Les documents graphiques dans les bibliothèques et les archives

État des pratiques de conservation

Jean-Marie Arnoult

A la demande de la direction des Archives de France, une enquête sur les pratiques de conservation des collections a été commandée en 1994 à un cabinet d'expertise technologique par la mission Recherche et Technologie du ministère de la Culture. Ce sont les résultats de cette enquête, élargie aux bibliothèques, qui sont présentés ici.

On request of the Direction des Archives de France, a survey about practicing the conservation of collections has been ordered in 1994 to a consultant for a technological expert evaluation by the Recherche et Technologie Service of the ministère de la Culture. The results of this survey, which includes the libraries, are presented in this paper.

Im Auftrag der Direction des Archives de France wurde 1994 eine Untersuchung über die Bewahrungsweisen der Sammlungen von einem technologischen Gutachtensbüro durchgeführt auf Kosten der Forschungs- und Technologiedelegation (mission Recherche et Technologie) des Kulturministeriums. Hier werden die Ergebnisse dieser Untersuchung vorgestellt und ausgeweitert, was die Bibliotheken betrifft.

A la demande de la Direction des archives de France, la mission Recherche et Technologie du ministère de la Culture (MRT) a commandé, en 1994, à un cabinet d’expertise technologique, une enquête sur les pratiques de conservation des collections 1.

L’objectif était de « dresser un état des lieux des conditions, des moyens et des pratiques de conservation des documents graphiques ». Pour élargir le champ d’une enquête dans un domaine où bibliothèques et archives ont des préoccupations proches, la MRT a souhaité associer la Direction du livre et de la lecture en février 1995. C’était un peu tard cependant pour que le questionnaire tienne compte de certains besoins spécifiques des bibliothèques municipales. Les résultats ayant été dissociés, les réponses des bibliothèques n’en constituent pas moins un ensemble cohérent dont l’intérêt est évident.

L’enquête

Le questionnaire était composé de 47 questions réparties entre quatre rubriques d’inégales longueurs :

– le contrôle de l’environnement (température, humidité relative, pollution, éclairage) dans les magasins, les salles de lecture et les salles d’exposition (questions 1-31) ;

– le contrôle de l’état physique des collections (32-35) ;

– l’utilisation d’enceintes climatiques (36-38) ;

– le suivi de l’état des fonds (39-47).

Le même questionnaire a été envoyé aux archives et aux bibliothèques (à quelques nuances près, d’ordre purement rédactionnel).

Trois cent vingt-trois dépôts d’archives (archives départementales, archives municipales, en métropole et outre-mer) et cent dix bibliothèques municipales de toutes tailles ont reçu ce questionnaire.

Le taux des réponses enregistrées a été de 46 % pour les archives (tous types confondus), et de 60 % pour les bibliothèques (soit 66 réponses sur 110 questionnaires envoyés, dont 36 provenant de bibliothèques municipales classées).

Les résultats

C’est la première enquête sur les pratiques de conservation réalisée dans les bibliothèques françaises. A ce titre, elle mérite une attention particulière et son intérêt est d’autant plus grand que le taux de réponses pour les bibliothèques a été satisfaisant. C’est un signe de la curiosité manifestée pour le sujet.

En fait, il y a eu peu de surprises. Les actions menées par le bureau du Patrimoine de la Direction du livre et de la lecture et les observations enregistrées depuis plus d’une décennie avaient permis de repérer les difficultés récurrentes, de les répertorier et d’y apporter un certain nombre de corrections grâce aux aides dont certaines bibliothèques, petites et grandes, récentes ou moins récentes, avaient pu bénéficier.

C’est là l’un des grands mérites de l’enquête que d’avoir vérifié le bien-fondé d’une politique patrimoniale judicieuse, qui a su investir dans des équipements nécessaires au contrôle quotidien des conditions de conservation des collections, et qui a trouvé les opportunités pour diffuser des informations sur le traitement régulier des données climatiques et leur interprétation.

L’étude commandée en 1988 au Comité scientifique et technique des industries climatiques (COSTIC) par la Direction du livre et de la lecture 2 avait ouvert la voie à une politique réaliste, dont on constate aujourd’hui les résultats positifs. On nuancera donc les conclusions, parfois globalisantes, de l’enquêteur-analyste qui mesure les résultats à l’aune de la théorie et non de la pratique effective.

Certes, seulement 2 % des bibliothèques estiment conserver l’intégralité de leurs fonds dans de bonnes conditions et 26 % estiment n’en conserver que la moitié dans de bonnes conditions, ce qui est peu, naturellement, en regard des exigences de conservation des collections patrimoniales fragiles. Mais on constate parallèlement que 43 bibliothèques sur 66 (soit 66 %) possèdent au moins un thermohygromètre enregistreur et qu’au total il existe en moyenne 1,6 thermohygromètre enregistreur dans les magasins, ce qui n’est pas si mal. C’est grâce à ces appareils que les bibliothécaires peuvent prendre conscience des déficiences de leurs locaux et suggérer les aménagements et améliorations nécessaires.

L’une des préoccupations dominantes de l’enquêteur a été, en fait, de rechercher des données pertinentes sur le problème des chocs thermiques que subissent les matériaux constitutifs des documents lorsqu’ils passent des magasins à la salle de lecture ou à la vitrine d’exposition, et inversement, et sur les moyens d’y remédier. Il n’était pas nécessaire d’ailleurs de faire une enquête pour savoir qu’aucune bibliothèque ne dispose d’une enceinte climatique, qu’aucun bibliothécaire ne connaît l’existence d’un tel système (la référence donnée étant celle de la Bibliothèque Vaticane), et qu’aucune bibliothèque ne dispose d’un simple sas de mise à niveau des températures et de l’humidité. Doit-on pour autant conclure qu’un tel équipement est indispensable et que la vie même du patrimoine en dépend ?

