Mémoire du monde

Préserver notre patrimoine documentaire

Abdelaziz Abid

Cet article esquisse les grandes lignes de « Mémoire du monde », programme lancé par l'Unesco pour préserver le patrimoine documentaire en péril, en démocratiser l'accès, faire prendre conscience de sa valeur et diffuser les produits qui en sont dérivés. Les critères retenus pour l'inscription des patrimoines documentaires et la sélection des projets sont énumérés et les cadres technique, juridique et financier brièvement évoqués. Plusieurs projets sont présentés : les manuscrits de la Bibliothèque nationale de Prague, la Chronique Radziwill de Saint-Pétersbourg, des manuscrits astronomiques de l'Observatoire de Kandilli (Istanbul), quelques manuscrits de la Bibliothèque nationale du Caire, 3 000 cartes postales africaines de l'époque coloniale, un projet intitulé « Mémoire de la Russie », etc.

This article broadly sketches out the main features of « The World's Memory », a programme launched by Unesco in order to preserve important heritage documents that are at risk around the world, to liberalize access to them, to raise awareness of their value and to distribute material derived from them. The criteria used for the registration of such documents and for the selection of specific projects are described and the technical, legal and financial scope is briefly outlined. Several projects are examined including those concerning the manuscripts of the National Library of Prague, the Radziwill Chronicle at St. Petersburg, the astronomy manuscripts from the Kandilli Observatory at Istanbul, some manuscripts held by the National Library of Cairo, 3,000 African postcards from the colonial period, a project entitled « The Memory of Russia », etc.

Dieser Artikel skizziert die großen Züge des Programms « Gedächtnis der Menschheit », das von der Unesco ins Leben gerufen wurde, um das gefährdete dokumentarische Erbe zu bewahren, den Zugang hierzu zu verbessern, seinen Wert zu erkennen und die daraus entstandenen Ergebnisse zu verbreiten. Die für die Klassifizierung des dokumentarischen Erbes zugrundegelegten Kriterien und die Auswahl der Projekte werden aufgezählt und die technischen, rechtlichen und finanziellen Rahmenbedingungen erwähnt. Mehrere Projekte werden vorgestellt: die Handschriften der Nationalbibliothek in Prag, die Radziwill-Chronik aus Sankt Petersburg, die astronomischen Handschriften des Kandilli-Observatoriums in Istanbul, einige Handschriften der Nationalbibliothek in Kairo, 3 000 afrikanische Postkarten aus der Kolonialzeit, ein Projekt unter dem Titel « Das Gedächtnis Rußlands » usw.

La mémoire est partie intégrante de l’existence : cela est vrai des individus comme des peuples. Le patrimoine documentaire déposé dans les bibliothèques et les archives représente une part essentielle de la mémoire collective et reflète la diversité des langues, des peuples et des cultures. Mais cette mémoire est fragile.

Une part non négligeable du patrimoine documentaire mondial disparaît de manière « naturelle » : papier acidifié qui tombe en poussière, cuirs, parchemins, pellicules et bandes magnétiques agressés par la lumière, la chaleur, l’humidité ou la poussière. Le cinéma, par exemple, risque, au moment où il vient de célébrer son centenaire, de perdre la plus grande partie des œuvres qui en ont fait l’art du siècle. Des milliers de kilomètres de pellicule risquent de s’effacer si leur restauration et leur préservation ne sont pas entreprises dans les plus brefs délais. En France et au Mexique, par exemple, le feu a détruit nombre de films sur pellicule nitrate.

Aux causes naturelles viennent s’ajouter les accidents qui ponctuent la vie des bibliothèques et archives. Inondations, incendies, ouragans, tempêtes, tremblements de terre..., nombreuses sont les catastrophes contre lesquelles il est difficile de se protéger, sinon en adoptant des mesures préventives.

La liste des bibliothèques et archives détruites ou fortement endommagées par faits de guerre, bombardements et incendies, volontaires ou non, serait longue à établir. La Bibliothèque d’Alexandrie est sans doute l’exemple historique le plus célèbre, mais combien d’autres trésors connus et inconnus n’ont-ils pas disparu à Constantinople, Varsovie, Florence et, plus récemment, à Bucarest, Saint-Pétersbourg et Sarajevo ? Il en est bien d’autres, et la liste n’est malheureusement pas close, sans parler des fonds dispersés du fait de déplacements accidentels ou délibérés d’archives et de bibliothèques.

