Les fonds patrimoniaux de la bibliothèque de l'Institut de France
Mireille Pastoureau
La constitution des fonds de cette bibliothèque s'explique par l'histoire et l'activité de l'Institut de France et des cinq académies qui le composent. Depuis l'origine, les dotations et subventions de l'État y ont été complétées par des dons et legs de personnes privées. La collection de 7 700 manuscrits s'enrichit principalement aujourd'hui de papiers d'académiciens. Comme le reste des fonds, le domaine scientifique est particulièrement riche pour le xviiie et surtout le xixe siècles.
The creation of the collections in this library are explained by the history and the activity of the French Institute and the five academies of which it is composed. Since its origin, the endowments and grants from the State have been complemented by the gifts and legacies of private contributors. Today the collection of 7,700 manuscripts is principally enriched by the papers of academicians. As with many of its collections, the scientific domain is particularly well served for the eighteenth and especially for the nineteenth centuries.
Die Zusammensetzung der Bestände dieser Bibliothek erklärt sich aus der Geschichte und der Tätigkeit des Institut de France und der fünf Akademien, die es bilden. Von Anfang an sind die Dotierungen und Subventionen des Staates durch Schenkungen und Nachlässe von Privatpersonen ergänzt worden. Die Sammlung von 7.700 Handschriften wird heute besonders von den Papieren der Akademiemitglieder bereichert. Wie die restlichen Bestände, ist der Bereich der Wissenschaften des 18. und besonders des 19. Jahrhunderts ausnehmend gut ausgestattet.
Créé en 1795, l’Institut de France prit la succession des anciennes académies royales qui remontaient pour la plupart au XVIIe siècle. Il se compose aujourd’hui de cinq compagnies, l’Académie française, l’Académie des inscriptions et belles-lettres, l’Académie des sciences, l’Académie des beaux-arts et l’Académie des sciences morales et politiques, qui possèdent en commun une bibliothèque riche d’environ 1 500 000 ouvrages, 8 000 manuscrits, 1 200 périodiques « vivants » et 11 000 titres « morts », de médailles, de photographies et d’objets divers, notamment des épées d’académiciens.
Les biens de la bibliothèque appartiennent pour les uns à l’État, lorsqu’ils ont été confisqués sous la Révolution, achetés sur le budget propre de la bibliothèque ou préemptés en vente publique avec des crédits de l’État et au nom de celui-ci, pour les autres à une académie ou à l’Institut dans son ensemble, quand ils proviennent de dons ou de legs.
La bibliothèque partagea longtemps l’idéal de l’Institut : « Raccorder toutes les branches de l’instruction » et représenter un « abrégé du monde savant ». Elle fut longtemps animée d’une grande ambition, soutenue par ses conservateurs qui, jusqu’au milieu du XXe siècle, étaient choisis parmi les membres de l’Institut. Elle a renoncé aujourd’hui à sa vocation encyclopédique pour se consacrer presque uniquement aux sciences humaines. Les ouvrages anciens y tiennent une grande place, mais elle continue d’engranger des documents contemporains dans le cadre d’une rigoureuse politique d’acquisitions.
Sa mission première consiste à recueillir les travaux des cinq académies, ceux qu’elles encouragent, ainsi que les œuvres des membres de l’Institut ou les concernant, y compris leurs papiers personnels.
Paradoxalement, elle est aussi, par tradition, dépositaire de collections précieuses sans lien direct apparent avec les académies, si ce n’est qu’elles constituent des monuments de la culture française, l’exemple le plus remarquable étant celui de la collection Lovenjoul évoquée ci-après.
Les dotations de l’État
La monarchie puis la république, protectrices des académies, eurent le souci de les doter en livres, la première « subvention » consistant en 660 ouvrages choisis dans les doubles de la Bibliothèque royale et donnés en 1673 par Colbert à l’Académie française pour avancer l’élaboration du Dictionnaire.
On remarque des dotations indirectes, comme l’ancienne bibliothèque de l’Académie royale d’architecture, placée sous la Révolution à la disposition de l’École d’architecture et installée en 1804, dans le Collège des Quatre-Nations, où l’Institut devait emménager lui aussi. Elle ne quitta pas ce lieu lors du départ de l’école vers l’École des beaux-arts en 1840.
Avec la création de l’Institut national, en 1795, apparut – dans l’esprit des Lumières – une véritable politique pour la bibliothèque. Il fut prévu qu’elle bénéficierait des confiscations révolutionnaires et qu’elle s’ouvrirait au public sous certaines conditions, ouverture qui est toujours en vigueur 1. Dès 1797, on lui attribua, comme fonds initial, les 24 000 livres et les manuscrits de l’ancienne bibliothèque de la ville de Paris, composée en grande partie du legs d’un parlementaire, Antoine Moriau. Le mobilier fut lui aussi tiré en partie des dépouilles de l’abbaye de Saint-Denis et du château de Versailles.
