Les chantiers scientifiques de la Bibliothèque nationale de France

Annie Le Saux

La Bibliothèque nationale de France ne peut que se féliciter des quatre demi-journées qu’elle vient d’organiser sur l’état d’avancement de ses grands chantiers. Les professionnels des bibliothèques venus fort nombreux – de France et de l’étranger – y assister, les 3 et 4 avril derniers, dans l’auditorium de la galerie Colbert, ont vivement apprécié les divers exposés.

La nouvelle organisation des collections

Comme tout changement est propice aux réflexions, le transfert de la BNF à Tolbiac s’est organisé autour de groupes de travail et de commissions, qui ont abouti à des choix d’organisation concernant les différents secteurs de la bibliothèque.

Les imprimés

Faire coïncider l’organisation actuelle des collections avec leur répartition prochaine en quatre départements fut l’une des préoccupations des responsables de la bibliothèque. Cette organisation des collections, malgré l’ouverture de nouvelles séries par Léopold Delisle à la fin du XIXe siècle, est restée semblable à celle que choisit Nicolas Clément dans le dernier quart du XVIIe siècle, répartissant les imprimés en cinq grandes classes, selon la classification des libraires : Théologie, Droit, Histoire, Sciences et arts, Belles Lettres.

Que va-t-il advenir de ce classement dans la nouvelle organisation de Tolbiac ?

Il a été décidé de garder, dans la mesure du possible, leur cotation actuelle aux ouvrages déjà entrés, en les intégrant aux quatre départements thématiques (cf. encadré) et de ranger les ouvrages entrant à partir de 1996 par département et par format. Cette répartition de l’ancien fonds, qui devrait permettre de mieux maîtriser le mouvement permanent des collections sur les rayons, amplifié par l’incessant accroissement des ouvrages, présente quelques anomalies, reconnaît Jacqueline Sanson, directeur des imprimés et de l’Audiovisuel, comme celles de rattacher bizarrement la physique à la philosophie et de lier l’art aux sciences et non, comme il semblerait logique, au département Littérature et art.

Mais, rassure Jean Favier, président de la Bibliothèque nationale de France, le lecteur ne pâtira pas de ces étrangetés, « il ne sera pas prisonnier du département qu’il aura choisi », car l’ensemble des collections imprimées – sauf celles de la Réserve – sera communicable dans tous les départements. Un autre principe a consisté à conserver dans les tours, dans des magasins de petite taille, les collections les moins communiquées et, dans le socle, les séries les plus communiquées ainsi que les grands formats, les documents audiovisuels et la Réserve, la relative flexibilité des bâtiments devant permettre dans les années à venir de moduler éventuellement cette organisation.

Mais la nouveauté réside surtout dans le choix de la classification Dewey pour les collections en libre accès : 400 000 volumes à l’ouverture, 800 000 prévus à terme, répartis dans les départements en rez et haut-de-jardin.

L’audiovisuel

Une autre évolution notable dans cette nouvelle organisation des collections a été la volonté de développer l’audiovisuel, que l’on constate ne serait-ce que dans le nombre de places qui lui seront réservées : 400 sur les deux niveaux de la bibliothèque au lieu de la vingtaine qu’offre actuellement la Phonothèque nationale. Gérald Grunberg, directeur du département de la Phonothèque et de l’Audiovisuel a présenté les caractéristiques de cette nouvelle politique de l’audiovisuel, qui, tout en s’inscrivant dans la politique générale de la bibliothèque, a pris le parti de favoriser l’accessibilité de collections jusque-là inaccessibles au public, privilégier la documentation concernant la France et constituer une collection de référence du cinéma documentaire. Le document source sera privilégié, pour lequel les droits seront acquis soit pour les deux niveaux de la bibliothèque, soit exclusivement pour le haut-de-jardin. La collection de ce dernier niveau devrait comprendre, à l’ouverture, 4 400 documents vidéo, 15 000 documents sonores, 300 000 images numérisées et des documents multimédias (CD-Rom, CD-I...).

La Réserve

La commission chargée de réfléchir au transfert de la Réserve à Tolbiac a décidé de l’accroissement de ce fonds par acquisitions, à partir du dépôt légal ou de dons. Mais le mode d’accroissement le plus important est venu du récolement des collections de l’ex-BN. A partir de signalements fournis par les récoleurs selon des critères précis – date, langue, illustration, provenances –, une équipe de valideurs décide des « passages » du magasin des imprimés à la Réserve.

La conservation

S’il est un sujet sensible lors de la construction de toute nouvelle bibliothèque, c’est bien la conservation. Quand il s’agit d’une bibliothèque nationale, on imagine l’ampleur et les enjeux de la politique choisie pour un tel établissement. Daniel Renoult et plusieurs de ses collaborateurs ont présenté les différentes innovations technologiques en matière de conservation, sur lesquelles travaillent, en collaboration, spécialistes tant internes qu’externes à la BNF.

