L'offre audiovisuelle de la Bibliothèque nationale de France

Gérald Grunberg

Yann Ygouf

L'offre documentaire audiovisuelle de la Bibliothèque nationale de France, patrimoniale et encyclopédique, est constituée de fonds sonores, vidéogrammes, et documents multimédias entrés soit par le dépôt légal, soit par des acquisitions. Cet article décrit l'organisation de cette offre sur le site de Tolbiac ; les auteurs analysent, pour le haut et le rez-de-jardin, le système audiovisuel, ses aspects techniques, les difficultés rencontrées, et les solutions proposées.

The audiovisual documentary service of the Bibliothèque nationale de France, both patrimonial and encyclopaedic, is comprised of sound and video archives, and multimedia sources either gathered by legal deposit, or by acquisition. This article describes the organization of this service on the Tolbiac site ; the authors analyse, from the upper-garden to the garden level, the audiovisual system, its technical aspects, the difficulties faced and the proposed solutions

Das dokumentarische audiovisuelle Angebot der Bibliothèque nationale de France, vom Charakter nationales Erbe und enzyklopädisch zugleich, besteht aus Tondokumenten, Videogrammen und Multimediadokumenten, die entweder über das Pflichtabgaberecht oder über Kauf erworben worden sind. Dieser Aufsatz beschreibt die Organisation dieses Angebotes am Standort Tolbiac. Die Autoren analysieren das auf zwei baulich verschiedenen Ebenen installierte audiovisuelle System, seine technischen Aspekte, die aufgetretenen Schwierigkeiten und die vorgeschlagenen Lösungen.

L’audiovisuel, qui a conquis droit de cité dans les bibliothèques publiques, a-t-il sa place dans les bibliothèques d’étude et de recherche ? Même lorsque ces institutions proposent des collections anciennes et importantes, comme c’est le cas de quelques grandes bibliothèques nationales, le faible nombre d’utilisateurs qui les consultent incite à se poser la question. Pour autant, le propos ne sera pas ici de disserter sur la place de l’image et du son dans l’épistémè du XXe siècle, non plus que sur le déficit de légitimité qui continue de caractériser ces médias pour une partie de la communauté savante.

La Bibliothèque nationale de France (BNF), bibliothèque nationale chargée du dépôt légal des phonogrammes, des vidéogrammes et des documents multimédias, n’est en principe d’aucun parti, ni de celui encore très fermé des discothécaires et autres « audiovisualistes » 1, ni de celui, toujours majoritaire, qui voit dans l’expansion médiatique de l’audiovisuel un danger pour la culture.

Ces documents sont là, constitutifs à part entière du patrimoine que l’établissement est chargé de collecter, signaler, conserver et communiquer. Communiquer, c’est là pourtant que le bât blesse, du moins pour la consultation sur place qui reste très peu développée, comme d’ailleurs dans les bibliothèques publiques où le prêt a largement pris le pas sur l’écoute et le visionnement sur place.

Aussi, dès qu’il fut admis qu’il y aurait de l’audiovisuel dans la nouvelle bibliothèque, au terme d’une belle polémique qui se termina avec l’adoption de la nouvelle loi sur le dépôt légal en 1992 2, les responsables du projet eurent à réfléchir sur les conditions d’accessibilité à ce patrimoine. Cette réflexion porta tour à tour sur les collections, l’organisation de cette offre documentaire dans la bibliothèque, et les modalités techniques de consultation des documents.

Pour ce qui est des usages, un moyen de compenser le manque de données a été et reste encore de travailler avec les chercheurs intéressés. C’est ce qui a été fait depuis 1990 et encore en 1995-1996 avec un groupe de professionnels de l’écoute des documents sonores (critiques, ethnomusicologues, acousticiens, spécialistes de la perception) sur le thème : l’écoute interactive de la musique 3.