L’enquête n’a pas enregistré suffisamment de précisions ni d’informations pertinentes concernant la description des établissements interrogés et surtout des locaux eux-mêmes – ne tenant pas compte de leur date de construction, de leur qualité, de leur mode d’utilisation, de leur contexte géographique – pour arriver à des conclusions déterminantes.

En juxtaposant des bibliothèques qui n’ont en commun que le nom, sans décrire les critères de discrimination utilisables et sans donner au lecteur la possibilité de comparer les données recueillies, les résultats sont à l’évidence difficiles à exploiter. Et que penser d’une recommandation aussi surprenante que celle-ci : « La meilleure manière d’éviter d’endommager un document lorsque les écarts de conditions [climatiques] entre espace de conservation et espace de communication sont trop élevés, est simplement de différer sa sortie jusqu’à ce que les écarts de conditions soient acceptables »... Le conseil est certes judicieux dans la théorie, mais on doit reconnaître qu’il est difficile à mettre en application dans une grande majorité de bibliothèques.

Contrôle et prévention

Parmi les principales informations recueillies, on retiendra les points suivants :

Contrôle de l’éclairage : 16 luxmètres dans 66 bibliothèques (24 %), ce qui est un taux honorable. En moyenne, la plupart des bibliothèques ne contrôlent leur éclairage qu’une fois par an. Doit-on s’en étonner ? A quoi pourraient servir des contrôles plus fréquents, dès lors qu’aucune modification des bâtiments ou des installations électriques ne vient changer les conditions d’éclairage ?

Détection incendie : 70 % des magasins, 60 % des salles de lecture, 65 % des salles d’exposition sont équipés de système de détection. Ces chiffres ne sont pas complètement satisfaisants certes, mais ils montrent que les bibliothèques récemment construites ne sont pas les seules à être équipées.

Prévention de la pollution : 2 % des établissements procèdent à des vérifications de la qualité de l’air, dont 25 % par recours à des organismes extérieurs. Ce dernier chiffre prouve le désir d’obtenir des résultats exploitables scientifiquement ; l’intérêt porté à la qualité de l’air montre une curiosité nouvelle envers un problème qui tient une place croissante dans les préoccupations contemporaines.

Prévention par « encartonnement neutre » (i.e. conditionnement par mise sous pochette ou mise en boîte, en papier de bonne qualité) : 20 % des bibliothèques utilisent cette technique majoritairement réservée, en général, aux documents les plus précieux et les plus fragiles ; mais le questionnaire n’a fourni aucune information sur le type de documents ainsi traités ; de telles informations auraient permis de mieux cerner les pratiques des bibliothèques.

Prévention de la pollution par filtrage de l’air : 30 % des magasins, 20 % des salles de lecture et 22 % des salles d’exposition sont équipés de systèmes de filtration de l’air ; ces chiffres sont à interpréter avec précaution car on ne sait pas quels sont les moyens utilisés pour filtrer l’air, ni quelle est la fréquence de leur entretien.

Suivi de l’état physique des collections : les informations recueillies sont intéressantes, mais elles confirment plus une réalité qu’elles n’apportent de vues nouvelles sur un sujet important qui développe une méthodologie originale, et ce en partie à cause d’une difficulté réelle à exploiter les réponses aux questions posées.

79 % des bibliothèques ne procèdent à aucun suivi et 96 % ne disposent d’aucun matériel pour l’exercer, ce qui est un peu surprenant. En effet, alors que 21 % des bibliothèques affirment exercer un suivi, et que seulement 4 % ont un matériel adéquat, comment 17 % d’entre elles peuvent-elles exercer ce suivi ?

L’intérêt de disposer d’une connaissance fine de l’état physique des collections patrimoniales est évident, car cette connaissance conditionne la nature des actions à engager et les budgets à dégager ; elle permet également de discerner plus précisément les collections fragiles et la nature des traitements à prévoir. Il y a, dans ce domaine du suivi, des recherches à effectuer et, en premier lieu, des méthodes de travail à mettre au point.

En conclusion, les résultats de l’enquête, s’ils n’apportent pas d’éclairage nouveau sur les conditions de conservation dans les bibliothèques, montrent plusieurs choses :

– les efforts d’information et les aides financières consentis au cours de la dernière décennie ont porté leurs fruits, mais ils ont aussi généré d’autres besoins qui n’ont pas encore été satisfaits ;

– un secteur reste à explorer, celui du suivi de l’état physique des collections qui n’a pas encore bénéficié d’une attention suffisante ;

– pour que les résultats d’une telle enquête soient utilisables, le questionnaire doit être élaboré avec précision et se donner des objectifs qui s’accordent à la réalité qu’ils souhaitent cerner.

Février 1996

  1. (retour)↑  Cabinet Lambert, 218 boulevard Albert-1er, 33000 Bordeaux.
  2. (retour)↑  Paul Chardot, Le contrôle climatique dans les bibliothèques, Saint-Rémy-lès-Chevreuse, sedit-Editeur, 1989. Un complément à cette étude sera prochainement disponible à la Direction du livre et de la lecture.