Lecture publique et multimédia

Serge Desgranges

Ce n’est pas par hasard que la ville de Limoges, qui a elle-même un ambitieux projet de bibliothèque multimédia, a accueilli, le 12 avril dernier, une journée d’étude intitulée « Lecture publique et multimédia », organisée par la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture et l’Association des bibliothécaires français, en présence d’une soixantaine de personnes : élus locaux, responsables des services culturels, bibliothécaires, enseignants.

Le phénomène multimédia

Dans une approche courte et claire, Philippe Debrion, du réseau des médiathèques de Saint-Quentin-en-Yvelines, présentait le phénomène multimédia, insistant en particulier sur les notions d’interactivité, de réalité virtuelle, de off line/on line. Les bibliothèques publiques ne sont pas encore partie prenante de cette nouvelle offre de façon notable, à l’exception de Valenciennes qui propose un catalogue multimédia. Enfin, la médiation, très importante à ses yeux, va jouer un rôle déterminant dans les rapports avec le public.

Dominique Lahary, de la bibliothèque départementale de prêt du Val-d’Oise, décrivait le système Internet à travers ses aspects les plus connus : la messagerie et le World Wide Web, système de navigation hypertexte et hypermédia qui permet l’accès à une multitude de ressources libres et gratuites.

Les bibliothécaires et les informaticiens sont confrontés aux problèmes de formation aux multimédias, dus à la mouvance de l’information. Les bibliothèques doivent être présentes au sein des réseaux afin d’échapper au cloisonnement institutionnel, et, au-delà, être le fer de lance de la bataille pour la défense de la francophonie qui se joue sur les réseaux. Dominique Lahary exhorte enfin à ne pas confondre communication et information, information et connaissance.

Le sous-équipement informatique des bibliothèques est flagrant. Pour Christian Ducharme, de l’Institut de formation des bibliothécaires, celles-ci sont prisonnières de systèmes fermés qui ne favorisent pas la communication de l’information multimédia. Le développement de l’architecture client-serveur permettra la communication de l’information bibliographique, mais aussi du document primaire numérisé et des images, en même temps qu’un accès aux ressources d’Internet.

Christian Ducharme décrit l’expérience de la bibliothèque municipale de Lyon qui s’oriente de manière pragmatique vers un système multimédia, valorisant à la fois le développement du CD-Rom et la numérisation de dossiers de presse et de documents iconographiques. Les réseaux locaux doivent être développés par l’établissement de liens entre bibliothèques, musées et autres sites documentaires, qui puissent déboucher sur la communication avec d’autres réseaux. Enfin, pour lui, le choix à faire est celui de la fibre optique.

Les services multimédias

A la médiathèque d’Issy-les-Moulineaux 1, représentée par Jean-François Jacques, les services multimédias sont décidément à la pointe. Les usagers disposent gratuitement de treize micro-ordinateurs en réseau, d’un scanner, d’une imprimante, pour la consultation de dictionnaires, didacticiels, logiciels de traitement de texte et d’OCR (Optical Character Reader). Ces services totalisent 300 heures hebdomadaires d’utilisation sous le contrôle d’un technicien animateur. L’accès à Internet est facturé 24 F de l’heure et des ateliers hebdomadaires d’initiation sont organisés. 450 CD-Rom 2 sont offerts à la consultation par « paniers thématiques » sur deux micro-ordinateurs.

Emmanuel Dousset, de la bibliothèque de Saint-Étienne, présentait le réseau BRISE (Bibliothèques en réseau informatisé de Saint-Étienne), qui, s’il n’est pas encore multimédia, relie, au moyen d’une seule machine, d’un seul catalogue, et d’un seul fichier lecteur, les institutions culturelles et documentaires de la ville, musées, bibliothèques et annexes, archives, conservatoire, université… pour la plus grande satisfaction des usagers, sollicités récemment par le biais d’une enquête. L’ouverture sur le multimédia est engagée, près de 600 titres de CD-Rom sont proposés, et la numérisation du fonds local est en projet. On annonce la création d’une « Association pour le développement des documents numériques en bibliothèques ».

A la Bibliothèque publique d’information, c’est la cohérence et la richesse documentaires qui sont premières et guident l’acquisition de tel ou tel document sur tel ou tel support. Pour Dominique Baude, le support CD-Rom, extraordinaire alliance du son, du texte et de l’image, apparaît comme la meilleure initiation aux nouvelles technologies de navigation. Les bibliothèques doivent devenir des lieux sociaux aptes à répondre à des besoins latents et non exprimés. La formation des personnels et des publics est indispensable dans le cadre de politiques à long terme.

La journée se termina par une démonstration qui préfigure l’enseignement du futur. Une liaison multimédia, organisée par le réseau MAFPEN (Mission académique à la formation des personnels de l’Éducation nationale) de Limoges, présenta un exemple de mutualisation des échanges au niveau académique. Celle-ci est destinée à favoriser les relations interactives enseignants/enseignants ou enseignants/élèves, au moyen d’ordinateurs distants reliés entre eux et grâce au développement de logiciels à vocation pédagogique.

Pour Serge Kancel, directeur adjoint du livre et de la lecture, chargé de la synthèse de fin de journée, il faut recommander aux professionnels l’audace, mais aussi la pertinence et la prudence des choix face au développement du multimédia. Le rôle du médiateur culturel est très important : il doit veiller à ce que l’inégalité financière du public face à cette mutation ne se manifeste pas par une inégalité plus grande d’accès à la culture, mais que soient au contraire privilégiés les nouveaux supports dans le cadre des actions d’aide à la culture. Il doit s’interroger sur l’évolution des métiers et des qualifications au sein de cette nouvelle culture de l’information où fournisseurs et demandeurs se confondent, où consulter c’est posséder. Enfin, il doit se demander comment agir et réagir face à l’explosion du multimédia, c’est-à-dire convaincre les élus et au-delà, l’ensemble de l’équipe municipale de l’importance de certains choix.

  1. (retour)↑  La genèse du projet de médiathèque de cette ville avait été présentée au début du colloque par Isabelle Dapremont, chargée de la Culture, de la Jeunesse et de l’Animation à la mairie de cette ville. Mis en œuvre dès 1985 à la suite du rapport de Michel Melot portant sur la création d’une médiathèque intégrant de nouveaux services et supports, et faisant partie dès le départ d’un programme zac (zone d’aménagement concerté) bureaux/logements/ médiathèque, ce projet a bénéficié d’une coordination unique et d’un pilotage par le service culturel de la mairie. L’organigramme de fonctionnement, mis en place deux ans avant l’ouverture, prévoyait l’ouverture le dimanche, et une politique tarifaire à plusieurs niveaux. Le succès fut immédiat, conforté par une politique d’animation très dynamique, à laquelle un poste fut d’emblée réservé. Un partenariat original fut mis en place avec le conseil général et deux voisins de la médiathèque, la Cinquième chaîne et la société Compaq autour d’un projet d’aide à la lecture.
  2. (retour)↑  Une partie de ces cd-rom est en prêt. 2 000 prêts pour 400 utilisateurs ont été comptabilisés en 1995.