Les collections

Comme celle de l’ensemble de la BNF, l’offre documentaire audiovisuelle est patrimoniale et encyclopédique : patrimoniale de par ses modalités d’accroissement, au premier rang desquelles le dépôt légal, encyclopédique car le contenu des documents n’exclut aucune discipline, aucun champ du savoir.

Affirmation qu’il convient toutefois de nuancer : on sait bien que l’audiovisuel excelle dans certains domaines comme la musique, les sciences, la littérature ou les sciences humaines, mais se montre maladroit à servir certaines disciplines, par exemple le droit et l’économie. En fait, la collection audiovisuelle de la BNF est constituée de deux sous-ensembles qui se veulent complémentaires.

La collection patrimoniale

La collection patrimoniale trouve son origine en 1911, lorsque le linguiste Ferdinand Brunot crée dans son laboratoire de la Sorbonne, en collaboration avec l’industriel Émile Pathé, les Archives de la parole.

Il s’agit de la première tentative de constituer la partie sonore de la mémoire humaine par l’enregistrement systématique non seulement de personnalités célèbres de l’époque, mais aussi de témoignages recueillis dans les provinces françaises et bientôt dans le monde entier. Les Archives de la parole deviendront le musée de la Parole et du Geste en 1928, puis la Phonothèque nationale en 1938, date à laquelle est institué le dépôt légal des phonogrammes. En 1975, ce dernier est étendu aux vidéogrammes et aux documents multimédias. En 1977, la Phonothèque nationale est rattachée à la Bibliothèque nationale.

Aujourd’hui, la collection patrimoniale, constituée depuis 1911 par production directe – collecte sur le terrain et enregistrements dans les studios du département –, par dépôt légal, dons, acquisitions, comprend environ un million de documents. Le récolement et la conversion rétro-spective des catalogues (avant 1983), actuellement en cours, permettront à la fin de 1997 d’avoir une connaissance précise des fonds. En attendant, il est possible d’en dresser la typologie (voir encadré).

Les fonds sonores

La collection de phonogrammes comprend entre autres pièces les premiers cylindres et rouleaux, 340 000 78 tours, 335 000 microsillons, 100 000 disques compacts. Elle couvre trois grands domaines :

l’enregistrement musical

Tous les genres musicaux, toutes les époques, tous les styles sont représentés. C’est un fonds unique pour l’étude de l’interprétation musicale ou tout simplement pour retrouver un enregistrement indisponible. Certains dons venus compléter cette collection contiennent des enregistrements uniques, tels le fonds Ravel, le fonds Delaunay, etc. ;

l’ethnologie et l’ethnomusicologie

Ce fonds, d’environ 15 000 disques et 2 500 bandes, est constitué essentiellement par les dépôts des chercheurs, auxquels sont venus s’ajouter des dons spécialisés et très précieux, tels que la collection du roi Fouad d’Égypte (musique classique arabe), le fonds Quilici de musique corse de tradition orale, ou le fonds Massignon (contes et chansons populaires d’Acadie et de l’Ouest de la France) ;

les voix célèbres

Ce fonds, majoritairement inédit, comprend les enregistrements de Guillaume Apollinaire, du capitaine Dreyfus et de bon nombre d’autres personnalités du début du siècle. Depuis les années 60, les enrichissements portent davantage sur des ensembles thématiques de documents : le fonds de l’OURS (archives sonores de l’Office universitaire de recherches socialistes), ou tout récemment le fonds Gilles Deleuze (enregistrement des cours dispensés par le philosophe de 1980 à 1987).

Les vidéogrammes

La collection de vidéogrammes comprend à la fois les vidéogrammes édités à des fins commerciales – films de fiction, documentaires, vidéos musicales –, et les documents produits à des fins de mise à disposition auprès d’un public spécifique – films d’entreprises, d’associations ou de collectivités publiques (pour la formation interne ou la promotion), qui représentent 30 à 35 % de la collection. Elle devient, peu à peu, un précieux gisement pour la recherche sur les représentations sociales et culturelles touchant aux aspects les plus divers de la société.

