À la découverte d'Internet

Annie Le Saux

Internet fait désormais partie du vocabulaire courant du professionnel de l’information, même si ce qu’il recouvre n’est pas toujours bien clair. Pour suivre cette actualité, l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS) a consacré deux journées – les 30 novembre et 1er décembre derniers – à la découverte d’Internet : un enjeu pour les professionnels de l’information et de la documentation *. D’un côté, il y avait les initiés, ceux qui s’échangent leur e-mail comme nous notre numéro de fax et de l’autre les attirés et les méfiants, condamnés à entrer dans l’espace Internet sous peine d’être exclus d’une certaine forme de communication. La présence importante de documentalistes, bien plus nombreux que les bibliothécaires, sur le campus de Beaulieu, à l’Université de Rennes 1, a été, s’il le fallait, la preuve de l’intérêt suscité par ce réseau des réseaux.

Structure, services et outils

Plusieurs intervenants du Centre de ressources en informatique de Rennes 1 ont clairement développé les aspects techniques et pratiques d’Internet :

– sa structure, reposant sur des protocoles de communication indispensables à l’acheminement des informations, dont IP, Internet Protocol, qui transmet une information découpée par paquets, de routeurs en routeurs et permet un échange entre des réseaux n’ayant pas les mêmes équipements informatiques ; TCP ou Transmission Control Protocol, protocole complémentaire nécessaire pour assurer la fiabilité de ce transfert ; DNS, Domain Name System, système de « nommage » hiérarchisé permettant aux utilisateurs d’utiliser des noms plus clairs que des chiffres pour désigner les machines hébergeant les différentes ressources ;

– les services accessibles, dont la messagerie électronique est le plus répandu avec 30 millions d’utilisateurs, les listes de diffusion – citons biblio-fr qui regroupe bibliothécaires et documentalistes francophones et comprend 700 abonnés, dont la moitié hors de France et adbs-info qui comprend une centaine d’abonnés –, les forums électroniques, appelés encore news – 3 600 actuellement de par le monde, 69 en France...

– les outils proposés : Wais (Wide Area Information Servers), Gopher et surtout World Wide Web, dernier système d’information et le plus utilisé, défini comme un système d’information réparti hypermédia. Comme Wais et Gopher, W3 est un système client-serveur avec, d’un côté, les serveurs qui détiennent l’information sous forme de fichiers, et de l’autre, les logiciels clients

– le plus utilisé est Mosaic – pour interroger ces serveurs et accéder aux données indexées. W3, outil de qualité, très sophistiqué, permet d’interroger tous les serveurs, d’interfacer tous les outils et utilise la technique de l’hypertexte. Pour illustrer ses propos sur W3, Roger Négaret nous a offert la visualisation et l’audition des Rolling Stones interprétant Love is strong !

– les différentes façons de se raccorder – le réseau téléphonique classique, Numéris, Transpac ou une liaison spécialisée – et les postes de travail requis : Macintosh ou PC sous Windows, le câblage, les cartes réseau, les logiciels, les logiciels applicatifs, dont Gopher, Wais, Archie, W3.

Immédiateté et interactivité

Plusieurs exemples d’utilisation d’Internet ont été présentés par Jean Michel, de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées, Pascal Andrei, du Centre d’études scientifiques de défense, Jean-Paul Ducasse, des services de documentation et de bibliothèque de l’Institut d’Etudes politiques de Lyon, et Marie-Anne Ollivier, de Géosciences à Rennes. Tous se sont accordés pour juger la connexion à Internet indispensable à toute personne travaillant à un niveau international.

Cet outil d’échange à l’échelle mondiale anime l’information, lui donne vie, la recherche, la reçoit, la critique, la modèle, la transforme, la retransmet, gommant distance et temps, à la différence de tout ce qu’on avait connu jusqu’à présent et qui offrait un monde délimité et figé.