Le bibliothécaire de l’Institut fut autorisé à aller choisir des livres dans les dépôts littéraires mais, devancé par des bibliothèques plus prestigieuses, il n’en retira bien souvent que du « deuxième choix ». De cette époque date aussi la saisie par Bonaparte, à Milan, de carnets de dessins scientifiques de Léonard de Vinci, confiés aux membres de l’Institut afin qu’ils les étudient.
Dès la fondation de l’Institut apparaît ainsi le souhait constant de doter la bibliothèque d’une documentation importante, savante et de qualité, mais non d’ouvrages de pure bibliophilie. Elle fut conçue, non pas comme une bibliothèque-musée, mais comme une bibliothèque de travail, utile aux membres de l’Institut qui, élus très jeunes, avaient leur œuvre à écrire.
Aujourd’hui, la bibliothèque de l’Institut appartient, avec les quatre autres bibliothèques dites « de grands établissements », à la famille des bibliothèques universitaires et, à ce titre, reçoit une subvention de fonctionnement du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Ce budget ne lui permet guère de réaliser d’importantes acquisitions de documents anciens. En 1995, 80 000 francs et, en 1996, moins de 50 000 francs leur furent consacrés. Ces achats parmi lesquels on note, pour l’année 1995, le manuscrit du discours de réception de Chateaubriand à l’Académie française, un état inconnu du Dictionnair e de la même académie et une gravure ancienne représentant l’Institut à l’époque du « Palais des beaux-arts », cherchent à compléter des fonds et demeurent en rapport étroit avec l’histoire de l’institution.
La participation des académies et de l’Institut
La participation financière des académies et de l’Institut aux achats de la bibliothèque est très faible, peut-être en raison de la tutelle collégiale exercée sur la bibliothèque par une commission de représentants des cinq académies.
Des acquisitions notables furent cependant réalisées dans le passé à la suite de grands dons, sans doute dans un élan de reconnaissance et de fierté. Ainsi, en 1911, furent acquises, lors de la vente de la bibliothèque Metternich et pour la collection Lovenjoul, les épreuves de Louis Lambert corrigées par Balzac. L’ouverture de la bibliothèque Thiers s’accompagna elle aussi de l’achat de plusieurs fonds, notamment, en 1917, de la bibliothèque de 6 000 volumes de Jules Claretie, administrateur de la Comédie française.
Les dons d’ouvrages par les académies sont en revanche très importants. Elles déposent à la bibliothèque non seulement leurs publications, celles des établissements sur lesquels elles exercent une tutelle (Écoles françaises d’Athènes, de Rome, Casa de Velasquez...), mais aussi de nombreux livres reçus en hommage. L’Académie des inscriptions et belles-lettres a donné 344 livres en 1994 et 364 en 1995.
Les membres de l’Institut donnent aussi individuellement leurs œuvres (souvent aimablement dédicacées), certains ouvrages récents ou d’autres encore provenant de leur bibliothèque personnelle, lorsque la place vient à y manquer. C’est traditionnellement le cas, à l’instar de Léopold Delisle en 1905, des membres de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, détenteurs d’encombrants mais indispensables ouvrages d’érudition.
Parfois, des héritiers souhaitent compléter, par de beaux exemplaires, la collection des œuvres – y compris les tirés à part – d’un membre défunt. Ces dons peuvent aussi concerner un pays étranger, comme celui de l’impératrice d’Iran, Farah Pahlavi, lorsqu’elle fut élue membre associé étranger de l’Académie des beaux-arts.
Les échanges de publications des cinq académies avec des académies étrangères sont par tradition vivaces et originaux, car ils apportent une production imprimée rare et circulant parfois hors des circuits commerciaux. 641 périodiques sont donnés chaque année à la bibliothèque par les académies, parmi lesquels 339 proviennent de l’Académie des sciences.
D’une manière générale, 70 % des acquisitions de livres et de périodiques contemporains entrent à la bibliothèque par voie de don.
Les dons et legs
Les dons et legs de collections privées, destinés à une académie, à l’Institut ou à la bibliothèque elle-même, constituent la source d’enrichissement la plus considérable.