Les documents multimédias

Longtemps multisupports (par exemple, un livre et une cassette), les documents multimédias sont de plus en plus monosupports, tels les CD-Rom qui représentent déjà 1 000 titres déposés.

Cette collection, actuellement accessible aux chercheurs dans la salle de consultation de l’ancienne Phonothèque nationale 4, sera transférée à Tolbiac dans le courant de l’année 1998, et consultable dans la bibliothèque de recherche en rez-de-jardin.

Pour riche et remarquable qu’elle soit, la collection patrimoniale ne peut cependant répondre à tous les besoins de la nouvelle bibliothèque. Pour deux raisons au moins : comme pour l’imprimé, et même plus encore que pour l’imprimé, le dépôt légal ne peut à lui seul assurer une offre documentaire cohérente ; la loi réservant la communication des documents entrés par dépôt légal aux seuls chercheurs, il était nécessaire de constituer par acquisition les collections de la bibliothèque du haut-de-jardin.

Les acquisitions

Les programmes d’acquisition lancés spécifiquement en 1992 pour la nouvelle bibliothèque pourraient se résumer en deux maître-mots : accessibilité et encyclopédisme.

Accessibilité, parce que le patrimoine audiovisuel produit tout au long du XXe siècle demeure pour une large part hors de portée du public : à titre d’exemple, on peut considérer que 80 % des films documentaires produits en France depuis les débuts du cinéma ne sont pas accessibles. Ceci pour des raisons qui tiennent autant au mauvais état de conservation des documents qu’aux conditions juridiques et parfois financières qui en régissent la communication.

A cet égard, la BNF s’est donné pour principe d’être généreuse avec des collections peu accessibles, jouant ainsi un rôle effectif dans des domaines et des époques peu traités par les autres organismes, et plus sélective avec les collections plus contemporaines que les publics peuvent retrouver dans d’autres lieux.

Encyclopédisme, parce que comme pour la politique d’acquisition des documents imprimés, on a cherché à constituer pour l’image et le son une collection dite de référence, en tout cas représentative, pour une investigation à des fins d’étude et de recherche, de la façon dont ces médias traitent ou enrichissent les diverses disciplines sans en exclure a priori aucune. Partant de là, quelques principes simples ont été définis pour guider les acquisitions :

– constituer des corpus complets autant que possible, soit de réalisateurs (Jean Rouch, Raymond Depardon), soit sur des thèmes spécifiques ;

– privilégier les documents originaux par rapport aux commentaires : des interviews d’écrivains plutôt que des émissions sur les écrivains ;

– privilégier la France comme objet d’étude, y compris dans les documents étrangers ;

– rassembler les œuvres majeures du cinéma documentaire.

La plus grande partie des acquisitions est effectuée auprès des grandes archives audiovisuelles (l’INA pour les archives de la radio et de la télévision dont une sélection importante est pour la première fois facilement consultable, comme par exemple les grands numéros de Cinq colonnes à la une ou la série Les femmes aussi), de producteurs indépendants ou d’organismes publics (les grands entretiens philosophiques du Centre national de documentation pédagogique, les films scientifiques du CNRS, les conférences du Collège de France, etc.), d’agences de presse et de collections privées.

Le plus souvent, la BNF a acheté les droits et a fait réaliser les travaux techniques nécessaires afin de rendre les collections communicables. En outre, le département de l’Audiovisuel a mené un programme de transfert sur supports numériques de ses documents anciens les plus remarquables, extraits notamment des Archives de la parole, afin de les rendre accessibles. Ces programmes représentent au total 5 500 heures d’images animées, 3 000 heures de son, 300 000 images fixes numérisées, 10 000 disques compacts, 250 documents multimédias. La majeure partie de ces documents sera consultable sur les deux niveaux de la bibliothèque.