Préservation et accès

L’Unesco, reconnaissant la nécessité d’agir d’urgence pour éviter que la mémoire documentaire du monde continue de se détériorer, a lancé en 1992 le programme « Mémoire du monde », dont le but est de sauvegarder et de promouvoir ce patrimoine. Le programme s’est assigné quatre objectifs, qui sont complémentaires et d’importance égale.

En premier lieu, le programme vise à assurer, par les moyens les mieux adaptés, la préservation du patrimoine documentaire d’intérêt universel et à encourager celle du patrimoine documentaire d’intérêt national et régional.

Il vise en même temps à rendre ce patrimoine accessible au plus grand nombre possible, en faisant appel aux technologies les plus appropriées, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des pays où il se trouve physiquement. La préservation du patrimoine documentaire et l’élargissement de l’accès à celui-ci se complètent. L’accès facilite la protection et la préservation rend possible l’accès. Par exemple, les documents numérisés sont accessibles au plus grand nombre et la demande de consultation peut stimuler le travail de préservation.

Le programme se propose également de faire prendre davantage conscience aux États membres de l’Unesco de leur patrimoine documentaire et, en particulier, de ceux de ses aspects qui ont un intérêt du point de vue de la mémoire collective mondiale.

Enfin, le programme tend à élaborer des produits à partir de ce patrimoine documentaire et à leur assurer une large diffusion, tout en veillant à ce que les originaux bénéficient des meilleures conditions possibles de conservation et de sécurité. Des banques de textes, de sons et d’images de grande qualité pourraient être constituées et connectées aux réseaux locaux et mondiaux, tandis que des reproductions seraient réalisées sur toutes sortes de supports, tels que disques compacts, albums, livres, cartes postales, microfilms et autres. Les recettes résultant de la vente des produits dérivés seraient alors réinvesties dans le programme.

Portée et structure du programme

Le programme est donc d’envergure et fait intervenir des partenaires divers, depuis les étudiants, les universitaires et le grand public jusqu’aux propriétaires, fournisseurs et producteurs d’information et fabricants de produits finis. Un Comité consultatif international du programme « Mémoire du monde », dont les membres sont désignés par le directeur général de l’Unesco, guide la conception et la mise en œuvre du programme dans son ensemble et formule des recommandations concernant la mobilisation des fonds, l’attribution des crédits et l’octroi du label « Mémoire du monde » aux projets retenus, y compris à ceux qui ne bénéficient pas de l’aide financière du programme.

Les statuts de ce comité, qui ont été approuvés par le Conseil exécutif de l’Unesco en mai 1996, prévoient en particulier une étroite coopération avec des organisations non gouvernementales (ONG) comme l’IFLA et le Conseil international des archives et insistent sur la nécessité de faciliter l’accès au patrimoine documentaire en péril au plus grand nombre, en recourant aux technologies les plus récentes.

Le Comité consultatif s’est réuni à deux reprises : à Pultusk (Pologne) en septembre 1993 et à Paris (France) en mai 1995. Il a recommandé, lors de sa première réunion, que la notion de patrimoine documentaire soit élargie pour inclure, outre les manuscrits et les archives historiques, les documents sur tous supports, en particulier les documents audiovisuels, les enregistrements informatiques et les traditions orales, dont l’importance varie selon les régions. Dans tous ces domaines, la protection s’impose, parfois de façon urgente, si l’on veut éviter l’amnésie collective et renforcer les échanges culturels mondiaux.

Le programme doit sensibiliser les gouvernements à la nécessité de sauvegarder leur patrimoine documentaire, mobiliser les énergies, soutenir les efforts des organisations professionnelles, nationales, régionales et internationales et catalyser les initiatives.

Au niveau national, il est recommandé qu’un comité soit chargé, en premier lieu, de la sélection des projets selon les critères retenus et de leur soumission au Comité consultatif international et, par la suite, de leur suivi. Ce comité devrait être composé d’experts en état de contribuer activement à la réalisation des projets et de représentants des utilisateurs. Les auteurs de projets devront s’assurer que les droits des propriétaires des fonds ou des collections sont protégés. En outre, chaque projet constituera son comité scientifique propre, composé de spécialistes qui définiront les contours du projet et qui en superviseront l’organisation. Des comités nationaux « Mémoire du monde » existent à ce jour dans 23 pays (Autriche, Bélarus, Bulgarie, Canada, Cap-Vert, Chine, Colombie, Croatie, Cuba, Fédération de Russie, Finlande, Hongrie, Lituanie, Malawi, Mauritanie, Pakistan, Pologne, Slovaquie, Suède, Tanzanie, Thaïlande, Venezuela et Zaïre) et d’autres pays envisagent d’en créer un. La Jordanie et la Syrie ont indiqué que des organismes nationaux existants faisaient d’ores et déjà office de comités nationaux.

