La lecture étudiante

Geneviève Safavi

Partant du constat que les étudiants peuvent pratiquer des lectures plurielles (lectures liées à leur formation, lectures pour une culture personnelle et lectures de loisir), le service culturel de l’université du Havre avait organisé, le 16 décembre 1996, un colloque sur les lectures étudiantes 1, premier d’une série sur les pratiques culturelles des étudiants 2.

Les débats, menés par Emmanuel Fraisse, de l’université de Cergy-Pontoise, étaient centrés sur deux thèmes majeurs : la diversité des pratiques étudiantes de la lecture, et la présentation d’expériences mises en place pour favoriser le développement de toutes formes de lecture chez les étudiants.

Pratiques étudiantes

Bernard Rame, de l’université du Havre, exposait les résultats d’une enquête menée auprès des étudiants de cette même université : lecture atomisée, désacralisation relative du livre au profit d’autres médias et critères de différenciation très nets – parcours scolaire, filières, héritage, maturation statutaire, besoin d’identification. Tous ces effets se combinent pour se renforcer ou se contredire.

Une étude proposée par Christine Loquet, étudiante en sciences sociales, semble démontrer que les étudiants s’approprient mieux l’espace des bibliothèques municipales que la moyenne des usagers.

Bernadette Seibel, de l’Observatoire France Loisirs de la lecture, faisait état d’un sondage réalisé auprès d’étudiants de deuxième année. Le premier constat, plutôt rassurant, est que la lecture est une pratique ordinaire, son intensité variant selon les filières, les milieux sociaux, avec une différence prononcée entre filles et garçons en ce qui concerne les goûts littéraires. Reste que les pratiques, les motivations et les goûts sont majoritairement le reflet des prescriptions, de l’offre et de la distribution. Le grand intérêt de ce sondage réside dans le travail élaboré sur les typologies de lecteurs et de genres littéraires.

Jean-François Hersent, de la Direction du livre et de la lecture, rapportait les résultats d’une enquête « Lire en Europe, regards croisés », qui portait sur les comportements de lecture et la connaissance réciproque des littératures, chez les étudiants européens (allemands, anglais, espagnols, français, italiens) de toutes disciplines. Son intérêt réside dans la mise en lumière d’un certain nombre de tendances fortes : au-delà des inégalités constatées d’un pays à l’autre, ce sont la filière littéraire, l’apprentissage de la langue, l’appartenance au sexe féminin, le fait d’avoir des parents d’un niveau d’études supérieures qui génèrent dans tous les pays étudiés de meilleurs lecteurs et connaisseurs de la culture de l’autre. Ces tendances souffrent des exceptions. En particulier, les étudiants anglais montrent une très faible connaissance des littératures étrangères. Les variations observées appelleraient une réflexion plus vaste : comment en effet mieux appréhender les facteurs positifs ou les freins à une meilleure connaissance des cultures littéraires de nos voisins ?

Expériences

Face à ces pratiques multiples qui dénotent globalement une baisse de l’intensité de lecture chez les étudiants, de nombreuses initiatives se sont développées autant de la part des universitaires, des bibliothécaires, que des auteurs, libraires et éditeurs.

Floriane Gaber, des universités de Paris XI et Cergy-Pontoise, mène une expérience de lecture à haute voix depuis trois ans auprès d’étudiants scientifiques d’Orsay et, depuis cette année, auprès d’étudiants anglicistes de Cergy. Un professeur de l’université de Grenoble III, Claudette Oriol-Boyer, anime un atelier d’écriture, partant de la constatation que les étudiants rencontrent des difficultés dans la maîtrise de l’écrit et que lire et écrire vont ensemble. Un colloque a déjà eu lieu en 1995 sous le titre « Écrire à l’université ».

La bibliothèque de l’université de Rennes II a mis en place une aide à la lecture dans le cadre du tutorat pédagogique. Le bilan de la constitution d’un fonds de lecture loisir à la section médecine du service commun de la documentation de Strasbourg I est très positif. Par ailleurs, ont été relatées des expériences de rencontres très fructueuses entre des étudiants des universités de Tours et d’Orléans et des écrivains.

Un écrivain, Fernand Garnier, a évoqué l’importance des lectures publiques comme invitation au partage et au dialogue ; un libraire, Gilles de La Porte de Vaux, celle d’une expérience de promotion autour d’un prix littéraire décerné par tous les lecteurs volontaires âgés de quinze à vingt-cinq ans avec prêt de livres gratuit. Un rédacteur, Thierry Magnier (Gallimard), travaille à la mise en valeur d’une revue, Lire et savoir. Un enseignant écrivain, de l’université de Bordeaux I, Patrick-Jacques Rétali, s’est intéressé à la notion d’utilité ou de plaisir. En quel sens lecture et écriture ont-elles une légitimité culturelle et pédagogique ? L’important étant de faire émerger une parole.

Ces exposés ont permis une meilleure connaissance mutuelle des acteurs, des actions, un approfondissement des problématiques. Paradoxalement, l’abondance des contributions a limité un peu la confrontation, la grande question étant d’envisager des propositions de manière globale dépassant des opérations partielles pour petits groupes minoritaires : comment mettre en place des politiques à grande échelle ?

Ce colloque, en faisant remarquablement communiquer tous les partenaires de la chaîne auteur/lecteur, a apporté déjà une réponse en soi : celle de la nécessaire coopération.