L’organisation de l’offre audiovisuelle

L’audiovisuel se déploie à Tolbiac sur plus de 450 places – au lieu des vingt de la rue de Louvois. Deux salles lui sont consacrées :

– la salle tous publics du haut-de-jardin : ouverte depuis le 20 décembre 1996, elle offre 137 places, dont plus de la moitié sont équipées de postes de consultation ;

– la salle de recherche en rez-de-jardin qui ouvrira en 1998 et offrira 318 places dont 120 équipées : la moitié pour la consultation des collections audiovisuelles de la BNF, l’autre moitié pour la consultation du dépôt légal de la radio et de la télévision sous la responsabilité de l’INA.

Il s’agit là d’un changement d’échelle tout à fait considérable qui témoigne de la part des responsables de l’établissement d’une double volonté :

– donner au patrimoine audiovisuel une place dans les dispositifs de consultation, proportionnelle à celle qu’il occupe dans les collections ;

– décloisonner les stratégies et les pratiques de recherche : les chercheurs qui consulteront des documents audiovisuels en rez-de-jardin pourront également se faire communiquer à leur table tout ouvrage issu des collections patrimoniales d’imprimés de la bibliothèque. Ce rapprochement de l’imprimé et de l’audiovisuel est assurément un fait culturel important.

Cela dit, décloisonnement ne veut pas dire intégration. La question de l’intégration chère aux bibliothécaires ne s’est jamais posée réellement pour la bibliothèque de recherche : avec un million de documents et un accroissement de 30 000 unités par an, la collection patrimoniale suppose une équipe de spécialistes, bibliothécaires, ingénieurs et techniciens, qu’il était difficile d’imaginer dispersée dans les différents départements de la bibliothèque.

D’autant que la dimension encyclopédique de cette collection ne lui interdit évidemment pas de concerner aussi toute une catégorie de chercheurs spécialisés dans l’histoire des supports et des médias 5, pour qui il eût été de toute façon nécessaire de concevoir un service également spécialisé. Il fut donc acquis très tôt qu’il y aurait une salle de l’audiovisuel en rez-de-jardin et décidé qu’en outre, des postes de consultation pourraient être installés ultérieurement dans les autres départements de la bibliothèque de recherche.

Pour le haut-de-jardin, la question s’est posée différemment. Dans un premier temps, les responsables du projet audiovisuel, parmi lesquels plusieurs étaient issus de la Bibliothèque publique d’information, avaient prévu une intégration totale de l’audiovisuel dans les départements thématiques par une répartition des postes de consultation dans les différentes salles de lecture.

Cette conception volontariste répondait à un double objectif : banaliser l’offre audiovisuelle, et par là même la légitimer, favoriser les pratiques multimédias. Pourtant, c’est finalement une autre solution qui fut adoptée en 1994 : l’audiovisuel aurait une salle de lecture dédiée en haut-de-jardin comme en rez-de-jardin. Ce revirement tient aux interrogations suscitées par l’observation du faible développement de pratiques réellement multimédias, mais aussi, pour une part, à la volonté de regrouper les pratiques en un lieu qui favoriserait l’observation des usages.

L’ensemble des salles de lecture étant par ailleurs câblé tant en fibres optiques qu’en paires torsadées, il serait toujours possible d’ajouter ultérieurement des postes audiovisuels dans les autres salles de lecture. Deux postes seront toutefois installés prochainement dans chaque département en dehors du département de l’Audiovisuel pour servir de postes d’appel.

Fondamentalement, ce dispositif, différent des préconisations des années 80, s’explique par le fait que l’audiovisuel n’a pas ici le rôle de « passeur » vers la lecture qu’on veut lui faire jouer parfois dans les bibliothèques publiques. Par ailleurs, il témoigne d’un déplacement de la réflexion sur l’accessibilité aux documents audiovisuels.

Le système de communication

Sur cet objectif majeur de l’accessibilité, la réflexion s’est en effet déportée rapidement de la question de la localisation, jugée finalement assez peu sensible, à celle des modalités de lecture de ces documents dans une bibliothèque.