Enfin, chaque fois que le besoin s’en fera sentir, un comité régional sera chargé de la sélection des projets à caractère régional, en tenant compte des particularités des régions, en vue de leur soumission au Comité international.

On citera, à titre d’exemple de suite efficace donnée au lancement du programme, la réunion d’experts organisée à Kuala Lumpur en 1994, avec pour tâches de définir la composante asiatique du programme « Mémoire du monde ». Des participants venus de 20 pays se sont penchés sur les problèmes que connaissent les conservateurs de documents appartenant au patrimoine national et que mettent en péril, le plus souvent, la négligence, des conditions matérielles et climatiques défavorables, l’instabilité politique, etc. Les participants ont décidé de prendre des mesures pour que les États membres créent, aux niveaux national et régional, un mécanisme chargé de recenser les projets susceptibles de bénéficier du label « Mémoire du monde », d’inventorier les éléments du patrimoine documentaire des pays considérés, d’établir un programme de préservation et de conservation de ces documents et de mettre au point des stratégies de promotion et de commercialisation pour dégager des revenus et financer ainsi le programme.

Des conclusions similaires ont été tirées lors d’une réunion sous-régionale sur le programme « Mémoire du monde » qui s’est tenue à Budapest les 9 et 10 mars 1995. Les participants venus d’Autriche, Croatie, Hongrie, République tchèque, Roumanie et Slovaquie ont souligné que, si la numérisation contribue puissamment à faciliter l’accès et aide par là à préserver les originaux, elle a ses limites et ne saurait se substituer aux méthodes traditionnelles de conservation.

La première Conférence internationale sur la « Mémoire du monde » s’est tenue à Oslo du 3 au 5 juin 1996. Quelque 150 délégués de 65 pays ont pris part à cette Conférence, qui a souligné le besoin d’élaborer des plans, tant à l’échelle nationale que régionale, pour la sauvegarde du patrimoine documentaire et un accès plus aisé. La Conférence a adopté une résolution invitant tous les pays à mettre en place des comités nationaux « Mémoire du monde » et à participer activement au Programme.

Registre de la « Mémoire du monde »

Le Comité consultatif international a recommandé, lors de sa réunion à Paris, l’établissement d’un registre « Mémoire du monde ». Ce registre, comparable à certains égards à la Liste Unesco du patrimoine mondial, recensera le patrimoine documentaire reconnu par le Comité comme présentant un intérêt universel. Mais l’inscription dans le registre et l’attribution du label « Mémoire du monde » n’auront d’incidences ni juridiques ni financières.

Compendium de documents, de manuscrits, de traditions orales, de matériels audiovisuels, de fonds de bibliothèques et d’archives de valeur universelle, le registre de la « Mémoire du monde » sera un document important en lui-même, en même temps qu’un modèle, dont pourront s’inspirer les pays et les régions pour identifier, recenser et préserver leur patrimoine documentaire. Chaque pays est encouragé à constituer, parallèlement au registre de la « Mémoire du monde », son propre registre pour faire reconnaître les trésors du patrimoine documentaire national, ainsi que la nécessité d’assurer la sauvegarde de ceux qui sont en péril. Des groupes de pays, comme par exemple les pays scandinaves ou les pays baltes, auront la possibilité d’établir des registres recensant leur patrimoine documentaire commun.

Un formulaire de demande d’inscription a été adressé le 2 février 1996 à l’ensemble des États membres de l’Unesco et aux associations professionnelles internationales qui ont, à cette occasion, été invités à faire connaître le patrimoine documentaire dont ils souhaitent l’inscription au registre « Mémoire du monde ». A ce jour, près de vingt pays ont répondu à cette invitation.

Critères de sélection

Chaque registre – mondial, régional ou national – doit être établi en fonction de critères clairement définis d’évaluation de la valeur culturelle du patrimoine documentaire.

Le patrimoine documentaire présente un intérêt mondial s’il a eu sur l’histoire du monde une influenc e majeure transcendant les frontières d’une culture nationale ; s’il constitue un témoignage exceptionnel sur une période qui a changé le cours des affaires du monde ou un apport notoire à notre compréhension du monde à un moment particulièrement important de l’histoire ; s’il apporte un éclairage important sur un lieu ayant marqué de façon capitale le cours de l’histoire ou l’évolution de la culture mondiales ; s’il est associé de façon spéciale à la vie ou à l’œuvre d’une personne ou d’un groupe ayant contribué de façon remarquable à l’histoire ou à la culture mondiales ; s’il fournit des informations particulièrement précieuses sur un sujet important ou un thème majeur de l’histoire ou de la culture mondiales ; s’il constitue un important exemple d’une forme ou d’un style remarquable ; s’il a une valeur culturelle et sociale ou spirituelle exceptionnelle qui transcende une culture nationale.