A la tradition artisanale poursuivie au cours des ans par la Bibliothèque nationale, viennent désormais s’ajouter les apports de technologies nouvelles. La BNF étudie actuellement, par exemple, la possibilité d’utiliser un procédé de renforcement mécanisé des documents par clivage, expérimenté par la Deutsche Bibliothek à Leipzig, et présenté par Ernst Becker, directeur de l’entreprise Becker, permettant un traitement en plus grand nombre, une plus grande rapidité et un coût moindre – 2 000 à 5 000 feuilles traitées par trois personnes par jour, pour un coût de 10 F par page, au lieu des 200 à 300 feuilles obtenues par l’ancien procédé manuel, pour un coût de 120 F par page.

De plus en plus attentives à une meilleure gestion des coûts de la conservation, les grandes bibliothèques suivent de près la recherche et le développement dans ce domaine, font appel à la contribution de scientifiques – physiciens, chimistes, biologistes – et s’associent à des industriels. La BNF a ainsi passé une convention avec la société SEPAREX, qui étudie un procédé de désacidification de masse utilisant du dioxyde de carbone (CO2) à l’état supercritique. Méthode préventive pour prolonger la durée de vie des papiers, cette désacidification de masse, qui ambitionne de traiter 300 000 volumes par an, devrait être faite dans les ateliers de Marne-La-Vallée, réservés en priorité à des opérations lourdes, alors que les ateliers de Tolbiac seront surtout consacrés au conditionnement des documents avant leur mise en rayon et à des interventions légères.

A Tolbiac, outre l’attention portée aux risques causés par la nature même des collections (feu, vol, lumière, chaleur...), un cahier des charges très exigeant pour la sécurité des bâtiments et la climatisation a pris en compte les contraintes liées à la proximité de la Seine, la hauteur des tours, ainsi qu’à la présence d’un public nombreux.

La conservation est l’un des enjeux scientifiques et économiques de la BNF, qui lui consacre 4 % de son budget de fonctionnement et 14 % de son personnel permanent – que ce soit dans les laboratoires ou les services de restauration sur les différents sites (Sablé, Provins, Richelieu, et, bientôt Tolbiac et Marne-La-Vallée).

Les produits bibliographiques

Les deux orientations principales de la troisième demi-journée – les produits bibliographiques et le catalogue –, ne se limitaient pas à la seule Bibliothèque nationale de France, elles élargissaient la problématique aux services rendus aux bibliothèques en général et à l’ensemble des utilisateurs.

Isabelle Boudet, chef du service de la Bibliographie nationale française, à partir de l’historique du dépôt légal, depuis l’ordonnance de Montpellier en 1537 jusqu’à la loi du 20 juin 1992 sur les documents radiodiffusés, télédiffusés et informatiques, et à travers les missions patrimoniales dévolues à une bibliothèque nationale, a montré le rôle pivot joué par la Bibliographie nationale française, à la fois témoin de la production nationale, reflet des collections de la Bibliothèque nationale et produit de diffusion auprès des bibliothèques françaises et étrangères.

Exhaustivité d’une collecte qui concerne désormais toutes les formes de la production éditoriale française – imprimée, audiovisuelle, électronique – et qualité du catalogage sont les critères recherchés par l’Agence bibliographique nationale, acteur principal dans la conception et la réalisation de produits bibliographiques. Les supports sur lesquels ces produits, destinés à être diffusés, soit pour consultation, soit sous forme de récupération des notices pour la constitution de catalogues locaux, vont du papier, des microfiches, des bases en ligne (Opale et Opaline) à celui qui semble le plus apprécié des utilisateurs : le CD-Rom. Parmi les produits bibliographiques disponibles sur ce support, citons la Bibliographie nationale française depuis 1970, avec un abonnement annuel de 8 000 F hors taxe, les notices d’autorité de BN-Opale (6 400 F HT). Est en cours de réalisation le CD-Rom du catalogue général avant 1970, qui devrait être livré au courant du dernier trimestre 1995 et en projet le CD-Rom disques, devant comporter 180 000 notices Unimarc.

Unimarc, Intermarc, cette diversité de formats selon le type de documents est un des reproches formulés par les utilisateurs, représentés par Françoise Boissière, présidente de la FULBI, Fédération des utilisateurs de logiciels de bibliothèques, regroupant dix associations d’utilisateurs de logiciels intégrés de bibliothèque.

Le catalogue

C’est avec un très vif intérêt que le public de la galerie Colbert a écouté Marcelle Beaudiquez, directeur du Développement scientifique et des Réseaux, parler de l’évolution des catalogues de la bibliothèque jusqu’au futur catalogue de Tolbiac. Partant de sa fonction première qui est d’identifier et de localiser les documents sur les étagères, le catalogue a vu sa philosophie évoluer au cours des siècles, influencée par la croissance permanente des collections et la multiplicité des types de documents. Si, au XVIIe siècle, le catalogue, reflet exact des rayonnages, était unique, la nécessité de diversifier les possibilités d’accès a amené la mutiplication des catalogues et la complexité de leurs usages.