C’est une évidence que, pour consulter un document audiovisuel, l’intermédiaire d’un appareillage est nécessaire. C’est déjà un obstacle à l’accessibilité. D’autant que la diversité des appareils, leur complexité plus ou moins grande et la fragilité des supports, notamment vidéo, encombrent le lecteur et le bibliothécaire.

Mais il y a plus important, plus essentiel, ce que l’on pourrait résumer par la question : consulter, est-ce lire ? Est-ce lire comme on lit en bibliothèque, cette activité de lecture-écriture, complexe mais parfaitement maîtrisée grâce à la stabilité de ses codes, qui consiste à plier-déplier un texte à sa guise par des techniques de segmentation qui ont nom surlignage, prise de notes, annotation, renvois, index, etc., toutes interventions qui peuvent se faire à même le texte, en tout cas sur une photocopie du texte ? C’est en fait ce à quoi se dérobe tout document audiovisuel du fait de son caractère analogique et temporel.

Ce que constatait déjà Roland Barthes en 1963 : « Le langage articulé est un code, il utilise un système de signes non analogiques (et qui par conséquent peuvent être, et sont, discontinus) ; à l’inverse le cinéma se donne à première vue comme une expression analogique de la réalité (et de plus continue), et une expression analogique et continue, on ne sait par quel bout la prendre pour y introduire une analyse » 6.

En ajoutant : « Je crois que ce qui serait intéressant à faire, ce serait de voir si un procédé cinématographique peut être converti méthodologiquement en unités signifiantes », Roland Barthes appelait de ses vœux les applications qui, aujourd’hui, sont en cours de développement grâce au numérique, ce que Philippe Aigrain et Bernard Stiegler nomment la « discrétisation » des documents temporels et qui bouleverse les modalités de lecture de ces documents.

De cette hypothèse que nous faisons nôtre, nous tirons pour la bibliothèque une série de conséquences :

– la bibliothèque ne peut se contenter de mettre les documents, surtout audiovisuels, à disposition. Elle doit en outre proposer les outils de lecture interactive qui en permettront une consultation critique ;

– ces outils ne seront pas uniformes, ils doivent être conçus en fonction des médias auxquels ils s’appliquent et peut-être, dans certains cas, en fonction des disciplines : la représentation graphique du son pour l’écoute comparative de la musique suppose des logiciels différents de ceux qui seront appliqués à l’analyse automatique de la bande son d’un film pour un travail historique ou littéraire ;

– au-delà de l’immense chantier que représente la numérisation d’une partie des fonds audiovisuels, chantier technologique, économique et juridique, la bibliothèque se doit de concevoir un système de communication qui intègre ces hypothèses de travail et permette de les développer.

Le système audiovisuel

A ces raisons d’optimiser l’utilisation des technologies numériques s’en ajoutent deux autres qui, pour le confort de la consultation et l’économie globale de la bibliothèque, ne sont pas moins importantes :

– seul le numérique permet la consultation du même document sur plusieurs postes à la fois, chaque lecteur naviguant dans le document à son rythme ;

– cette multiconsultation ainsi que la répétition de fonctionnalités telles que l’arrêt sur image ou l’indexation du document peuvent se développer sans considération d’usure du support.

Ces réflexions ont conduit la BNF à produire un cahier des charges qui expose trois principes :

– le système audiovisuel, système connexe du système informatique, devrait être conçu de façon modulaire pour tenir compte des différences entre le haut-de-jardin (recherche de l’automatisation maximale, compte tenu de l’homogénéité des supports et de leur quantité maîtrisable) et le rez-de-jardin (régies nécessairement manuelles ou au mieux semi-automatisées en raison de la disparité des supports et de leur nombre) ;

– le système audiovisuel devrait néanmoins offrir la meilleure « évolutivité » possible, notamment en matière d’architecture et d’équipements ;

– le système audiovisuel devrait exploiter les possibilités qu’offre le numérique pour développer la lecture interactive des documents.

