Les ateliers d'écriture

expression personnelle et pratiques collectives : un coup d'oeil sur le Sud

Odile Jullien

Cette journée de conférences et débats a été organisée le lundi 22 mai 1995, à Marseille, au palais du Pharo, par la Bibliothèque municipale de Marseille. Viviane Lascombe, bibliothécaire, présenta la journée, en soulignant son caractère régional. Il est nécessaire de définir ce qu’est un atelier d’écriture, ce qu’on y fait ; et si écrire, c’est être seul, pourquoi une pratique collective ? Quel est le rôle de l’animateur ?

Limites et enjeux

Anne Roche, professeur à l’université de Provence, évoqua les limites et les enjeux des ateliers d’écriture : « Un atelier d’écriture est un lieu où, à plusieurs, des gens apprennent à écrire ». L’atelier d’écriture participe-t-il de l’action sociale ? Il s’agit de faire passer les participants de la position de consommateurs à celle de producteurs. L’atelier d’écriture répond au désir de s’exprimer, de laisser une trace. Avec qui écrire ? Faut-il être écrivain pour animer un atelier d’écriture ?

Nicole Voltz, professeur, présenta la formation de « formateurs en atelier d’écriture », mise en place en septembre 1994 à Aix-en-Provence. Animateur en atelier d’écriture est une profession à part entière, et pourtant, elle n’est pas reconnue, ne bénéficie d’aucun statut particulier. Personne ne peut prétendre en vivre ! Les institutions sociales à vocation réparatrice (prisons...) sont demandeuses d’ateliers d’écriture. Il y a donc eu un projet de formation pour des personnes travaillant déjà dans ces milieux. Les objectifs : donner aux animateurs les outils déclencheurs. Il faut avoir écrit soi-même pour faire écrire les autres, pour libérer les mots, la langue, et aider à retravailler un texte.

Les options éducatives de ce diplôme universitaire sont un va-et-vient entre pratique et théorie, et s’organisent en quatre axes, théorique, pratique, didactique, connaissance des institutions. Cette formation concerne 25 stagiaires, et se déroule en un an (190 heures), un jour par semaine. Elle a pour but de faire le point sur des techniques, ou des théories et permet de s’interroger sur la place de cette profession dans la société.

En milieu scolaire

La première table ronde, animée par Anne Roche, se pencha sur les ateliers d’écriture en milieu scolaire. Blanche Berrouiller, coordinatrice ZEP (zone à éducation prioritaire) n° 5 à Marseille, témoigna des expériences vécues dans sa ZEP. Des animations avec des écrivains et des illustrateurs débouchent en fin d’année sur la publication d’un livre. L’écriture et la réécriture se font sur quatre mois. Ce projet est englobé dans un ensemble : « lecture et communication », le but étant de familiariser avec le livre et l’écrit, de changer le regard des enfants face au livre, de s’approprier l’écriture. Pour les enseignants, le projet est parfois difficile à mener à terme, mais il favorise indéniablement la lecture et l’écriture dans les classes, et il est très formateur, reconnaissent les enseignants.

Trois livres ont été publiés à ce jour à l’issue de ces expériences : Histoires à la carte, Histoires au long cou et Histoires à l’oreille.

Pour Alain Serres, écrivain, tout est parti de Marseille et d’un paquet de pâtes alphabet. A partir de mots subis, des phrases sont nées. Il a écrit 17 « histoires à la vapeur » avec des classes. Plaisir de se trouver face au vide, qui n’exclut pas un projet clair et précis. Il faut favoriser la vérité du jeu d’écriture. « Jouer la contrainte et se contraindre à gagner ». Il faut un terreau commun, les contraintes sont en ce sens stimulantes, comme l’a montré, avec le talent que l’on sait l’Oulipo...

Marie Thévenin Arab parla de son expérience d’enseignante, et de ses difficultés initiales pour stimuler l’imagination des enfants et les laisser ensuite développer eux-mêmes leur imaginaire. Il est difficile de ne pas écrire à la place des élèves. Devant la pauvreté des situations de base, elle proposa des séances de « tempêtes sous les crânes », afin de trouver des idées originales. Il faut que les élèves aient confiance en eux, qu’ils aient envie d’écrire. Au cours du débat avec le public, Michèle Garnier (atelier d’écriture en lycée depuis trois ans) souleva le problème de la préservation de l’individu dans l’écriture collective. Comment s’y prend-on ? Y a-t-il d’autres finalités que le livre, telles par exemple, des expositions ? Pour René Escudié, l’écriture collective avec des adultes est presque impossible, c’est une idée du XIXe siècle. Avec des enfants, c’est différent. Écrire, c’est « travailler à cerveau ouvert ». L’écriture collective suscite l’écriture individuelle. Selon Alain Serres, les ateliers d’écriture ne sont pas là pour résoudre des problèmes sociaux. Modestement, ils ouvrent des fenêtres, sèment des graines. C’est tout et heureusement, car sinon l’écriture serait limitative.