Cette évolution s’est également reflétée dans la forme physique des catalogues : le registre d’inventaire manuscrit a fait place aux fiches manuscrites, puis sont apparus les catalogues imprimés destinés à être commercialisés et, enfin, le catalogue informatisé, multipliant les possibilités de recherche à partir d’une description unique, normalisée.

Comme pour tous les grands chantiers scientifiques, une commission a réfléchi à ce que devrait être le futur catalogue de la BNF, déterminant un certain nombre d’éléments indispensables, dont son caractère encyclopédique, unifié, cohérent et normalisé, géré par des fichiers d’autorités, offrant une recherche matière à partir de la liste Rameau et un Opac restituant la richesse des données entrées. A ces propositions s’ajoutent des éléments souhaitables, comme enrichir le catalogue de nouvelles données – visualisation du sommaire ou de la quatrième de couverture –, créer des liens entre les ouvrages d’un auteur et sur un auteur, bénéficier d’informations biobibliographiques sur les auteurs ou encore d’un dépouillement systématique des ouvrages collectifs – anthologies...

Ce catalogue sera la somme des fichiers et catalogues de l’établissement, dont l’un des problèmes, et pas le moindre, est de rendre cohérents les quatre millions de notices concernant les livres et périodiques des origines à 1970, les deux millions de notices – dont un million figure déjà dans le catalogue général – des ouvrages anonymes, collectivités, thèses, factums, actes royaux..., le million trois cent mille notices de livres et périodiques depuis 1970 de la base BN-Opale... Un total de sept millions de notices environ à transférer sur le nouveau système informatique.

Au centre du nouveau système d’information, le catalogue multimédia sera accessible à partir des 1 000 postes destinés au public, des 2 000 postes réservés aux professionnels, par minitel, via Renater et Internet et par interconnexion avec le futur catalogue collectif de France, dont il sera un élément constitutif, de même que les bibliothèques municipales participant à la conversion rétrospective et les différents catalogues collectifs gérés par l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur.

La normalisation

La cohérence et la performance des informations fournies, accessibles à tout utilisateur qui le désire, quels que soient l’endroit où il se trouve, la provenance des informations, le support sur lequel elles se présentent, ne sont obtenues que par un contrôle et une normalisation rigoureux.

Michel Melot a remarquablement exposé l’intérêt et l’absolue nécessité des normes, non pas des normes limitées à telle ou telle communauté, à telle ou telle profession, à tel ou tel pays, mais des normes universelles, évolutives, ouvertes, rejetant l’isolement et la marginalisation.

Les nouveaux services des bibliothèques

Ces journées se sont terminées par la présentation des services qui seront offerts au public. Roland Schaer, directeur du Développement culturel, et Suzanne Jouguelet, chef de la Mission pour l’organisation et le transfert des collections, nous ont guidés depuis la future avenue de France, au sud, jusqu’à l’esplanade, puis, en empruntant l’un des deux « travelators » – des tapis roulants –, jusqu’aux espaces d’accueil de la bibliothèque et le long des déambulatoires. A nouvelle bibliothèque, nouveau vocabulaire !

Le niveau haut-de-jardin, ou bibliothèque d’étude, sera ouvert, après acquittement d’un droit d’entrée payant, à tout lecteur âgé de plus de 18 ans ou titulaire du baccalauréat ; le niveau rez-de-jardin, ou bibliothèque de recherche, sera réservé aux lecteurs justifiant d’une recherche nécessitant l’accès aux collections de la bibliothèque, après avoir également acquitté des droits d’entrée, et fait une réservation de place.

Des bornes interactives, au niveau accueil, donneront accès aux catalogues et permettront la réservation de documents et des places en rez-de-jardin. Un service d’accueil, un service d’orientation des lecteurs, un service de reproduction et un service de recherche bibliographique seront également à la disposition des lecteurs et une réflexion est en cours sur ceux qui pourront être fournis à distance

Deux salles d’exposition, l’une de 800 m2, l’autre de 400 m2, ont été prévues en haut-de-jardin, ainsi qu’un auditorium de 350 places, une salle de 200 places et six salles de commissions de 30 places.

Lors de ce colloque, des visites des bâtiments de Tolbiac ont été organisées pour les participants.

Jean-Sébastien Dupuit, directeur du livre et de la lecture et Jean Favier ont conclu ces riches journées, où l’on a pu également entendre des intervenants anglais, allemand, américain et portugais.

Si certains des thèmes débattus étaient plus spécifiques à la BNF, comme l’organisation des collections dans les quatre tours de Tolbiac, d’autres, comme l’évolution des techniques de préservation, pourront avoir des retombées sur nombre de bibliothèques, dont les représentants, présents dans la salle, ont cependant regretté qu’il ne fût pas fait suffisamment mention de leur participation à de grands travaux communs à la BNF. Le temps a manqué aussi pour parler d’un certain nombre d’autres sujets, dont la formation, l’intégration et le recrutement des personnels. Des suggestions pour de futures journées d’étude dans le nouvel auditorium de Tolbiac...

Illustration
Les quatre départements thématiques de la BnF