Les donateurs trouvent dans l’Institut de France une institution prestigieuse, stable et indépendante des fluctuations politiques, où leur collection gardera son unité, comme la collection de Maxime Du Camp donnée à l’Académie française et composée de livres, de manuscrits et de photographies. Souvent, la collection porte le nom du donateur et c’est à une commission d’académiciens qu’il revient d’autoriser à bon escient les consultations et les publications ultérieures.
Certaines collections se trouvèrent fondues dans le fonds général, tels les 2 000 volumes de Nélie Jacquemart ou les 950 livres de la bibliothèque de Paul Morand. Mais la plupart des grands fonds ont conservé le nom de leur donateur. La place manque ici pour les énumérer. L’on ne citera pour exemple que le fonds Georges Duplessis (1834-1899), directeur du Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, membre de l’Académie des beaux-arts (5 000 ouvrages), la Bibliothèque Bolivar, fondée à Paris à la fin du XIXe siècle par plusieurs états d’Amérique du Sud, puis confiée à l’Institut, et le fonds Karaiskakis relatif à Paul Valéry, légué à l’Académie française en 1986.
Deux importantes bibliothèques furent données à l’Institut de France au début de ce siècle :
– la collection Spoelberch de Lovenjoul, léguée à l’Institut en 1907, est consacrée à la littérature romantique française 2. Elle se compose de 1 500 manuscrits, 40 000 livres, 900 périodiques relatifs à Balzac, Théophile Gautier, Sainte-Beuve, George Sand, Musset, Dumas père, Gérard de Nerval, Vigny, etc.
Installée à l’origine dans un ancien couvent de Chantilly et aujourd’hui confiée à la bibliothèque de l’Institut, elle fut gérée par d’illustres conservateurs, mais elle n’eut jamais les moyens de mettre en œuvre une ambitieuse politique d’acquisitions. Il lui fallut d’abord installer le chauffage – en 1953 – et l’électricité, en 1962. Elle maintint cependant jusqu’en 1980 une tradition d’achats en ventes publiques, concernant des auteurs mineurs déjà présents dans la collection. A partir de 1959, elle reçut une aide de la Direction des bibliothèques pour la reliure des collections et l’acquisition des ouvrages de référence indispensables.
Plusieurs dons importants vinrent compléter la collection : le fonds Buloz, composé de la correspondance administrative de la Revue des Deux-Mondes au XIXe siècle, avec les lettres de divers collaborateurs de la revue et la correspondance de Flaubert, riche de 3 000 lettres, legs de Mme Franklin-Grout, nièce de l’écrivain.
– la bibliothèque Thiers, riche de 130 000 volumes, 1 500 périodiques, 40 000 estampes, 450 dessins et 2 000 manuscrits, appartient à la Fondation Dosne-Thiers, legs réalisé en faveur de l’Institut en 1905 par Félicie Dosne, belle-sœur d’Adolphe Thiers. Elle est établie dans l’hôtel particulier de l’homme d’État, situé place Saint-Georges à Paris et devait être consacrée « à l’histoire moderne et plus particulièrement à l’histoire de la France ». Elle demeure aujourd’hui spécialisée dans l’histoire du XIXe siècle et reste rattachée, selon la volonté de sa fondatrice, à la bibliothèque de l’Institut qui lui délègue un conservateur d’État deux jours par semaine.
Des achats et de nombreux dons vinrent enrichir cette bibliothèque au début du siècle. En 1926, le legs considérable de Frédéric Masson, historien de Napoléon et secrétaire perpétuel de l’Académie française, en a fait un haut lieu de l’histoire napoléonienne. Victime de sa richesse, elle dut alors affronter des difficultés financières aujourd’hui jugulées au prix d’un train de vie modeste.
Travaux de recherche
Plusieurs travaux récents ont été consacrés aux collections de la bibliothèque. En 1995, un stagiaire de l’ENSSIB, Daniel Bornemann, a réalisé le catalogue informatisé de 540 livres de voyages – publiés avant 1800 – qui seront inclus dans la base de données Bibliographie de la littérature des voyages en langue française 3. En 1996, une autre stagiaire, Aude Le Dividich, a consacré son mémoire d’étude à l’élaboration de méthodes d’évaluation et de mise en valeur du patrimoine scientifique de la bibliothèque 4. Un ouvrage d’Annie Chassagne sur la bibliothèque de l’ancienne Académie royale des sciences est en préparation 5, ainsi qu’une thèse d’École des chartes consacrée aux relations du collectionneur Charles Spoelberch de Lovenjoul avec ses libraires.
Ces recherches ouvrent la voie à d’autres études inspirées par les fonds patrimoniaux de la bibliothèque, encore trop peu connus 6.
Janvier 1997