Les cDI à l'heure du management.

par Jean-Pierre Brèthes

Michèle Mollard

Préf. de France Vernotte. Villeurbanne : enssib ; Paris : FADBEN, 1996. - 159 XIX p. ; 24 cm. ISBN 2-910227-09-X : 150 F

Les CDI, centres de documentation et d'information des lycées et collèges, sont devenus en deux décennies, dans bien des endroits, le coeur vivant de ces établissements, en même temps qu'une des clefs de la réussite scolaire. C'est qu'ils sont à la fois bibliothèques - et même de plus en plus médiathèques - que gère le professeur-documentaliste, centres de ressources multimédias destinés à la recherche documentaire des élèves, et lieux de formation, puisqu'il y a là une collaboration effective à l'enseignement, source de tension d'ailleurs. Car, comme le souligne France Vernotte dans la préface, le rapport gestion/pédagogie est souvent mal vécu sur le terrain. Une approche de type managérial peut-elle permettre d'y voir plus clair et de dépasser cet antagonisme ?

La question du management

Poser la question du management, c'est se demander si nous sommes ici dans une entreprise soumise aux impératifs économiques de rentabilité et de productivité. Évidemment non, la logique est éducative et culturelle : néanmoins, on doit amener l'élève à la réussite scolaire et, dans le cadre du CDI, à l'autonomie en recherche documentaire et à l'acquisition de savoirs et de savoir-faire. Cela constitue d'une certaine façon un objectif politique de rentabilité, puisque cela joue un rôle important dans la socialisation future et dans l'insertion professionnelle.

Gérer au mieux le budget d'acquisitions 1, rédiger un cahier des charges pour l'informatisation, sont des enjeux économiques ; de même, la concurrence entre les établissements d'enseignement - et donc les CDI- peut se rapprocher de la concurrence économique.

Par ailleurs, l'analyse de la valeur, la démarche marketing et la démarche qualité sont largement entrées dans les moeurs des centres de documentation d'entreprise : priorité au client. Enfin, l'évaluation du service devient à son tour un objectif. Peut-on adapter ces méthodes aux CDI ?

L'auteur montre que leur évolution a suivi celle de l'éducation, qu'on est passé du savoir au savoir apprendre, du travail sur documents à la culture de l'information. Le professeur-documentaliste est en fait au carrefour de l'enseignant, de l'apprenant et de l'expert en information, mais sa fonction pédagogique est en première ligne dans ses missions. Celles-ci recouvrent aussi un travail relationnel important, tant avec l'équipe éducative et les élèves à l'intérieur de l'établissement que vers un partenariat extérieur diversifié, sans oublier des tâches de gestionnaire du centre de ressources.

Aussi la gestion du temps est-elle le point noir des documentalistes, d'autant plus que leurs trente heures de service ne collent pas forcément à l'ensemble des heures d'ouverture de l'établissement : que devient le CDI en leur absence ? Peut-il valablement fonctionner avec un vacataire peu qualifié du type CES (contrat-emploi- solidarité) 2. ?

La qualité du service

En terme de management, on peut aussi se poser la question de la qualité du service, mot un peu honni des professeurs-documentalistes pour sa connotation ancillaire. L'accompagnement de l'élève prend du temps, mais c'est un investissement qui en fait gagner sur le long terme, et le temps en question est donné à l'utilisateur, qui devient prioritaire, et non plus à l'outil.

Au niveau individuel, la qualité du service est atteinte lorsque la demande d'aide s'efface au profit de la demande autonome, d'une façon plus collective, lorsque l'outil-CDI devient à la fois média et lieu d'apprentissage, dans un véritable travail d'équipe. C'est ce qui devrait permettre de dépasser le débat gestion/pédagogie, en montrant que la valeur ajoutée par le documentaliste se situe non seulement en amont, dans le traitement de l'information, mais aussi et surtout en aval, dans la formation à l'information. Manager serait alors supprimer des pratiques fondées sur une simple addition des tâches pour mettre toute l'énergie au service de la finalité pédagogique et développer l'approche-usagers, ce qui rééquilibrerait l'offre et la demande 3).

On le voit, le travail de Michèle Mollard, qui utilise les outils modernes de l'analyse managériale, est très documenté et ouvre des perspectives qui peuvent intéresser aussi les bibliothécaires en général. Il est solidement complété par une bibliographie dense, et, en annexes, par la fameuse circulaire de mission du 13 mars 1986 qui régit les tâches des professeurs-documentalistes, et par les résultats d'une enquête de 1995 sur la profession.

  1. (retour)↑  Le budget d'acquisitions est malheureusement souvent très bas, bien inférieur en tout cas, à ce qu'il devrait être pour assurer un bon renouvellement des collections, surtout dans une perspective multimédia.
  2. (retour)↑  Il faudrait dénoncer vigoureusement ce scandaleux détournement des personnes en difficulté, engagées en contrat-emploi-solidarité dans trop de CDI comme de bibliothèques, pour pallier l'insuffisance de personnel. Si encore ils recevaient une véritable formation ou une préparation aux concours, comme les textes y incitent les employeurs ! Ces contractuels ne débouchent en fait le plus souvent que sur le chômage. Un comble, quand on sait que parfois ils remplacent effectivement le titulaire et sont seuls face aux élèves en CDI.
  3. (retour)↑  L'approche-usagers serait ici de développer des collections correspondant à des élèves de notre temps. Mais ceci supposerait des crédits en suffisance pour étoffer et diversifier les fonds.