finlandais de la société de l'information. Le pays dispose d'infrastructures de télécommunication exceptionnelles, les bibliothécaires ont très tôt saisi l'intérêt du réseau et cherchent à préciser leur rôle dans la mutation en cours.

Finnish libraries have been using the Internet since the beginning of 1994. Around 60 % of them offer their users free access to the network, and to four large union catalogues which can be consulted on Web pages. The reasons for this speedy development are political, technical and professional. Since the beginning of the nineties, an already positive government attitude towards the public libraries has combined with the desire to define the scope in Finland of the information society. The telecommunication infrastructure in Finland is exceptional and librarians have quickly understood the significance of the network and are therefore trying to take a role in the changes in progress.

Die finnischen Bibliotheken benutzen das Internet seit Anfang 1994. Etwa sechzig Prozent unter ihnen bietet ihren Benutzern einen kostenlosen Zugang, und vier Gesamtkataloge können über Internet konsultiert werden. Diese Entwicklung geht auf Gründe politischer, technischer und beruflicher Art zurück. Zu der positiven Haltung der Regierung gegenüber den öffentlichen Bibliotheken kommt seit Beginn der neunziger Jahre die Absicht, die finnische Ausprägung der Informationsgesellschaft zu definieren. Das Land verfügt über eine außergewöhnliche Telekommunikationsinfrastruktur, die Bibliotheken haben sehr früh ein Interesse an elektronischen Netzwerken gezeigt und versuchen ihre Rolle in den sich wandelnden Strukturen festzulegen.

Les Finlandais disent volontiers qu’ils possèdent le meilleur système de bibliothèques publiques du monde, assertion un brin ironique puisqu’ils savent que leurs collègues danois et britanniques, pour s’en tenir à ces deux exemples, sont dans le même cas. Dans cette compétition, la Finlande dispose de trois atouts : la couverture extensive du réseau des bibliothèques, leur efficacité et leur architecture. A quoi s’ajoute désormais l’utilisation d’Internet.

Couverture extensive du réseau signifie que 80 % au moins des citoyens de ce pays à la faible densité de population ont facilement accès à des bibliothèques de qualité, dont le développement et les priorités sont l’objet d’une attention suivie. Si les statistiques montrent que Finlandais et Danois utilisent leurs bibliothèques dans des proportions équivalentes et considérables, la confrontation des données économiques révèle que les premiers le font à un coût beaucoup moins élevé que les seconds.

Quant à la conception architecturale des bibliothèques, elle est devenue une tradition finlandaise. Plus de 250 bibliothèques neuves ont été construites au cours des années 80, en grande partie sur les plans d’architectes renommés. Lorsque, au début des années 90, la récession économique toucha aussi la Finlande, les bibliothécaires se consolèrent à l’idée que ces bâtiments ne pourraient pas leur être enlevés.

La comparaison internationale permet de constater que les bibliothèques finlandaises bénéficient depuis longtemps de subsides importants. La population (cinq millions de personnes) apprécie d’ailleurs cette utilisation des fonds publics, puisque chaque habitant se rend en moyenne une fois par mois dans une bibliothèque et emprunte un peu plus de vingt titres par an. Près de la moitié des Finlandais sont inscrits dans les bibliothèques publiques et l’on estime qu’ils sont plus nombreux encore à les fréquenter régulièrement pour lire des journaux et des revues, consulter les ouvrages de référence, etc.

Le premier site Internet

Un nouveau chapitre de cette histoire de la lecture publique s’est ouvert en février 1994, lorsqu’une section spécialisée de la Bibliothèque d’Helsinki – le service informatique – créa un accès public à Internet, et du même coup les premières pages d’accueil d’une bibliothèque publique sur le WWW, avec une petite longueur d’avance sur les Américains. Trois ans plus tard, 60 % environ des bibliothèques publiques sont reliées à Internet.