Les aspects techniques

L’architecture technique du système audiovisuel se décompose en trois pôles : les régies, le réseau et les postes de consultation.

Les régies reposent sur une combinaison de serveurs et de robots. Schématiquement, on peut dire que les serveurs diffusent des documents numériques, tandis que les robots diffusent des documents analogiques.

L’infrastructure technique du haut-de-jardin abrite à la fois des serveurs et des robots 7, tandis que celle du rez-de-jardin comprendra des éléments robotisés à fonctionnement semi-automatique et des régies manuelles. Le réseau du système audiovisuel est scindé lui aussi en une partie analogique et une autre numérique. La partie analogique, en fibre optique, est dédiée au transport de la vidéo sur support analogique, stockée sur robot. Tous les autres types de documents (y compris la vidéo numérisée sur serveur) transitent par le réseau numérique. Celui-ci repose sur la technologie ATM (Asynchronous Transfer Mode).

L’utilisation d’un réseau numérique pour transmettre des données audiovisuelles provient des formats retenus pour la consultation. La norme MPEG 8 -2 a été retenue pour la vidéo (utilisée également en télévision numérique et sur le Digital Video Disc plus connu sous son sigle DVD), tandis que MPEG Layer 2 l’a été pour l’audio, et JPEG (Joint Picture Expert Group) pour l’image fixe.

Dans la salle du haut-de-jardin, les postes audiovisuels proposent sur un seul et même poste la recherche dans le catalogue et la consultation du document sélectionné quel que soit le média : image fixe, vidéo et audio. Ces postes, mis en service le 20 décembre 1996, offrent déjà un aperçu des potentialités qui seront développées sur le poste chercheur, comme par exemple l’indexation du contenu du document par le lecteur lui-même, en langage naturel. Les postes multimédias sont, à l’inverse, dédiés à la seule consultation des CD-Rom édités.

Difficultés et solutions

La prouesse technique que constitue la salle du département de l’Audiovisuel en haut-de-jardin repose sur l’utilisation de technologies nouvelles et par conséquent peu éprouvées. Ainsi, la mise en œuvre et l’intégration de toutes ces normes et technologies ne sont pas aussi aisées que le résultat le laisse paraître.

L’intégration de trois médias sur un seul poste répond à une demande sans cesse croissante d’un public averti et de ce fait exigeant. Difficile d’imaginer un système de consultation moderne avec des postes dédiés, à l’époque où l’on ne jure plus que par le multimédia.

Mais, contrairement à ce qui se passe pour un CD-Rom, principal vecteur du multimédia aujourd’hui, pour lequel le plus souvent les éditeurs retiennent des configurations peu développées tant du point de vue logiciel que matériel, il a fallu, pour le poste de consultation du système audiovisuel, rechercher sur le marché des composants répondant à des exigences beaucoup plus élevées en matière de restitution et tester leur compatibilité. Leur nombre sur un même poste étant en outre physiquement limité, il a fallu dans certains cas avoir recours à des composants intégrant plusieurs fonctions.

Par exemple, la carte graphique retenue fait également office de carte d’incrustation vidéo. Ce choix indispensable pour la vidéo a entraîné de très fortes contraintes sur les développements effectués pour les autres médias, avec, y compris pour la vidéo, de moindres performances par rapport à ce qu’auraient donné deux composants séparés – déficit à compenser aussi par des développements.

L’intégration peut également concerner une partie analogique dans un système numérique : la difficulté est de rendre transparentes les fonctionnalités du système vis-à-vis de l’usager, que le document soit sous forme analogique ou numérique, par exemple pour les modes de consultation différents en vidéo.