Outre ces sept critères principaux, il convient de tenir compte de deux critères supplémentaires, qui peuvent renforcer l’intérêt mondial du patrimoine documentaire, mais ne sont pas suffisants en soi pour l’établir : un haut degré d’intégrité ou d’exhaustivité peut conférer à un patrimoine documentaire un intérêt accru, ainsi que le fait d’être unique ou rare.

L’inscription d’un patrimoine documentaire sur le registre mondial peut se faire sur la base d’un seul critère, mais l’évaluation a davantage de chances d’être effectuée en fonction de plusieurs critères. Les critères seront testés par le Comité consultatif international et des facteurs de pondération seront mis au point pour en refléter l’importance relative. Les critères applicables au patrimoine documentaire à inscrire sur les registres nationaux ou régionaux seront fixés par les comités nationaux ou régionaux compétents. Il est, toutefois, recommandé de prendre pour modèle les critères du registre mondial. Les restrictions à l’accès du patrimoine documentaire n’empêcheront pas automatiquement son inscription à un registre, mais réduiront éventuellement la possibilité d’obtenir un soutien en sa faveur par l’intermédiaire du programme « Mémoire du monde ».

Les demandes de soutien financier au bénéfice d’un patrimoine documentaire peuvent être présentées par les comités nationaux et régionaux, par les gouvernements, les ONG, le Comité consultatif international ou par d’autres organismes professionnels du pays ou de la région. Le patrimoine documentaire concerné devra, pour pouvoir bénéficier d’un tel soutien, être inscrit au registre mondial et satisfaire à des critères qui seront fixés par le Comité consultatif international. Une certaine priorité sera attribuée aux opérations touchant plusieurs pays, aux projets nationaux à dimension régionale ou internationale et aux projets entrepris en coopération ou en partenariat, sans oublier les minorités et leurs cultures. Une attention particulière sera accordée à la reconstitution de la mémoire des peuples dans le cas des collections et fonds déplacés ou dispersés.

Projets pilotes

Dix projets pilotes témoignent de l’importance des actions de numérisation pour préserver des documents précieux et fragiles.

Prague

Un programme de numérisation a été lancé par la Bibliothèque nationale à Prague, en coopération avec une entreprise privée, Albertina Ltd. Un CD-Rom de démonstration publié en 1993, présente quelques-uns des manuscrits et autres documents les plus précieux des collections historiques de la Bibliothèque nationale, avec des annotations en tchèque, en anglais et en français. Une série de CD-Rom a par ailleurs été inaugurée en mai 1995 avec la publication de deux disques. La numérisation des plus beaux manuscrits et incunables de la Bibliothèque nationale facilitera l’accès à ces trésors tout en évitant aux originaux des manipulations excessives, contribuant ainsi à leur préservation. De surcroît, alors que les couleurs et l’encre réagissent au contact du papier, du parchemin, de la soie et autres supports traditionnels, l’information numérique ne se dégrade pas avec le temps et pourrait aisément être transférée sur les supports plus durables qui devraient faire leur apparition dans l’avenir.

La Chronique Radziwill

Rédigée en russe ancien, cette œuvre monumentale relate l’histoire de la Russie et de ses voisins entre le Ve siècle et le début du XIIIe siècle sous forme illustrée, plus de 600 miniatures représentant les événements rapportés dans le manuscrit. La Chronique Radziwill est le plus ancien exemple d’art russe de l’enluminure qui ait survécu. Cette copie, réalisée au XVe siècle, d’un original du XIIIe siècle se trouve à la Bibliothèque de l’Académie des sciences de Russie de Saint-Pétersbourg (BAN). La combinaison de texte et de miniatures qu’offre la Chronique Radziwill place ce manuscrit au rang de chefs-d’œuvre reconnus, comme l’exemplaire de Madrid de la Chronique grecque illustrée de Ioann Scilipa, l’exemplaire du Vatican de la version bulgare de la Chronique de Constantin Manassès, l’exemplaire de Budapest de la Chronique hongroise enluminée et les exemplaires des grandes chroniques françaises. La Chronique Radziwill se distingue par la richesse et la quantité de ses miniatures.

