La formation des utilisateurs dans une université américaine

Hélène Lorblanchet

Même si des initiatives individuelles dans le domaine de la formation des usagers ont toujours existé, ce n’est qu’assez récemment que celle-ci est devenue une composante systématique et organisée du travail des bibliothécaires dans les universités américaines 1.

The bibliographic instruction

Le nom de bibliographic instruction, généralement abrégé en « BI », donné habituellement à cette discipline bibliothéconomique, ne recouvre qu’imparfaitement l’évolution réelle des actions en matière de formation.

En effet, si l’initiation aux principaux instruments bibliographiques d’une discipline donnée, faite souvent dans la salle de cours et sur le modèle classique du cours, existe encore ici ou là, elle est souvent remplacée, ou au moins complétée, par une multiplication assez impressionnante des formations de tous types et sur tous supports, pour des publics variés. Et si toutes ces actions ne sont pas forcément novatrices dans leur principe, c’est la coordination et l’effort de cohérence de l’ensemble qui en font l’intérêt pour l’observateur.

C’est ainsi qu’à l’Université de Californie à San Diego (UCSD), dans chaque bibliothèque 2, un bibliothécaire est responsable de l’organisation et de la coordination de toutes les formations, dispensées par ses collègues et lui-même. Il définit les différents types d’action possibles et les publics visés, établit les plannings, procède éventuellement aux évaluations quantitatives et qualitatives nécessaires, fournit parfois à ses collègues des « mémos » récapitulant les principaux points à développer, etc.

Par ailleurs, la plupart de ces bibliothèques s’équipent en salles réservées à la formation : au minimum, c’est une salle de cours équipée d’un ordinateur relié au réseau et d’un rétroprojecteur, mais c’est parfois mieux encore. Ainsi, la bibliothèque de sciences de l’UCSD est-elle équipée de deux salles de formation ; l’une comprend douze Macintosh offerts par Chemical Abstracts en échange de la possibilité de venir former de nouveaux utilisateurs de la base ; l’autre est riche de douze Hewlett-Packard donnés par cette société pour subventionner un projet commun de la bibliothèque et du département d’Ingéniérie. Les deux salles sont, en dehors de ces contraintes spécifiques, disponibles pour toutes les formations dispensées par les différentes bibliothèques, et lorsqu’elles sont libres, pour le travail personnel des étudiants.

Parmi les actions entreprises, la plus courante et la plus classique est la visite commentée de la bibliothèque. Elle est particulièrement proposée aux nouveaux arrivants, en début de trimestre : à la bibliothèque de sciences humaines et sociales, par exemple, treize visites étaient organisées pendant la semaine d’accueil général des étudiants sur le campus, et deux chacune des deux semaines suivantes. Annoncées par voie d’affiche, parfois destinées à un public particulier (étudiants étrangers, ou venant d’une autre université), elles peuvent réunir 70 ou 80 personnes, conduites par quatre bibliothécaires. La visite proprement dite est relayée par une présentation multimédia des services de la bibliothèque : ainsi, chaque bibliothécaire encadre un groupe d’une dizaine de personnes seulement, nombre maximum pour un résultat efficace.

Autre type d’action largement répandue, la BI proprement dite, c’est-à-dire la formation à l’utilisation des ressources documentaires d’une discipline particulière. A la démonstration des principales bibliographies papier de la discipline est maintenant préférée la présentation des outils électroniques, particulièrement des bases de données en ligne, auxquelles l’accès libre et gratuit est offert sur le campus grâce à un regroupement des différentes bibliothèques de l’université de Californie. Les grandes bases américaines, comme Medline, Current Contents, MLA Bibliography, sont ainsi interrogeables à l’aide d’une interface relativement homogène, mais gardent bien sûr leurs spécificités et leurs propres systèmes d’indexation. Les formations dispensées, d’une heure trente à deux heures, portent essentiellement sur ces problèmes (choix de la base pertinente, du mot-clé, combinaison des critères de recherche, etc.). En revanche, les CD-Rom, dont l’utilisation est supposée plus habituelle, ne font qu’exceptionnellement l’objet de formations proprement dites : si un lecteur en exprime le besoin, il sera renseigné sur le champ et individuellement.

Le World Wide Web

La grande nouveauté, moins d’ailleurs du point de vue des méthodes que du contenu et du support, est bien sûr l’arrivée du World Wide Web. Toutes les bibliothèques proposent déjà ou mettent en place une formation à son interrogation.

En réalité cependant, l’enjeu est moins d’apprendre à utiliser un logiciel d’interrogation réputé pour sa convivialité – en l’occurrence Netscape – que d’aider les lecteurs à « s’y retrouver » dans la masse des informations disponibles. L’accent est mis sur les webcrawlers et sur quelques critères d’évaluation qualitative des serveurs. Surtout, les bibliothécaires de l’UCSD ont, comme d’autres, développé leurs propres pages Web : ce faisant, leur but n’est pas seulement de promouvoir leur établissement, mais bien de se poser en intermédiaire actif entre l’utilisateur final et la pléthore d’informations disponibles.

Ainsi, les différents bibliothécaires responsables d’un secteur disciplinaire ont fait une présélection critique et une présentation structurée des principaux serveurs dans leur discipline, offrant une valeur ajoutée aux informations disponibles sur Internet, sans pour autant limiter aucunement la liberté d’accès. Lors des formations, ce sont ces serveurs qui sont présentés, en même temps que les différents renseignements disponibles sur la bibliothèque et l’université elles-mêmes (http://infopath.ucsd.edu). Précisons que le serveur de l’université tout entière est géré par la BU, qui s’y réserve de ce fait une place de choix.

