Le mois du patrimoine écrit 1995

six catalogues

par Philippe Hoch
Paris : Direction du livre et de la lecture ; Fédération française de coopération entre bibliothèques, 1995. - (Collection « (Re)découvertes »). 45 F le vol

En proposant de placer sous le signe de l'« actualité » les manifestations inscrites à l'automne 1995 dans le cadre du Mois du patrimoine écrit, la Fédération française de coopération entre bibliothèques et la Direction du livre et de la lecture n'avaient pas craint le paradoxe : saisir l'événement fugitif et le restituer en mobilisant les ressources d'un passé parfois « momifié ». Il s'agissait en réalité, dans l'esprit des organisateurs, de mettre en lumière l'un des aspects les plus méconnus des collections des bibliothèques, moins spectaculaire que d'autres, sans doute, mais non moins intéressant.

Souvent modestes, matériellement parlant, relevant de genres réputés mineurs et diffusés au moyen de supports très divers, des milliers de brochures, d'affiches, de tracts, d'images mériteraient d'être mieux connus et davantage pris en compte par tous ceux qui entreprennent d'« écrire l'histoire ». Les six nouveaux catalogues accueillis dans la collection « (Re)découvertes » devraient contribuer à cet indispensable repérage des ressources et des richesses patrimoniales des bibliothèques qu'un récent ensemble de guides régionaux s'attache à décrire par ailleurs.

Déluge

Le serpent et le dragon auxquels la bibliothèque municipale de Grenoble consacrait son exposition ne devaient rien aux « serpents de mer » journalistiques, bien que le sujet fût d'une actualité permanente. Les deux créatures sont, en réalité, respectivement l'Isère et le Drac, ces rivières menaçantes dont « l'imagination populaire n'a pas tardé à faire... des bêtes fantastiques ». Entre le « grand déluge » de 1219 et 1895, comme le rappelle un intéressant tableau, Grenoble a connu, au bas mot, quelque soixante inondations. Celles-ci, on le conçoit aisément, « ont profondément marqué la mémoire collective » et laissé de nombreuses traces non seulement dans la topographie urbaine, mais aussi dans le patrimoine de la ville.

Depuis la lettre que l'évêque Jean de Sassenage adressa à ses fidèles au lendemain de la catastrophe qui, en septembre 1219, provoqua la mort de plusieurs milliers d'hommes, jusqu'à Isérette, ce roman de Louise Drevet (1888) inspiré par les « scènes dramatiques des terribles inondations de l'Isère en 1733 et 1740 », en passant par Grenoblo Malhérou, un texte en patois (1733) de François Blanc dit la Goutte, dont on proposa, au XIXe siècle, une grande édition illustrée, la « mémoire de l'eau », si l'on peut dire, est vivace. Peintures, dessins, gravures, photographies, cartes et plans choisis par Yves Jocteur-Montrozier nourrissent cette évocation d'une « lutte incessante contre [l'Isère et le Drac, qui] a fait la grandeur de Grenoble ».

La tentation de l'Orient

L'histoire de la grande cité voisine, Lyon, est indissociable, quant à elle, d'une certaine « tentation de l'Orient », s'il est vrai, comme le soulignent Jean-Louis Boully et Pierre Guinard, qu' « entre le XVIIe et le XXe siècle, les Lyonnais se familiarisent peu à peu avec la Cochinchine, le Japon et la Chine. Certains explorent directement ces pays, mais les plus nombreux se contentent de les découvrir par des documents écrits ou figurés ». La situation géographique privilégiée de la capitale des Gaules, ses activités commerciales et dans le domaine de la banque, ne furent pas étrangères à l'intérêt que portèrent les Lyonnais à ces lointaines contrées. L'impulsion décisive fut donnée par les Jésuites du couvent de la Trinité. Cet établissement, comme le souligne Claude Prudhomme, « devint [...] pour la France la plaque tournante des entreprises missionnaires à destination de l'Extrême-Orient ».

Le monde de la librairie ne tarda pas à tirer parti des richesses accumulées par les savants de la Compagnie de Jésus et « à publier les ouvrages fondateurs du savoir européen sur la Chine, le Japon, le Vietnam ». Les disciples de saint François-Xavier furent bientôt relayés par des laïcs, encore soucieux d'évangélisation et, au XIXe siècle, par des industriels dont le modèle fut Émile Guimet, « visionnaire » et « prophète de l'orientalisme ». Héritière des collections réunies depuis la fin du XVIe siècle par les Jésuites, la bibliothèque municipale de Lyon est aujourd'hui la « seule bibliothèque publique de France à conserver, traiter et accroître un fonds extrême-oriental », enrichi, grâce à un dépôt, des ressources documentaires de l'Institut franco-chinois qui exista entre 1921 et les lendemains de la Seconde Guerre mondiale.