La fragilité croissante du manuscrit original, en même temps que sa place de premier plan dans la littérature russe, ont mis la BAN devant un dilemme commun à toutes les bibliothèques du monde qui ont à veiller sur des trésors culturels tout en assurant une sage utilisation. Le maintien en bon état de la Chronique Radziwill exige qu’elle soit manipulée le moins possible. En même temps, ce document important doit pouvoir être accessible pour des recherches sérieuses. C’est pourquoi la Bibliothèque a opté pour un support numérique, qui permettra de présenter le manuscrit en couleur tout en préservant l’original. Un prototype de CD-Rom est réalisé avec le soutien de l’Unesco et de la Bibliothèque du Congrès de Washington à titre de projet pilote démontrant comment les supports numériques peuvent être mis au service de la préservation.

Sainte Sophie

Conçu par un groupe d’auteurs bulgares et français, le projet « Sainte Sophie » porte sur un essai d’édition multimédia de manuscrits bulgares sur un disque compact interactif. Il a pour but d’évoquer la figure emblématique de sainte Sophie, patronne de la ville de Sofia, capitale de la Bulgarie, dans l’histoire, la littérature et la civilisation bulgares entre le XIe et le XVIIe siècles. Ces manuscrits sont complétés par des reproductions d’enluminures, de frontispices et de motifs décoratifs, et par des photographies de sites historiques et archéologiques. On y trouvera également la transcription imprimée en vieux bulgare et la traduction en bulgare moderne, en anglais (quand elles existent) et en français de certains des manuscrits.

Les manuscrits de Sana’a

En 1972, après de fortes pluies, un pan du mur de la Grande Mosquée de Sana’a s’est effondré. Des travaux sur la toiture mirent au jour des manuscrits qui avaient été cachés dans le plafond à une époque ancienne. Il s’agit de fragments sur parchemin et sur papier représentant environ un millier de volumes différents, dont les plus anciens remontent au premier siècle de l’Hégire. La plupart sont des extraits du Coran et offrent un intérêt considérable pour l’étude linguistique, religieuse et paléographique de la littérature des premiers siècles de l’hégire et de la langue arabe.

Des travaux de recherche sur les fragments enluminés et sur les reliures ont montré l’intérêt exceptionnel de cette collection. Les autorités yéménites s’accordent également pour voir dans la collection un monument historique d’une qualité patrimoniale exceptionnelle. A leur demande, une mission de l’Unesco s’est rendue à Sana’a pour examiner la possibilité d’inscrire un projet pilote portant sur ces fragments dans le cadre du programme « Mémoire du monde » .

Un comité national a été constitué, avec pour tâche de repérer les documents les plus pertinents. Un disque de démonstration portant sur un choix de manuscrits, dont des fragments coraniques, a été publié en coopération avec le Centre régional d’informatique et de génie logiciel (RITSEC) du Caire (Égypte). Ce CD-Rom contient une introduction à la calligraphie arabe illustrée au moyen des manuscrits yéménites et, en particulier, des fragments coraniques. Les descriptions et commentaires sont en anglais, en arabe et en français.

Memoria de Iberoamérica

Le projet présenté à l’Unesco par l’Asociación de Bibliotecas Nacionales de Iberoamérica (ABINIA), consiste à assurer dans un premier temps la sauvegarde de la presse du siècle dernier publiée dans les pays ibéro-américains et à en faciliter l’accès aux historiens et au public intéressé.

Auparavant, l’ABINIA avait organisé, à l’occasion de la commémoration du cinquième centenaire de la Rencontre de deux mondes, une série d’activités répondant au même souci de valoriser le patrimoine documentaire du monde ibérique dont l’établissement d’une base de données répertoriant 90 000 livres anciens datant du XVIe au XVIIIe siècles, l’organisation d’une exposition itinérante et la réédition des ouvrages historiques les plus importants dans le contexte du cinquième centenaire. Les bibliothèques nationales de douze pays participent au projet sur la presse du XIXe siècle (Brésil, Colombie, Costa Rica, Cuba, Chili, El Salvador, Nicaragua, Mexique, Pérou, Porto Rico, Portugal et Venezuela). Ce projet a abouti à la réalisation d’un inventaire informatique de quelque 6 000 titres de journaux et autres organes de presse.

La deuxième étape de ce projet porte sur la conservation des collections recensées, leur microfilmage et numérisation en vue d’échanges entre bibliothèques nationales, l’organisation d’expositions et la publication d’éditions spéciales.

Manuscrits de l’Observatoire de Kandilli

L’objectif de ce projet est de préserver une collection regroupant quelque 1 300 ouvrages d’astronomie en trois langues (turc, persan et arabe), qui se trouvent à la Bibliothèque de l’Observatoire de Kandilli et à l’Institut de sismologie de l’université Bogaziçi d’Istanbul. Un CD-Rom comprenant le catalogue et un choix de pages de la plupart des manuscrits recensés est produit avec le concours de l’Unesco.