L’accès est gratuit, la plupart des établissements accordant à leurs usagers une heure d’utilisation par jour. Plusieurs catalogues importants sont déjà consultés sur les pages Web et un certain nombre d’autres le seront dans le courant de l’année ; le projet baptisé Maison du savoir (cf. encadré) affecte trois postes de bibliothécaires à plein temps à Internet ; enfin, les bibliothèques ont participé à la création de ressources documentaires destinées au réseau en s’associant à des organismes à vocation culturelle 1.

Des infrastructures de télécommunication développées

Pourquoi les bibliothèques publiques finlandaises se sont-elles si vite intéressées à Internet ? Il y a à cela plusieurs raisons, qui sont d’abord d’ordre technique : la Finlande dispose en effet d’infrastructures de télécommunication exceptionnellement développées, avec des connexions télénumériques sur l’ensemble du territoire. Il est donc à la fois plus facile, plus sûr et plus rapide de se connecter à Internet que de passer par un système de transmissions analogiques. Qui plus est, de nombreuses communes sont déjà équipées de connexions par câbles fixes/lignes louées, d’où un accès au réseau à la fois plus performant et moins cher que la connexion modem/ligne téléphonique.

Une société en réseau

Par ailleurs, voilà maintenant plusieurs dizaines d’années que les bibliothèques finlandaises sont associées pour le prêt entre bibliothèques et le partage des ressources. L’état d’esprit particulier que suppose la participation à la « société en réseau » existe donc depuis longtemps dans ce pays, où la nécessité pour les bibliothèques de travailler ensemble apparaît comme une évidence.

Combiner talents et enthousiasmes

Ensuite, il faut avouer que les bibliothécaires finlandais ont eu de la chance lorsqu’ils ont défini la ligne de conduite à adopter à l’égard d’Internet. Sans que cela soit très conscient au départ, nous avons élaboré un modèle qui nous permet de combiner constamment les talents et les enthousiasmes. Le point est important, car dans cette coopération chacun n’a d’autre autorité que celle que lui confèrent ses compétences ou sa spécialité. L’enjeu était d’éveiller l’intérêt du plus grand nombre pour ce nouvel outil. Nous y sommes parvenus en profitant de l’engouement que la nouveauté suscite souvent au sein des avant-gardes et en maintenant le principe d’un débat ouvert. Les bibliothécaires, qui avaient très vite compris les avantages des réseaux électroniques, ont largement contribué à créer cette politique, développée en partie sur le réseau lui-même au sein de groupes de discussion très vivants sur les sujets les plus divers – de la nécessité pour les bibliothèques publiques de se connecter à Internet au traitement à réserver aux pages pornographiques, en passant par la manière de résoudre tel ou tel problème technique.

Le rôle du gouvernement

Enfin, et ce n’est pas le moins important, le gouvernement a clairement joué un rôle dans la décision d’équiper les bibliothèques publiques de l’accès à Internet. Au début des années 90, la volonté du gouvernement américain de développer les autoroutes de l’information a convaincu les responsables politiques de mettre sur pied un système comparable en Finlande. Dans les pays du Nord, l’accès de tous à l’information et à la culture fait de longue date partie des priorités. Aussi nos politiciens ont-ils cherché à garantir ce droit dans la nouvelle société de l’information. Cette dernière, reposant avant tout sur les trois volets données/informations/savoir, est au cœur de la société du futur. Il fallait donc trouver les moyens de les mettre à la portée de tous les citoyens. La tradition de pensée en vigueur dans les pays nordiques dictait d’elle-même la solution : c’est aux bibliothèques et aux écoles que devaient aller les millions de dollars nécessaires à l’effort de modernisation.

On constate d’ailleurs que la plupart des pays européens travaillent dans la même perspective depuis quelques années. Si la France fut la première à creuser cette idée au début des années 80, la différence entre sa situation et la nôtre tient à précisément à cette longue tradition. Chez nous, la nouvelle politique a pu d’emblée s’appuyer sur un réseau de bibliothèques extensif et performant.

