Mémoires sur la librairie. Mémoire sur la liberté de la presse
Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes
Acteur de l’histoire s’il en fut, Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, premier président de la Cour des Aides (1750 à 1775), mais aussi directeur de la Librairie (1750-1763), ami de Rousseau et de d’Alembert, mais aussi fidèle défenseur du roi devant la Convention 1, est précisément à l’honneur dans le dernier volume de la collection « Auteurs de l’histoire », dirigée par Georges Duby. Et c’est à Roger Chartier que l’on doit cette nouvelle édition, préalablement resituée dans le contexte politique et institutionnel de l’époque, des Mémoires sur la librairie et du Mémoire sur la liberté de la presse.
Mémoires sur la librairie
Rédigées en 1758 à l’intention du chancelier (Guillaume de Lamoignon) désireux de s’informer des affaires de la librairie, les Mémoires sur la librairie deviennent pour Malesherbes l’occasion de dénoncer les dysfonctionnements du système de la censure, de critiquer les contradictions de fait entre la théorie officielle et les pratiques officieuses des censeurs (ainsi le recours très fréquent aux permissions tacites), et donc de proposer des réformes. Administrateur réaliste et surtout homme très proche des milieux littéraires éclairés, Malesherbes prône un allégement réglementaire et intellectuel de la censure. De cette façon, cette dernière deviendrait, d’une part, plus efficace – « Pour moi, je m’arrête à une règle : c’est que pour faire respecter les défenses, il ne faut faire que celles qui pourront être exécutées, et qu’il vaut mieux tolérer ce qu’on ne peut pas empêcher » – et, d’autre part, ne serait plus une entrave à l’épanouissement des lettres, le progrès des sciences et l’évolution de la conscience politique. Comment ne pas reconnaître là celui qui permit à l’Encyclopédie de paraître et d’être diffusée malgré l’interdiction officielle de la censure, celui qui fit mine de ne pas être au courant de la distribution de l’Émile ?
Ainsi, selon Malesherbes, la censure obligatoire devrait être limitée aux ouvrages susceptibles d’ébranler les principes fondamentaux de la religion, du pouvoir royal et de la morale. Les écrits « philosophiques » (dans le sens large donné à l’époque au terme) devraient pouvoir paraître sans être soumis à des contrôles fastidieux et des plus aléatoires, car tributaires du jugement personnel des censeurs. L’opinion publique, cette nouvelle réalité née au XVIIIe siècle, jugerait du sort de ces ouvrages publiés librement, condamnant sans appel les écrits abusant de la liberté d’expression. Au contraire, continuer à entraver, par une censure rigide et désormais inadaptée aux aspirations des lecteurs, la publication en France des œuvres d’un Voltaire, d’un Rousseau, etc., ne manquerait pas de tempérer le zèle des auteurs et, parallèlement, de favoriser les impressions étrangères au détriment notamment de la librairie parisienne.
Mémoire sur la liberté de la presse
Quelque trente années plus tard, en 1788, à la veille de la convention des états généraux, Malesherbes est sollicité pour rédiger un traité sur la liberté d’expression. Dans ce Mémoire sur la liberté de la presse, l’ancien directeur de la librairie se prononce encore plus nettement pour l’allégement, voire la suppression totale de la censure obligatoire, convaincu que « la liberté de la discussion est le moyen sûr de faire connaître à une nation la vérité ». Puisque le roi a décidé de consulter la population, celle-ci doit pouvoir s’exprimer le plus librement possible, toujours cependant dans le respect des principes religieux et politiques fondamentaux. Tout auteur se soumettant volontairement et avec succès à la censure ne pourrait plus être poursuivi ; quant aux libraires et aux auteurs qui voudront publier sans demander l’approbation, ils devront, le cas échéant, se soumettre à des peines en rapport avec l’abus commis. D’ailleurs, conclut le directeur de la librairie, pourquoi maintenir une censure alors que, dans les faits, le contrôle de la librairie a d’ores et déjà échappé au contrôle de l’administration royale, tout se publiant et tout se lisant plus ou moins ouvertement ? Mieux vaut encore se hâter de libéraliser le commerce des livres pour pouvoir en limiter les conséquences néfastes.
Ainsi, Malesherbes, sans cesse partagé entre son ministère au service de l’absolutisme royal et son amour de la liberté d’expression, reflète bien la faiblesse ambiguë d’un pouvoir politique qui ne sut pas s’adapter à temps à l’évolution rapide des esprits au siècle des Lumières.