En effet, le numérique permet d’accéder instantanément à toute partie du film, ce qui n’est pas réalisable en analogique et n’est donc plus transparent aux yeux de l’usager. Inversement, on ne peut, pour des raisons techniques, simuler une avance/retour rapide en numérique sans un surcoût rédhibitoire. La mise en œuvre de cette fonctionnalité en numérique aurait en effet impliqué une surcharge trop importante soit sur le réseau, soit en matière de stockage. La consultation en numérique est donc différente de celle en analogique, mais leur homogénéisation pour le lecteur reste indispensable, quand bien même elle ne peut être totale.

Une norme encore immature

La réalisation d’une application de consultation de vidéo numérique en MPEG-2 était un choix à la fois ambitieux et risqué à l’époque où il fut fait. Les efforts déployés pour mettre en œuvre l’ensemble des fonctionnalités voulues n’en ont été que plus importants.

Tout d’abord, les composants, aussi bien en matière d’encodage que de décodage, n’étaient pas aussi nombreux qu’aujourd’hui et qu’ils le seront demain. En matière de décodage, une seule carte pour PC était disponible en dépit de nombreux effets d’annonce de tous les constructeurs. En matière d’encodage, l’offre était plus conséquente, mais à la suite des tests comparatifs d’échantillons numérisés, il nous fallut choisir un encodeur proposé par un autre constructeur.

De part et d’autre, ces constructeurs assuraient l’interopérabilité de leurs équipements, et le respect de la norme MPEG-2. La mise en œuvre de notre système fit néanmoins surgir de nombreux problèmes à régler itérativement (la résolution de l’un entraînant parfois l’apparition d’un second) en concertation avec les deux constructeurs, soucieux, l’un et l’autre, de déclarer que leur produit était à la norme.

Or la norme n’évolue qu’au travers d’applications cibles (notre système est une première en matière de fonctionnalités en MPEG-2), tandis que la tendance des constructeurs à rendre leur norme moins propriétaire n’est fonction que d’intérêts ponctuels. Ces incompatibilités dues à des interprétations différentes de la norme une fois réglées, il reste qu’à l’avenir, un nouveau choix d’encodeur au meilleur rapport qualité de restitution/prix impliquera de nouveaux tests et développements pour pérenniser le système.

CD-Rom et compatibilité

La mise en œuvre d’un système de consultation de CD-Rom multimédias en ligne, donc via un réseau, répond elle aussi à une demande réelle du public. Un système à la place suppose qu’il faille changer de poste pour consulter d’autres CD-Rom que ceux accessibles (forcément en nombre limité) sur chaque poste.

La mise en réseau de ces éléments nous apparut donc comme une nécessité. Elle permet d’une part, d’accroître le nombre de documents accessibles depuis un même poste et d’autre part, une multiconsultation pour des documents très demandés (dans ce cas, on place plusieurs exemplaires du même CD-Rom dans le juke-box relié via le réseau aux postes de consultation).

Néanmoins, il s’agit de la mise en réseau de produits édités non conçus à cette fin et qui posent infiniment plus de problèmes que les CD-Rom bibliographiques que nous avons l’habitude de mettre en réseau. Les problèmes de conflit de configurations qu’ils requièrent ont dû être résolus (une seule configuration valable pour tous les CD-Rom puisque accessibles depuis les mêmes postes), ainsi que ceux liés à la mise en réseau proprement dite, c’est-à-dire le rejet des CD-Rom mixed-mode 9 ou portfolios, sans oublier ceux présentant des bugs spécifiques.

Enfin, certains n’ont pas de fonction « quitter » et il a fallu la créer pour que l’utilisateur puisse naviguer d’un document à l’autre. Ceci a été réalisé en incrustant l’écran CD-Rom dans une fenêtre plus large, où la fonction a été implémentée. Cette cohabitation graphique de deux fenêtres a dû elle-même s’accorder avec l’ensemble des palettes utilisées pour chacun d’entre eux, afin de ne pas en dégrader le contenu. Le système de consultation y gagne en souplesse, mais c’est au prix d’une restriction de l’offre, car certains CD-Rom du marché résistent à cette application. Ceci met la bibliothèque en contradiction avec ses ambitions et demeure difficile à expliquer au public à qui la presse ne cesse de vanter la facilité d’utilisation du multimédia. Sur ce point aussi, la normalisation devra encore faire des progrès.

