Histoire de l'université de Paris et de la Sorbonne
André Tuilier
I - Des origines à Richelieu. - 620 p. : ill. ; 26 cm.
II - De Louis XIV à la crise de 1968. - 657 p. : ill. ; 26 cm. ISBN 2-901988-01-6. 1260 F
En 1934, dans sa préface au petit livre de Jean Bonnerot, ancien bibliothécaire de la Sorbonne 1, Sébastien Charléty, recteur de l'université de Paris, appelait de ses voeux une « Histoire et un Mémorial » pour remplacer « l'essai fantaisiste ébauché au XVIIe siècle (...) par César Egasse du Boulay » 2. Soixante ans après, son successeur actuel peut être heureux de préfacer le bel ouvrage que nous propose André Tuilier, directeur honoraire de la bibliothèque de la Sorbonne.
Un jugement nuancé sur l'institution universitaire
Cette publication se présente sous la forme de deux forts volumes abondamment illustrés. Elle se veut à la fois ouvrage de synthèse, de prestige et de référence. L'histoire de l'université de Paris, telle que nous la découvrons par le texte d'André Tuilier, est ambitieuse et passionnante, surtout pour la période qui s'étend des origines à la Révolution et qui représente la majeure partie de ce livre très analytique.
Son intérêt tient notamment aux constantes interrogations que se pose la seconde moitié du XXe siècle sur les objectifs à assigner à l'institution universitaire. L'auteur lui reconnaît trois finalités : la reproduction et le renouvellement des élites enseignantes et intellectuelles, la réponse aux besoins de l'économie nationale, le développement de la recherche scientifique. Ce projet global peut, selon l'opinion exprimée dans le livre, se heurter aux origines corporatives de l'université de Paris.
On reste frappé par le fait que mille ans exactement séparent la suppression des écoles de philosophie païenne par l'empereur Justinien (529) de la création par François 1er des lecteurs royaux (1529-1530) qui vont préfigurer le Collège de France. Entre-temps, dans la tension, l'université de Paris aura peu à peu adapté à la scolastique certains concepts philosophiques d'Aristote qui permettront à la jeune bourgeoisie urbaine d'imprimer sa marque sur une société féodale en mutation. C'est finalement un des rares points de l'histoire de l'université de Paris sur lequel André Tuilier porte une appréciation favorable ; en effet, son jugement sur cette institution n'apparaît pas comme globalement positif, ainsi que le laissent entendre certaines expressions qui reviennent comme des leitmotive (« aveuglement », « corporatisme », « monopole », « mentalités ancestrales », « rempart du conservatisme », etc.).
De fait, André Tuilier met en relief les occasions qui, de son point de vue, se sont offertes à l'université comme autant de possibilités d'ouverture au cours des siècles et qu'ont gâchées les résistances structurelles et idéologiques de l'institution. L'auteur semble confondu par son obstination à militer en faveur de causes plus ou moins douteuses, parfois inspirées par les relations singulières qui unissaient le Saint-Siège et la Faculté de Théologie. Cent fois l'institution parisienne aurait dû périr de ses inconséquences, cent fois elle a su se relever, démontrant a contrario qu'elle était indispensable au pays.
De l'histoire avant toute chose
La partie concernant le Moyen Age et l'Ancien Régime est certainement la plus convaincante.
L'auteur apparaît plus à l'aise avec l'université aristotélicienne ou gallicane qu'avec l'université spiritualiste ou positiviste ; à mesure que l'on se rapproche de l'époque contemporaine, les jugements deviennent moins clairs sur le plan historique. Les événements de Mai 1968 donnent notamment l'occasion d'un développement de politique-fiction à rebours, alors même que les 1 257 pages de l'ouvrage nous ont habitués, dès la fondation de l'institution, aux manifestations souvent violentes des milieux estudiantins.
De plus, on aurait aimé qu'une approche sociologique vienne compléter le tableau historique. Les deux volumes manquent d'éléments sur les effectifs, de cartes sur les origines sociales et géographiques des étudiants. La période moderne aurait sans doute mérité quelques développements sur la vie universitaire à Paris (naissance des associations et du syndicalisme, vie culturelle, évolution du Quartier latin, relations avec les universités de province, carrière des professeurs, politiques immobilière et budgétaire...).
Risquent aussi de rester dans l'expectative les lecteurs pour qui le nom d'André Tuilier évoque le prestigieux établissement qu'il a dirigé ; en effet le sujet des bibliothèques occupe une part si modeste dans l'ouvrage que les bibliothécaires ne retireront pas de cette Histoire de l'université de Paris et de la Sorbonne tous les enseignements qu'ils pouvaient en escompter. La relation entre le livre et l'épistémologie universitaire aurait pourtant fourni la matière d'une analyse bienvenue, notamment à partir de comparaisons avec ce qui se passait d'essentiel dans certaines universités étrangères ; cette approche aurait renforcé le propos général de l'auteur.
Choix éditoriaux
Mais les réticences les plus réelles que peut inspirer cette Histoire de l'université de Paris et de la Sorbonne tiennent aux choix éditoriaux qui président à la mise en forme du travail d'André Tuilier.
La documentation iconographique est généralement assez bien reproduite et sa richesse impressionne au premier abord. Cependant, les sources iconographiques sont mentionnées de façon très rapide en une page à la fin de chaque volume et ne peuvent pas être facilement identifiées. Un grand nombre d'entre elles a déjà été utilisé dans d'autres publications de la Nouvelle librairie de France, telle l'Histoire générale de l'enseignement et de l'éducation en France 3 c'est également de ce dernier ouvrage que sont tirés les rares éléments cartographiques présents dans les deux volumes. De plus, leur abondance nuit parfois au respect de leur contexte. On s'interroge sur certains choix : que penser, par exemple, de l'utilisation sur le plat de reliure supérieur du premier volume, par nature symbolique, d'un motif bleu et doré qui reprend en fait une « masse » de l'université... d'Orange ?
La structure des annexes n'emporte pas la conviction non plus. Les notes sont renvoyées à la fin de chaque volume selon un ordre propre à chaque chapitre, ce qui est réellement peu pratique ; leur pertinence est quelquefois douteuse et le lecteur peut être dérouté par maintes notes explicatives ou bibliographiques. La gestion des index présente quelques défauts, dont un certain nombre provient d'une confusion entre lieux et institutions (entre autres, au sujet de la dénomination des collèges). Compte tenu du caractère assez spécifique du vocabulaire universitaire, un glossaire aurait pu sembler intéressant ; il aurait permis une meilleure connaissance des dates où certains termes ont été introduits, et de leur origine. Quant à la bibliographie, incluse dans l'avant-propos, elle se veut relativement rapide, renvoyant à l'irremplaçable Bibliographie de l'histoire des universités françaises... de Simonne Guenée 4, qui, il est vrai, ne porte que sur la période antérieure à la Révolution française.
L'Histoire de l'université de Paris et de la Sorbonne d'André Tuilier est donc avant tout une histoire des institutions universitaires dans leurs relations avec les pouvoirs politiques. C'est ensuite une histoire des idées et des idéologies dominantes. Malgré un maniement rendu peu aisé par les choix éditoriaux qui peuvent déconcerter le lecteur, l'ouvrage d'André Tuilier reste intéressant ; c'est une belle évocation d'une université qui, plus qu'une autre, a tant concouru à l'édification de la pensée européenne.