L'évaluation de la lecture

approches didactiques et enjeux sociaux

par Martine Poulain

Revue de linguistique et de didactique des langues

numéro coordonné par Michel Dabène. – Revue de linguistique et de didactique des langues, n° 10, juillet 1994. Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 1994. ISBN 2-7061-0587-9 : 85 F

Voici une bien intéressante publication, issue de journées d’études auxquelles ont participé des chercheurs français ou francophones, et dont les textes ont été rassemblés par Michel Dabène, spécialiste bien connu des approches linguistiques et didactiques de la lecture.

Une approche écologique

Les partis pris de l’ensemble de ces tentatives sont explicités dès l’entrée. Si les évaluations institutionnelles, si nombreuses à l’heure actuelle, telle celle qui mesure en France les niveaux en français des élèves de CE2 et de 6e, sont intéressantes, elles manquent malgré tout parfois leur objectif, parce que la contrainte institutionnelle les rapproche encore trop d’un examen. Ce sont donc d’autres optiques qui guident les recherches et hypothèses ici présentées : proposer des approches en situation, dites « écologiques  », privilégier l’approche empirique, qui s’intéresse plus au comment qu’au pourquoi.

Pour André Turcotte, qui observe de jeunes Québécois de 17 à 19 ans, toute lecture est un processus interactif, qui « met en jeu trois facteurs : le lecteur, le texte et le contexte ». La difficulté d’un texte, par exemple, n’est pas qu’intrinsèque à celui-ci, mais dépend aussi du lecteur. La lecture scolaire est doublement contrainte : le choix des textes échappe à l’élève et se fait dans une perspective d’apprentissage. Le rôle de l’enseignant devrait alors être d’aider de multiples manières à l’interaction entre le texte et l’élève, afin de sortir celui-ci « de l’isolement qu’engendre la lecture et faire de cette manière une activité propice à l’interaction sociale ». Les tests que ce chercheur a mis au point délaissent « les questions de compréhension pures et simples, qui ont pour objectif de vérifier si un élève a bien compris une unité d’information donnée. Il fait plutôt appel à des tâches de lecture complexes, formulées sous forme de question ouverte, qui exigeront de l’élève un effort de compréhension qui l’obligera à recourir à toutes ses ressources cognitives ».

Pour Anne Jorro, chez les élèves en difficulté des ZEP (zones d’éducation prioritaire), « le rapport au savoir devient plus affectif que cognitif », « la valeur d’échange du savoir prime sur sa valeur formative ». Comme tout lecteur, ces élèves évoluent entre « implication et distanciation à la recherche d’un sens personnel ». C’est pourquoi elle a tenté d’observer et de mettre en acte les processus de régulations intervenant au long de l’itinéraire de compréhension et de comprendre les modalités de ces constants allers et retours entre soi, le texte et le monde, que mettent en œuvre ces lecteurs.

Libertés et contraintes

Plusieurs contributions s’essaient à mieux comprendre les mécanismes de lecture des lecteurs en difficulté et proposent, dans une conception assez proche des travaux de sociologie de la lecture, la mise en place de propositions didactiques qui socialisent l’acte de lire, l’insèrent dans un projet et dans une relation à autrui.

Ainsi, Jean-Louis Dufays et Dominique Ledur, cherchant à faire lire des textes littéraires à des élèves souvent en difficulté, ont-ils réussi à leur faire accepter que « les récits ne sont pas épuisés par une première lecture. En classe, ils ne s’arrêtent plus uniquement au plaisir/déplaisir premier que leur procure l’histoire ». D’autres, ou les mêmes, « étaient étonnés que des récits puissent leur donner du plaisir. La découverte des nouvelles a recueilli un franc enthousiasme ». Enfin, et sans doute plus important encore, cette réassurance a aussi contribué à « une certaine forme de reconstruction d’une image de soi ».

Catherine Frier, Francis Grossmann, Jean-Pascal Simon ont cherché à mieux comprendre les modalités de lecture de textes scientifiques par les étudiants. Ceux-ci se révèlent « à la fois libres et contraints par le texte » : « pour circuler dans un texte scientifique, le lecteur doit posséder des compétences à la fois textuelles et méta-textuelles, lui permettant de mettre en relation et de redéfinir des notions appartenant à des champs habituellement distincts reformulés à l’intérieur d’un champ spécifique ». Les auteurs proposent un ensemble de procédures d’analyse d’inspiration sémiotique et structurale et avancent une première interprétation des modes de lecture que révèlent les façons de souligner et annoter un texte. Enfin, Monique Frumholz propose le regard d’une orthophoniste sur le savoir-lire.

Cet ouvrage constitue un ensemble riche, dont la lecture est parfaitement accessible à des lecteurs non spécialisés dans le domaine, qui trouveront là de quoi nourrir leurs réflexions sur un sujet décidément inépuisable.