L’avenir

Sans doute est-il bien trop tôt pour tirer quelque conclusion que ce soit. Les difficultés ne sont pas toutes résolues et le développement de la partie chercheurs du système audiovisuel nous réserve encore probablement des surprises d’ici la seconde ouverture de la bibliothèque, à la mi-1998.

A ce jour, après six semaines de fonctionnement en haut-de-jardin, nous n’avons guère que deux certitudes : la salle de l’audiovisuel est très fréquentée, au point d’être souvent saturée, et le poste audiovisuel rencontre un vif succès grâce à son ergonomie et à la facilité d’accès qu’il procure. L’exploitation du module statistique qui lui est lié permettra d’ici quelque temps d’en dire plus sur la réalité des usages.

Mais d’ores et déjà, il nous semble possible d’affirmer qu’avec cette réalisation, le patrimoine audiovisuel vient de franchir une nouvelle étape vers le statut d’objet documentaire ayant pleinement sa place dans une bibliothèque d’étude et de recherche.

Février 1997

Illustration
Typologie du fonds audiovisuel

  1. (retour)↑  Ce néologisme est emprunté à Francis Denel, directeur de l’Inathèque de France.
  2. (retour)↑  La loi du 20 juin 1992 répartit le dépôt légal de l’audiovisuel entre trois institutions : l’Institut national de l’audiovisuel (ina) pour le dépôt légal de la radio et de la télévision, le Centre national de la cinématographie pour les œuvres produites sur support photochimique (films), la bnf pour tous les autres supports, particulièrement les phonogrammes, les vidéogrammes, les documents multimédias et informatiques. C’est en 1992 que fut décidé le déménagement à Tolbiac des collections du département de la Phonothèque et de l’Audiovisuel de l’ex-Bibliothèque nationale.
  3. (retour)↑  L’écoute interactive de la musique. Rapport du groupe de travail, Paris, bnf, 1996. Signalons également les travaux de l’Institut national de l’audiovisuel sur la slav (station de lecture audiovisuelle).
  4. (retour)↑  Le département de l’Audiovisuel se situe au 2 rue de Louvois, 75002 Paris. Le catalogue est accessible en ligne (base Opaline) et sur cd-rom pour les documents entrés depuis 1983. A la fin de cette année, sera publié le produit de la conversion rétrospective. La bnf sera alors la première bibliothèque nationale à publier son catalogue général et rétrospectif des documents sonores, audiovisuels et multimédias.
  5. (retour)↑  C’est déjà le cas pour une partie des chercheurs qui fréquentent la rue de Louvois.
  6. (retour)↑  Roland Barthes, Le Grain de la voix, Paris, Éd. du Seuil, 1984.
  7. (retour)↑  Un serveur audiovidéo de 648 Go extensible à 1 To, un serveur image fixe de 180 Go, un robot cd de 11 500 cd, un robot vidéo de 2 885 K7.
  8. (retour)↑  Motion Picture Expert Group. Il existe 4 normes mpeg pour la vidéo. mpeg-1 fut la première à être complètement définie et est très répandue dans les applications multimédias sur cd-rom, car elle concerne des débits peu élevés en regard de la capacité de stockage de ce support. mpeg-3 est une norme mort-née qui avait pour cible la télévision haute définition, mais qui fut abandonnée au profit de mpeg-2, dont le champ d’application s’est trouvé ainsi élargi. mpeg-4 est en cours d’élaboration et présentera par rapport aux normes existantes des fonctionnalités permettant entre autres le traitement d’image.
  9. (retour)↑  Ces cd-rom contiennent à la fois des données et des pistes audio, ces dernières nécessitant bien souvent une lecture locale.