Mémoire de la Russie

Ce projet porte sur la préservation de la collection de manuscrits slaves des XVe et XVIe siècles de la Bibliothèque d’État de Russie de Moscou et sur l’amélioration de l’accès à ces documents. Il englobe aussi les archives de nombreux grands écrivains russes comme Dostoïevski et Pouchkine.

Cartes postales d’Afrique

Objets de collection, les cartes postales anciennes sélectionnées pour la réalisation de ce projet sont relatives aux seize pays de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ce qui fait la rareté de ces cartes postales, c’est leur extrême dispersion. Seule une présentation du type CD-Rom ou site Web permet de les rassembler, au moins partiellement, sur un thème ou dans un cadre historique et géographique précis. Le CD-Rom réalisé en collaboration avec l’Association Images et Mémoires et ICG-Mémoire Directe présente 3 000 documents, donc une petite partie seulement des 50 000 qui existent pour la même période (1890-1930) et les mêmes pays. Cette première réalisation doit frayer la voie à d’autres plus approfondies encore.

Trésors de Dar Al-Kutub

Ce projet, reproduisant sur CD-Rom un assortiment de manuscrits précieux de la Bibliothèque nationale du Caire (Dar Al-Kutub), offre un tour guidé à travers les splendeurs de la culture arabe et sa contribution à l’avancement de la connaissance dans de nombreux domaines scientifiques.

Manuscrits de l’Université de Vilnius

Ce projet ressemble à plusieurs égards au précédent. Il s’agit, à partir des collections de manuscrits, d’incunables et d’atlas anciens dont est riche la Bibliothèque de l’Université de Vilnius, d’illustrer par une série de CD-Rom et sur Internet les contributions européennes à l’avancement des sciences entre le XVe et le XVIIIe siècles.

Tous ces projets ont été financés au titre du Programme ordinaire de l’Unesco. D’autres ont reçu des fonds au titre du Programme de participation. Au nombre de ces derniers figure la sauvegarde des manuscrits d’Antonin Dvoràk et de Bedrich Smetana, qui se trouvent au Musée de la musique tchèque à Prague ; la fourniture de matériels et l’organisation d’activités de formation en Algérie, à Cuba, en Pologne et au Venezuela ; la reproduction et le rapatriement à Antigua des archives historiques conservées dans des dépôts étrangers ; la publication du Libro de los Pareceres de la Real Audiencia de Guatemala 1573-1655 ; la reproduction du fichier manuscrit de la langue russe des XIe-XVIIe siècles sur CD-Rom, pour favoriser l’accès à cette collection...

Une trentaine d’autres projets sont à l’étude : entre autres un projet en Albanie, la restauration et la préservation de 7 000 heures d’enregistrements de musique populaire chinoise, la préservation de manuscrits tamouls sur feuilles de palmier en Inde, la préservation du patrimoine filmique vietnamien, la préservation de manuscrits au Laos, la préservation d’une collection musicale juive à Kiev, la sauvegarde des manuscrits des villes anciennes de Mauritanie...

Cadre technique

Il ressort des exemples évoqués ci-dessus que les deux principes essentiels qui guident le programme sont, d’une part, la préservation des documents, des fonds ou des collections et, d’autre part, la démocratisation de leur accès. Ces deux principes sont indissociables, l’accès favorisant la sauvegarde et la préservation assurant l’accès.

Les phases essentielles de la réalisation de tout projet s’inscrivant dans le cadre du programme « Mémoire du monde » consistent à choisir et à préparer les documents à traiter, à leur assurer un environnement matériel convenable, à effectuer des prises de vue en cas de besoin, à les numériser, à décrire et annoter les documents, le cas échéant à assurer au personnel affecté à ces tâches une formation ponctuelle appropriée, à traduire éventuellement les descriptions bibliographiques, voire les textes eux-mêmes, et à assurer au produit réalisé la plus large diffusion possible.

Deux sous-comités sont constitués : le premier chargé de l’évaluation régulière des technologies utilisables par le programme et le deuxième chargé d’étudier les méthodes de marketing du programme. Le premier a tenu trois réunions au cours desquelles il a fait l’inventaire des innovations récentes en matière de numérisation et élaboré des normes de préservation ainsi que des directives techniques avec un tableau montrant, pour chaque type de support (textes et images fixes d’une part, son et images animées d’autre part), les normes de numérisation recommandées pour l’accès et la préservation. Il a estimé que la numérisation des documents était la meilleure formule de compromis entre des nécessités conflictuelles – à savoir ouvrir plus largement l’accès aux collections et mieux protéger les documents.