Offrir à leurs usagers la possibilité d’utiliser Internet a permis aux bibliothèques d’améliorer encore leur image, ce qui a surtout compté au niveau local, vis-à-vis des autorités décisionnelles. La position pionnière des bibliothèques dans le développement des connexions par câbles fixes/lignes louées fut en effet un indicateur très concret du rôle qu’elles pouvaient jouer dans la société de l’information. Même les partisans de la pensée technicienne ont dû se rendre à l’évidence : désormais, les établissements de lecture publique se sont bel et bien saisis de ce genre d’outils.

Un tournant idéologique

Jusqu’à quel point cela a-t-il influencé l’attitude des bibliothécaires ?

Pour prendre un exemple, nous considérons maintenant que notre tâche est de permettre aux utilisateurs d’accéder à des contenus plutôt qu’à des produits finis (livres ou cassettes), ce qui témoigne d’un tournant idéologique manifeste. Nous nous efforçons également de dégager les principales caractéristiques des documents électroniques afin d’en faciliter l’utilisation. Il s’agit là, me semble-t-il, des premiers défis lancés par la technologie à nos compétences professionnelles. Nous devons par ailleurs nous demander si nous n’avons pas mieux à proposer qu’Alta Vista, question qui bien sûr appelle une réponse positive, même si nous n’en saisissons pas encore bien les implications pratiques. Les potentialités d’Internet en matière d’édition et de communication sont à l’étude. Un important catalogue des bibliothèques publiques (localisé à Tampere) prévoit la possibilité de réserver des documents à l’avance ou de vérifier nominativement les prêts via les pages du Web.

Le droit d’auteur

La définition du droit d’auteur soulève dans ce contexte des difficultés particulières auxquelles sont constamment confrontés les bibliothécaires qui travaillent sur Internet.

Après les très importantes journées de décembre 1996 à Genève, à l’initiative de la WIPO (World International Property Organization), il reste à les régler aux niveaux européen et national. Dans la perspective finlandaise, il s’agit, là encore, d’un point décisif, tout le problème étant de savoir si le Parlement nous soutiendra politiquement et admettra que la loi sur le droit d’auteur doit aussi ménager les intérêts des bibliothèques.

Au niveau de la Communauté européenne, les choses s’avèrent encore plus complexes et il faudra nécessairement en passer par une coopération internationale. Le sort des bibliothèques dépend dans une large mesure des solutions qui seront apportées.

Cet article m’a surtout donné l’occasion d’insister sur la place qu’occupe désormais Internet dans nos bibliothèques. Dans le même temps, le débat porte sur le degré d’alphabétisation, l’avenir du livre, le développement des documents vidéo dans les bibliothèques, etc. Il faut à cet égard souligner qu’Internet ne représente qu’un des traits d’une évolution beaucoup plus générale. A l’heure où la profession cherche à définir le rôle des bibliothèques publiques dans la société de l’information, Internet fait partie des facteurs qui, depuis quelque temps, obligent les bibliothécaires finlandais à s’interroger sur leur rôle. J’ai toutefois le sentiment que nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Il faudra encore beaucoup réfléchir et travailler avant que les bibliothèques arrivent à trouver – et occuper – leur place dans la société de l’information.

Février 1997

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Financement du développement des réseaux informatiques *

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Les bibliothèques publiques en Finlande

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Statistiques des bibliothèques publiques

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Le financement des bibliothèques en Finlande

  1. (retour)↑  Traduction d’Oristelle Bonis
  2. (retour)↑  Traduction d’Oristelle Bonis
  3. (retour)↑  Citons notamment les présentations d’écrivains, l’établissement d’index consacrés aux contes de fées ou à l’art virtuel, les œuvres en finnois, en suédois et en anglais de poètes finlandais, un guide sur l’écriture et le graphisme des bandes dessinées, etc. L’ensemble est accessible à l’adresse suivante http://www.lib.hel.fi/syke/english/