Ateliers d’écriture et écrivains

La deuxième table ronde, animée par René Escudié, se pencha sur les relations des écrivains avec les ateliers d’écriture. Philippe Renard (associations Dédicaces) vit depuis cinq ans des ateliers d’écriture. L’atelier d’écriture est pour lui un lieu de transmission de pratiques, de techniques. La société actuelle voue un culte à l’auteur, mais où est la place de l’écrivain animateur d’atelier d’écriture ? Le métier d’animateur d’atelier d’écriture n’est pas reconnu comme un métier d’écrivain, les droits d’auteur ne sont pas perçus. Il faut pallier cette lacune en « trichant ». L’animateur est un passeur, il doit déclencher le désir d’écrire, être un enseignant, un conseiller... Peut-on être animateur d’atelier d’écriture sans être écrivain soi-même ?

Pour Brigitte Favresse, l’écrivain a un statut ambigu, il est coupé du monde et cet enfermement est dangereux. L’atelier d’écriture permet certes de gagner de l’argent, mais surtout de structurer sa relation au réel. Il ne faut jamais parler de son travail personnel d’écrivain en atelier d’écriture. L’atelier d’écriture réhabilite des notions dépassées : rêverie, isolement, douceur... et pousse à la curiosité. Oser écrire, oser lire...

Monique Grandjonc, écrivain, a animé sur deux ans un atelier d’écriture à Port-de-Bouc avec des personnes âgées. Elle se définit plutôt comme intervenante et se défend d’être psychologue. Écrire fait du bien, mais la thérapie n’est pas l’objet premier. On ne peut être en même temps écrivain et intervenant en atelier d’écriture, l’énergie à mobiliser étant trop intense : « L’écrivain est un passant, l’intervenant en atelier d’écriture est un passeur ».

René Frégni, écrivain, aime l’aspect aléatoire du statut d’animateur ; ce côté clandestin et précaire fait la force des intervenants ; il faut casser l’image de l’écriture pédagogique, scolaire.

L’expression personnelle

La troisième table ronde, animée par Sylvette Raoul (association Paginaires à Toulon), est consacrée à l’expression personnelle dans les ateliers d’écriture.

Brigitte Beaumont, conteuse et intermittente du spectacle, anime depuis douze ans des marches d’écriture qui permettent de devenir nomade le temps d’une semaine ou d’un week-end, de découvrir quelques sites particuliers, d’en faire une rencontre concrète et originale par une démarche d’écriture. Le partage avec les autres est important, comme est importante la parole donnée, la parole reçue, la parole toute chaude, qui est le croisement entre le lieu, la mémoire qu’on en a, et la contrainte.

Michèle Reverbel, qui se surnomme aussi « éveilleuse d’écriture » ou « accoucheuse de mots », a mesuré l’importance de l’écriture après dix ans passés à « faire l’écrivain public ». On ne doit pas juger l’écriture d’autrui (risque de blocages). La trace doit être belle (travail de calligraphie avec différents outils).

Jean-Paul Bouthier, directeur du service socio-éducatif de Luynes, évoqua l’écriture en milieu carcéral. L’administration a demandé à de vrais spécialistes d’intervenir dans les bibliothèques de prison. Avec quels détenus travailler en priorité ? Peut-on ouvrir un atelier d’écriture pour les 40 % de prisonniers qui n’atteignent pas le niveau de lecture minimal ? Les ateliers d’écriture sont arrivés dans les prisons de Provence il y a peu avec René Frégni. Ce dernier souligna que le plus difficile en prison, c’est de chercher à donner du sens tout en respectant les consignes. Écrire en prison permet de retrouver les bruits, les rumeurs du monde.

Eric Leconte, qui intervient en hôpital psychiatrique, posa la question de l’évaluation des écrits. Que fait-on de la peur de l’écriture, de la peur de se découvrir soi-même ? Les malades ont des difficultés à prendre la parole.

Brigitte Beaumont répondit que la prise de parole n’est facile pour personne. Le texte qui vient d’être écrit doit être offert en cadeau à la communauté. Écrit-on pour garder mémoire ou pour partager ?

Il y a danger à écrire et à faire écrire, souligna Michèle Reverbel ; Brigitte Beaumont constata cependant que dire à plusieurs une parole de souffrance soulage un peu. L’animateur doit gérer avec grande précaution les retours d’écoute.

Cette journée organisée autour de trois tables rondes souligne un fait certain. Sous un seul terme cohabitent des réalités différentes. Les lieux sont multiples, les animateurs viennent de tous les horizons, mais la demande est grandissante, et tous reconnaissent l’importance de l’animateur, son rôle prépondérant.

Jérôme Pouchol, bibliothécaire à Marseille, conclut la journée en soulignant la vitalité des ateliers d’écriture en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et en insistant sur le fait qu’il faut permettre aux bibliothèques de les accueillir.