Entretiens Nathan, actes VI. l'école

diversités et cohérence

par Francis Marcoin
Sous la dir. d'Alain Bentolila. Paris : Nathan, 1996. - 207 p. ; 21 cm. - (Nathan pédagogie). ISBN 2-09-177782-X

Pour l'essentiel, les Entretiens Nathan 1995 s'intéressent à la question du sens. Quel sens cela a-t-il d'aller à l'école, quel sens telle activité présente-t-elle pour moi ? Quel sens peut-on donner à telle ou telle erreur, à telle « faute » ? Question institutionnelle, politique et sociale, mais question également posée sur le plan cognitif et même « métacognitif ».

Diversité et laïcité

En ouverture, Michèle Gendreau-Massaloux rappelle que la formule « aller à l'école » ne signifie pas la même chose pour tous les enfants, ce qui entraîne des résultats inégaux. Comment éviter la constitution de ghettos tout en reconnaissant la différence ? Il y a là un paradoxe ainsi énoncé : « L'enseignant, qui est un individu, s'adresse à un individu dans ses composantes les plus particulières, sans les connaître toutes. Mais il passe, dans cette relation, par des savoirs universels ».

Paradoxe qui touche à notre idée de laïcité, concept sur lequel revient Martine Abdallah-Pretceille. Dans un propos remarquable, méticuleux et engagé, elle affirme que « le concept de culture ne permet plus de penser la diversité culturelle ». La culture est comme « naturalisée », donnée comme un a priori propre à tout justifier. Il faudrait plutôt parler de culturalité, terme lié à une dynamique des échanges et des transgressions. Le lecteur constate qu'on est passé de la différence à des différences, lesquelles sont à reconnaître et à discuter de part et d'autre, en évitant toute radicalité et en abandonnant les « discours victimaires, car ces derniers conduisent inéluctablement à des logiques de repli, de fermeture et donc de rejet, d'exclusion et de violence ». Cette réflexion déborde le cadre scolaire et mériterait d'être méditée par tous les acteurs sociaux du moment.

Diversité et médiation

Toute une série d'interventions plus directement pédagogiques sont également fondées sur le principe de dialogue et d'échanges. En somme, si l'élève doit comprendre ce qu'on lui demande de faire, il faut aussi que le maître comprenne ce que fait, ce que comprend cet élève.

Britt-Mari Barth analyse le rôle du médiateur dans la cohérence du sens et propose des « scénarios pédagogiques » pour engager les apprenants dans un processus de réflexion. C'est cette question de la médiation que reprend Alain Bentolila en la proposant comme mission de l'école maternelle, au plan linguistique. Il avance une idée forte : « C'est vraisemblablement la maîtrise de la langue orale qui conditionne un destin scolaire et un destin social. Plus encore que la communication écrite ».

Dans la même perspective, Stella Baruk entend lutter contre les automatismes à l'aide de toute une série d'anecdotes montrant qu'en mathématiques, il est très facile de produire du non-sens. D'où l'erreur, qui est une réponse faite à une question posée, produite par ce qu'on sait et par ce qu'on pense. D'où « les difficultés de l'enfant » et la recherche de médiation, alors qu'il n'y a pas eu médiation.

Jacques Lévine, s'intéressant au « milieu de classe », aux « suivistes » plutôt qu'aux élèves en difficultés lourdes, soulève toute une série de non-dits à propos de l'enseignement de la lecture et propose quant à lui la notion « d'alliance cognitive pour faire naître et développer le désir de comprendre ». D'une certaine façon, Philippe Perrenoud adopte la même démarche en traitant des « infimes différences », de « l'ultime différence », qui reste décisive malgré toutes les réformes structurelles.

Mais au-delà du plan strictement cognitif, il s'attache aux différences entre maîtres et élèves, à cette « distance invisible » qui peut les séparer tant du côté des savoirs que des civilités, l'école vivant sur une inégalité en partie construite puisque le maître détient le pouvoir de choisir la bonne solution, la bonne manière de traiter les choses. La réflexion est ici déplacée vers la classe elle-même et invite à une formation des maîtres qui prenne en compte cet indispensable travail sur soi.

Diversité et pédagogie différenciée

Philippe Meirieu, dans une très longue contribution, propose un rappel historique et une synthèse de ses propres recherches. Promouvant une pédagogie de l'occasion et se référant aux arts de faire de Michel de Certeau ou à la pensée de Jankélévitch, il rompt avec une vision techniciste de l'éducation. Pour définir ce qu'il appelle le « moment pédagogique », il n'hésite pas à recourir au mot compassion ; pour parler de la « mémoire pédagogique », il invoque la prudence. Le pédagogue, contre toute une tendance contemporaine, se situe dans le sillage de la philosophie et de la littérature, montrant l'importance de ce qu'on pourrait appeler un style en éducation.

Appelant à « une réforme de la pensée », Edgar Morin va dans le même sens : par cette réforme, on rapprocherait ce qui est conçu de façon disjointe et la mission de l'enseignement serait l'apprentissage de la reliance. Programme de haute volée, magnifiquement énoncé, mais un peu éloigné des difficultés quotidiennes de l'enseignant. Il revenait à François-Victor Tochon de rappeler l'apport inestimable de celui-ci, et notamment de celui qu'il nomme « l'enseignant-expert », apte à maintenir la cohérence de ses buts tout en acceptant la diversité d'initiatives des élèves. Un enseignant-expert qui sait improviser à bon escient en s'appuyant sur l'inattendu de la classe, et avec qui le chercheur doit oeuvrer en coopération au lieu de travailler sur des données indépendantes des acteurs.

Ce propos résume à sa façon l'apport de ce livre qui, tout en introduisant aux réflexions les plus avancées sur ces questions, prend appui bien souvent sur l'expérience de la classe et reste dans les limites de cette prudence appelée par Philippe Meirieu. Livre instructif pour ceux qui ont à passer des concours de recrutement, et stimulant pour ceux qui ont déjà à enseigner.