Le sous-comité a également recommandé que l’on utilise, comme principal outil de présentation des exemplaires numériques des manuscrits et des incunables le langage HTML/2.0 (HyperText Markup Language), afin de leur assurer l’accès le plus large possible.

Concernant la préservation des originaux, une publication offrira une compilation de listes annotées des normes les plus utiles. Elle portera sur les familles de documents suivantes :

– papier, cuir, parchemin, feuilles de palmier...,

– matériel photographique,

– matériel micrographique,

– matériel audiovisuel,

– fichiers électroniques,

– publications électroniques.

Cette publication comportera, pour chaque support, une réflexion sur les aspects généraux de sa conservation, dressera la liste des normes pertinentes en signalant les lacunes, proposera des principes directeurs pour leur mise en œuvre et une réflexion sur la conservation dans les pays du tiers monde, tels que les conditions climatiques et financières, les techniques de préservation traditionnelles et les normes minimales.

Trois inventaires

Enfin, pour que l’Unesco puisse jouer pleinement son rôle de coordinateur et de catalyseur, trois inventaires sont dressés en coopération avec l’IFLA, le Conseil international des archives et d’autres organisations professionnelles compétentes, telles que la Fédération internationale de documentation, la Fédération internationale des archives du film, la Fédération internationale des archives de télévision et l’International Association of Sounds Archives.

– Inventaire des collections de bibliothèques et des fonds d’archives ayant subi des destructions irréparables depuis 1900

Cet inventaire, publié sous le titre Mémoire perdue, bibliothèques et archives détruites au XXe siècle, représente une tentative pour recenser les catastrophes majeures qui ont détruit ou irréparablement endommagé des bibliothèques et des archives depuis le début du siècle. Des milliers de bibliothèques et d’archives ont été détruites ou gravement endommagées au cours des combats durant les deux guerres mondiales, notamment en Allemagne, en France, en Italie et en Pologne. La guerre a également provoqué d’incalculables destructions dans des bibliothèques et des archives, plus récemment, dans l’ex-Yougoslavie et dans beaucoup d’autres pays.

Préparé par J. van Albada (Conseil international des archives) et H. van der Hoeven (IFLA), ce document recense le patrimoine documentaire perdu dans plus de 100 pays. Cet inventaire est conçu non pas pour être une sorte de monument funéraire, mais pour alerter l’opinion publique et sensibiliser les milieux spécialisés, ainsi que les autorités locales et nationales à la disparition des trésors que contiennent archives et bibliothèques et pour appeler l’attention sur l’urgente nécessité de sauvegarder le patrimoine documentaire menacé.

– Collections de bibliothèques et fonds d’archives en péril

A ce jour, plus de 60 pays ont proposé des collections et des fonds pour inscription sur la liste du patrimoine documentaire en péril. L’Association internationale d’archives sonores a fait faire, dans le contexte de cette opération, une enquête (menée par George Boston) qui montre que la plupart des supports en péril ne sont pas nécessairement les plus anciens. Dans le domaine des archives sonores, un nombre important de disques et de bandes d’acétate se perdent chaque année. Tous les enregistrements uniques sur acétate qui sont en péril doivent être très vite copiés sur un nouveau support.

– Inventaire des actions en cours pour protéger des patrimoines documentaires

Des patrimoines documentaires ont été perdus par le passé, d’autres le seront à l’avenir. Le but de « Mémoire du monde » est de faire en sorte que les documents importants soient identifiés et sauvés. Les technologies actuelles nous permettent de repérer les patrimoines documentaires importants et d’y accéder. Cet inventaire, établi par Jan Lyall au titre d’un contrat avec l’IFLA, porte sur les principales activités de préservation en cours actuellement. L’information contenue dans ce document a été obtenue au moyen d’un questionnaire qui a été largement diffusé en allemand, en anglais, en espagnol, en français et en japonais, par l’intermédiaire du réseau du programme préservation et conservation (PAC) de l’IFLA. L’enquête était destinée à recueillir de l’information auprès des bibliothèques qui possèdent des collections présentant un intérêt national, afin de déterminer les problèmes existant dans différentes régions du monde et d’obtenir un instantané des activités actuelles de préservation. Plus de 200 réponses ont été reçues et saisies sur ordinateur.

