Des Allemands dans l'industrie et le commerce du livre à Paris

1811-1870

par Philippe Hoch

Helga Jeanblanc

Paris : CNRS-éd., 1994. - 292 p. ; 24 cm. - (De l'Allemagne). ISBN 2-271-05205-X. ISSN 1422-8809. 245 F

A l'occasion d'un colloque qui visait à dresser un bilan de la recherche bibliologique européenne, Frédéric Barbier plaidait en 1990 pour une « histoire comparée du livre » qui mît en relation deux ensembles culturels et linguistiques distincts. Exemples à l'appui, le titulaire de la chaire d'Histoire et civilisation du livre à l'École pratique des hautes études montra combien les relations entre la France et l'Allemagne, spécialement au XIXe siècle, constituaient un terrain digne d'être exploré de façon approfondie.

L'ouvrage que propose une germaniste de l'université de Montpellier, Helga Jeanblanc, offre un exemple convaincant de l'intérêt présenté par de telles investigations entreprises dans une perspective résolument comparatiste. En s'efforçant de peindre « un panorama aussi complet que possible de la vie et de l'activité des libraires, imprimeurs et maîtres de lecture allemande installés à Paris » entre 1811 et 1870, l'auteur réunit, ordonne et commente une somme d'informations dont les spécialistes de l'un et l'autre domaines, français et germanique, pourront tirer un large profit. L'introduction de l'ouvrage présente le contexte de ces échanges entre « hommes du livre », en mettant l'accent sur les données démographiques (les fluctuations de l'émigration allemande en France), économiques et législatives (avec, en particulier, l'obligation de détenir un brevet, délivré cependant aux seuls Français de souche ou étrangers naturalisés).

Médiateurs

La présence allemande « dans l'industrie et le commerce du livre à Paris » revêtit des formes très diverses qu'une première partie met en lumière sous le titre de « Typologie ».

Présents dès la fin de l'Ancien Régime, les cabinets de lecture, nombreux et diversifiés, destinés à des publics hétérogènes, représentent les « précurseurs de la diffusion de l'imprimé allemand en France ». Ils exercèrent un rôle décisif de « médiation », grâce aux leçons d'allemand qu'on y dispensait ou aux travaux de traduction que réalisaient ces « maîtres de lecture ». Par ailleurs, dès la fin du XVIIIe siècle, des Allemands ouvrirent dans la capitale française des « librairies internationales », en misant sur une grande « diversité des activités commerciales », réunissant « la location de lecture, la commission pour la France et/ou l'étranger, la vente et l'édition », ainsi que, dans certains cas, l'organisation de ventes aux enchères de livres anciens. Helga Jeanblanc propose deux exemples de « réussite spectaculaire », ceux de Vieweg et de Klincksieck.

Plus tardivement, à partir des années 1930, des « librairies généralistes » s'ouvrirent sur les rives de la Seine, d'abord sous le label de « librairies françaises et étrangères », puis, à partir de 1855, sous la dénomination de « librairies allemandes ». Paris ne manqua pas non plus de librairies spécialisées tenues par des Allemands, principalement dans les domaines du livre d'art et de l'estampe d'une part, de l'édition musicale de l'autre, sans oublier les librairies scientifiques ou celles qui se consacraient au commerce du livre ancien, activité « la plus conforme à l'idéal du libraire-savant cher aux gens du livre en Allemagne », incarné notamment par un Edwin Tross ou par l'association Liepmannsohn et Dufour.

Le cinquième chapitre est consacré aux imprimeurs. Si les typographes venus d'outre-Rhin étaient nombreux à Paris, il n'en allait pas de même des patrons, en raison des difficultés d'obtention du brevet. En revanche, la lithographie, mise au point par l'un d'eux, Senefelder, demeura « longtemps un fief des imprimeurs allemands ».

Antiquaires

Dans la seconde partie de son livre, Helga Jeanblanc se propose de mettre en lumière « quelques réussites ». Celle, d'abord, des frères Brockhaus, qui jouirent « de conditions d'installation privilégiées », ou celle de la maison d'édition de Carl Reinwald, actif durant plus de quarante ans et en qui l'auteur voit « un des personnages les plus intéressants parmi les libraires d'origine allemande ». Dans le domaine de l'« Antiquariat », comme l'on dit de l'autre côté du Rhin, Edwin Tross a mené une carrière exemplaire d'« Antiquaire » et d'éditeur dont témoignent en particulier des « rééditions et impressions en fac-similé d'ouvrages anciens, d'une présentation très soignée ». Avec Bauerkeller & Cie, nous avons affaire à « une imprimerie de l'ère industrielle », soucieuse de constantes améliorations et innovations techniques, notamment pour l'impression en couleurs et en relief, tandis que l'imprimeur Elias Schiller offre « l'exemple d'une insertion sociale particulièrement réussie ».

Bien sûr, l'influence considérable des Allemands dans les métiers du livre à Paris ne se limite pas à ces noms connus. Pour en mesurer toute l'étendue, il convient de consulter, en troisième partie, un répertoire alphabétique de quelque cent soixante-dix notices biographiques, élaborées grâce à de patientes recherches menées dans les fonds d'archives. Le relevé des sources manuscrites et imprimées, une importante bibliographie et un index des personnes complètent cette thèse de doctorat accueillie, comme elle le méritait, dans la collection « De l'Allemagne ».