Combat pour l'identité

Les Ardennes constituent, comme la région lyonnaise, mais à d'autres titres, une « terre propice aux échanges ». Un statut de « marche » et la « proximité du creuset hollandais » permettent de rendre compte, selon Gérald Dardart, d'une particulière abondance de publications périodiques. Plus de trois cents titres sont en effet nés en terre ardennaise, depuis le Journal encyclopédique publié au XVIIIe siècle dans le duché de Bouillon jusqu'aux publications nées durant ces dernières années.

La bibliothèque municipale de Sedan se proposait d'évoquer, à travers l'histoire de « la presse ardennaise de la Révolution à nos jours », ce que Yanny Hureaux nomme « un combat pour une identité », forgée dans les convictions politiques ou religieuses. En une vigoureuse synthèse, Gérald Dardart retrace le mouvement ondulaire de la naissance et de la disparition d'organes porteurs d'idéologies, victimes parfois de régimes opposés à leurs idéaux. Les titres les plus marquants et quelques-unes des grandes figures de la presse régionale (Albert Meyrac, Jean-Baptiste Clément, Emile Corneau...) font l'objet de « notices développées », suivies d'un inventaire de 330 titres, ainsi que d'une bibliographie.

Lumières et merveilles

A Dole, l'« année internationale Louis Pasteur » voulue par l'Unesco offrait une opportunité exceptionnelle de célébrer, cent ans après sa disparition, l'une des personnalités jurassiennes les plus remarquables. L'originalité de l'exposition mise en oeuvre par Danièle Ducout résidait dans la volonté, soulignée par le titre de la manifestation ( « Le savant et son temps »), d'insérer l'homme de science non seulement dans son environnement intellectuel et matériel, mais aussi de l'inscrire dans une certaine continuité historique.

En étudiant la « diffusion de la pensée scientifique de Jean d'Alembert à Louis Pasteur », le parti de la biographie - non dépourvue par ailleurs de mérites - était écarté. Ainsi, comme le souligne Richard Moreau dans sa préface, s'il s'agissait bien de saluer Pasteur, c'était toutefois moins le maître reconnu que le jeune savant, considéré « paradoxalement et symboliquement à travers ses maîtres », qui intéressait les organisateurs. L'accent se trouvait placé de la sorte sur l'« avant-Pasteur », une « période féconde qui va de 1751 à 1849, du siècle des Lumières au siècle des Merveilles... ». Dans un texte aussi clair que documenté, Danièle Ducout met en évidence l'essor des sciences au XVIIIe siècle, prélude à une évocation des « années d'apprentissage » de Pasteur à Arbois, Besançon et Paris. Une liste signalétique de 167 pièces, une douzaine de notices descriptives développées, une chronologie de Pasteur, un tableau des découvertes scientifiques de 1750 à 1850 et, enfin, une bibliographie enrichissent le catalogue.

Du vin pour nos poilus

Les documents écrits (périodiques, monographies, thèses...) ne rendent pas seuls compte de l'actualité politique, scientifique ou artistique. En effet, comme deux expositions entendaient le montrer, les images jouent un rôle primordial. Ainsi, on conviendra aisément, avec Pascale Navet, que « dans un monde sans radio ni télévision, l'affiche, comme la presse écrite, [était] le seul grand instrument de communication ». L'exposition de la bibliothèque municipale de Versailles constituait, à sa manière, une « défense et illustration » de ces lithographies diffusant « un message simple et direct » au moindre coût.

Trois thèmes majeurs avaient été retenus. Un premier ensemble d'affiches concernait la vie quotidienne à Versailles : l'inauguration de l'Hôtel de ville en 1900, l'extension de la cité... La deuxième section, fort abondante, réunissait les affiches se rapportant à la Grande Guerre : mobilisation, avis divers, appels à souscription pour les emprunts (ces derniers sont à l'origine de 600 affiches éditées entre 1914 et 1920). Enfin, une troisième partie se rapportait aux cérémonies, fêtes et divertissements organisés au château, aux visites de souverains ou de personnalités, ou encore aux manifestations patriotiques. Parmi les pièces méritant une mention particulière, relevons les affiches réalisées par des enfants dans le cadre de concours scolaires, qui invitaient les Versaillais à économiser gaz, viande ou tabac et à « réserver le vin pour nos poilus » !

Mémoire en Nivernais

A Nevers, un panorama tout subjectif de « quelques décennies d'actualité » était brossé au moyen de la photographie. Lydie Dupont, attentive aux « émergences de mémoire en Nivernais », a sollicité la collaboration de Monique Thuriot-Prémery. Fille de Pierre Prémery, qui exerça son métier de photographe de 1906 à 1976, elle consacra elle-même son existence à cet art. « Depuis toujours immergée dans un bain d'images, miroir du temps, la photographie coula dans mes veines et m'emplit tout entière ». Munie d'un appareil dès l'âge de six ans, Monique Thuriot-Prémery choisit, onze années plus tard, de suivre les traces de son père, tout en cultivant le piano et le chant. Un texte autobiographique intitulé « Itinéraire d'une passion » rend compte de cette vocation. Il est suivi d'une liste signalétique des photographies et des autres documents exposés, répartis en une dizaine de grands thèmes.