Cette base de données, de même que la précédente, qui utilise CDS/ISIS, sera régulièrement mise à jour. Ces deux listes constitueront, avec le registre « Mémoire du monde », l’assise indispensable du programme. Par ailleurs, compte tenu de l’influence du cinéma dans le monde, il a été décidé, dans le cadre de la célébration du centenaire, de compiler et de publier, dans le contexte du programme « Mémoire du monde », une liste d’une quinzaine de films considérés par chaque pays comme représentatifs de ses grands chefs-d’œuvre cinématographiques. Cette liste peut être obtenue gratuitement auprès du Programme général d’information de l’Unesco sous le titre Patrimoine filmique national (CII-95/WS-7).

Enfin, l’Unesco a récemment publié des directives concernant le cadre technique, juridique et financier du programme et ses structures de travail. Ce texte est distribué gratuitement dans toutes les langues officielles de l’Unesco sous le titre Mémoire du monde, Principes directeurs pour la sauvegarde du patrimoine documentaire (CII-95/WS-11). Ces textes, ainsi qu’une présentation plus détaillée des projets pilotes, sont disponibles sur le site Web de l’Unesco : http://www.unesco/cii.

Cadre juridique et financier

Il est essentiel que les droits des propriétaires dont les fonds ou les collections font l’objet d’un projet soient respectés. Les relations entre les propriétaires et les partenaires techniques et commerciaux doivent être également clairement définies, notamment en ce qui concerne la détermination des droits de propriété des images produites et la répartition des bénéfices éventuels réalisés sur la vente des produits fabriqués à partir des images.

Mais il paraît aussi évident qu’une protection trop grande qui pourrait limiter l’accès aux documents serait contraire à l’un des principes fondamentaux du programme. Le Comité consultatif international a recommandé, lors de sa deuxième réunion, que l’Unesco porte une attention minutieuse aux questions juridiques concernant le patrimoine intellectuel dans le contexte nouveau créé par l’emploi croissant de stockage électronique dans les bibliothèques et les archives, afin d’assurer en particulier la liberté d’accès dans les limites fixées par les textes nationaux et internationaux. Un congrès international sur les aspects éthiques, juridiques et sociétaux de l’information numérique se tiendra du 10 au 12 mars 1997, à Monte Carlo.

S’agissant enfin du cadre financier, un fonds international est actuellement créé au sein de l’Unesco pour le financement de certains des projets inscrits dans le cadre du programme. Parmi ces derniers, figureront en priorité les projets ayant une dimension régionale, voire internationale. D’autres projets répondant aux critères définis pourraient arborer le label « Mémoire du monde » sans bénéficier nécessairement de l’aide de l’Unesco ou du fonds. Un compte spécial de l’Unesco a été ouvert pour « Mémoire du monde » (réf. 406 INT 61).

Chaque projet « Mémoire du monde » constituera une entité à part entière notamment sur le plan financier. S’il est exclu de faire dépendre l’exécution d’un projet de la réalisation de profits, il reste que chaque projet doit trouver un équilibre financier entre, d’une part, les investissements nécessaires à la numérisation, la reproduction et la diffusion des produits, ainsi qu’à la mise en état de conservation des collections et des fonds reproduits et, d’autre part, l’apport initial d’un financement local ou extérieur et les droits et redevances provenant de la vente des produits. Cet équilibre ne peut être réalisé sans la participation de mécènes et de partenaires techniques et financiers. La recherche de partenaires est une phase importante, voire décisive, de tout projet « Mémoire du monde ».

Le sous-comité « Marketing » a tenu sa première réunion à Oslo en juillet 1996. Il a esquissé une stratégie de collecte de fonds pour le Programme, ainsi qu’un plan de promotion et de marketing et un cadre juridique. Les participants étaient d’avis qu’il existe une possibilité pour « Mémoire du monde » de conclure des accords de partenariat avec les compagnies les plus importantes dans le domaine de la création et de la préservation de la mémoire et de la connaissance. Ils ont également suggéré que le marketing du Programme devait être dirigé dans un premier temps vers les milieux professionnels à travers leurs associations et leurs publications. L’idée d’inviter des auteurs célèbres et des lauréats de prix littéraires à écrire sur le Programme et à mieux le faire connaître a été également évoquée.

Le programme « Mémoire du monde » a suscité, dès son lancement, un très grand intérêt. Des demandes d’aide, parfois même des appels au secours, parviennent régulièrement à l’Unesco. La tâche est immense et seule la mobilisation de toutes les parties concernées permettra de traduire les intentions annoncées en un vaste chantier mondial de sauvegarde, de reproduction et de diffusion des trésors documentaires en péril 1.

Décembre 1996