Ces différents types de formation sont présents dans l’ensemble des bibliothèques de l’UCSD, et, gageons-le, dans la plupart des BU américaines. Cependant, certaines options peuvent être différentes : par exemple, le recours aux étudiants « tuteurs » comme relais de formation n’est pas adopté à l’UCSD en raison du risque de transmission erronée de l’information : d’autres établissements y ont pourtant recours avec un certain succès. Par ailleurs, la bibliothèque a parfois du mal à faire reconnaître son point de vue en matière de formation des étudiants : ainsi, il existe un cours sur les techniques de recherche documentaire, intégré au cursus, assuré par des bibliothécaires et fondé sur les travaux que les étudiants doivent rendre dans d’autres disciplines. Mais ce cours n’est suivi que par une quinzaine de personnes par trimestre.

Et inversement, les writing classes, enseignements de méthodologie largement répandus, et censés initier entre autres aux techniques de recherche, sont assurées par des enseignants qui, par manque de temps et d’information, collaborent très rarement avec la bibliothèque : à tel point que, devant le flot d’étudiants chargés d’une recherche identique, les bibliothécaires finissent par la faire à leur place et par leur communiquer directement le résultat... méthode dont la valeur pédagogique est pour le moins discutable !

Plus généralement, la collaboration avec les enseignants n’est pas toujours facile. Les liens sont plus souvent individuels qu’institutionnels, et la simple information sur les formations, par exemple celles proposées par le bibliothécaire spécialiste de la discipline, peut se révéler problématique : seuls quelques étudiants viennent alors à ces formations, qui perdent de ce fait une partie de leur intérêt.

Vers l’outreach

Si tout n’est pas parfait, les professionnels américains cherchent cependant à rendre toujours plus efficaces leurs actions en matière de formation des utilisateurs. Pour un nombre croissant d’entre eux, cela passe par une évolution de la bibliographic instruction vers l’outreach, qui vise plutôt à atteindre l’utilisateur là où il se trouve, physiquement mais surtout intellectuellement, en partant de ses besoins. L’essentiel est alors moins de décrire les bibliographies d’une discipline que d’enseigner des compétences réutilisables sur un autre système et de donner une vision globale du fonctionnement du « monde de l’information ».

Pour cela, il est bon de varier les approches pédagogiques : les méthodes traditionnelles ne sont pas forcément inefficaces, mais les nouvelles technologies sont un des éléments qui permettent de les compléter et de les diversifier. Multiplier les supports permet de multiplier les chances de succès : la messagerie électronique peut être un support à une formation « par correspondance » ; une borne interactive ou une vidéo de présentation peuvent séduire certains plus qu’une visite guidée à horaire imposé. Les fiches d’information sur des sujets très variés – allant des horaires des différents services à une bibliographie des ressources sur un sujet ou au mode d’emploi d’un outil – sont quant à elles un des moyens les plus classiques et les plus répandus.

Enfin, le contact humain sera toujours indispensable. C’est souvent par lui que passe toute une partie de la formation, informelle cette fois, mais tout aussi importante, des lecteurs : le bureau de renseignements est ainsi l’objet de soins particuliers, les bibliothécaires y sont généralement plusieurs et leur formation approfondie leur permet de répondre aux questions les plus pointues. C’est sans doute là, plus que lors de formations collectives, que la majorité des utilisateurs trouvent des réponses à leurs questions sur le fonctionnement de la bibliothèque, l’interrogation des bases de données en ligne ou sur CD-Rom, etc.

Les enseignants sont une des cibles privilégiées de ce type d’approche : par les contacts individuels, par des bulletins d’information réguliers (sous forme électronique ou papier) sur les nouveautés de la bibliothèque, mais surtout par le développement de services répondant spécialement à leurs besoins, tel que le « Library Express ». Ce service permet de se faire livrer, à son bureau sur le campus, le document sélectionné par simple consultation du catalogue de la bibliothèque ou de l’ensemble des bibliothèques de l’université de Californie. Dans ce cas, le document aura été automatiquement demandé par le biais du prêt entre bibliothèques.

Fort appréciée, cette possibilité n’est qu’un exemple de la politique selon laquelle c’est la bibliothèque qui doit répondre aux besoins du lecteur, et non le lecteur qui doit s’adapter aux contraintes de la bibliothèque. Certains en arrivent à la conclusion que la meilleure bibliothèque sera celle où la formation sera devenue inutile, parce que tout y sera organisé pour être immédiatement compréhensible de tous. Même si des efforts ont été et sont toujours faits en ce sens (une bonne signalisation ou un catalogue en ligne convivial en sont des exemples), un tel but est encore bien lointain...

  1. (retour)↑  Cet article a été écrit à la suite d’un séjour d’étude effectué en septembre et octobre 1995 à la bibliothèque de l’université de San Diego, en Californie (ucsd), afin d’y observer les méthodes américaines en matière de formation des utilisateurs. Les professionnels chargés de ces tâches paraissent extrêmement motivés, dynamiques. Ils ont un fort goût du contact avec les lecteurs et de remarquables dons pour l’accueil – dont ils font d’ailleurs fort gentiment bénéficier leurs collègues étrangers !
  2. (retour)↑  La bibliothèque universitaire en compte neuf, certaines très spécialisées comme celle de l’Institut d’océanographie, d’autres plus généralistes, et une pour les premiers cycles.