Immédiateté de la réponse et interactivité sont les maîtres mots d’Internet. Interactivité diront certains, le Minitel l’offre déjà. Pourquoi aller chercher cet outil américain ? Sans dénier les qualités du système vidéotex, il faut reconnaître qu’Internet, par sa plus grande rapidité, sa plus grande sophistication et son extension au monde entier, en grignote de plus en plus le monopole. Internet a une dynamique de croissance unique, mais son point le plus positif n’est pas tant l’importance du débit, que la possibilité d’accès du plus grand nombre à des services nombreux et divers, ainsi que la possibilité de faire connaître ses propres services et ressources.

Nouveau est l’adjectif qui s’accorde le mieux, en genre et en nombre, à tout ce qui se rapporte à Internet : nouvelle société de l’information, nouvelles habitudes professionnelles, nouvelles pratiques sociales, nouveaux types de relation entre les personnes – on ne se voit plus –, entre les éditeurs et les bibliothécaires, nouveau public, nouvelle économie de l’information – gratuité, du moins pour l’instant, d’un certain nombre de services qui étaient payants sur les systèmes en ligne.

Jean-Paul Ducasse était bien placé – l’IEP entretenant avec Internet des relations de producteur et d’utilisateur – pour analyser les modifications des usages et comportements du personnel de cet établissement et de ses utilisateurs. Le documentaliste, a-t-il dit, doit acquérir une culture informatique spécifique aux réseaux, dont fait partie la navigation dans les différents outils que sont Wais, Gopher, W3... et la transmettre à l’utilisateur qu’il forme à l’autoformation. Le documentaliste ne peut plus être celui qui cherche à la place de l’utilisateur, il doit maîtriser le contenu pour en indiquer le signalement à un public nouveau, différent et pas forcément connu de lui, à un public virtuel. La démultiplication des points d’accès n’oblige plus l’utilisateur à se déplacer à la bibliothèque ou au centre de documentation, il peut consulter sur place, de n’importe quel point de l’université. Il se trouve de plus aidé par un réseau de compétences : il y a toujours quelqu’un qui peut vous orienter, et, la réciproque étant vraie, quelqu’un que vous pouvez guider vers l’information recherchée. Cela aboutit à une philosophie du troc s’opposant à la philosophie purement commerciale utilisée jusqu’à présent.

Information et désinformation

La facilité d’utilisation d’Internet par des millions d’utilisateurs a cependant sa contrepartie : ses réseaux sont vulnérables, car faciles à infiltrer. Du fait de l’impossibilité de vérifier l’identité de chacun, la confidentialité semble difficile à respecter. D’autre part, comment s’assurer de la valeur des informations véhiculées, quand on sait qu’il est aisé d’usurper l’identité de quelqu’un. Comment distinguer l’information de la désinformation ?

A qui travaille dans des domaines sensibles, Pascal Andrei, chercheur au Centre d’études scientifiques de défense, conseille d’éviter de communiquer ses axes de recherche en posant des questions trop orientées, de masquer ses préoccupations pour éviter les intrusions. Quand on met des informations sur Internet, on doit savoir que des millions d’utilisateurs peuvent y avoir accès. L’information donnée sur ce réseau aurait-elle alors tendance à devenir plus générale que stratégique et pertinente ? A moins que des systèmes de protection et de sécurité, suivis – ou plutôt précédés ! – de systèmes de tarification ne viennent enrayer les risques de débordements.

Il faut aussi avoir – tout comme pour la production papier – un regard critique sur les informations véhiculées et, si besoin, faire valider les informations reçues par des experts ou, dans le cas d’articles de revues électroniques, des comités de lecture. Connaître, sélectionner, éliminer, ces fonctions ont fait leur preuve et sont toujours applicables. Ce sont simplement les moyens de les mettre en œuvre qui ont changé.

Le réseau développe de plus en plus sa propre régulation et l’existence de modérateurs assure une vigilance importante. Hervé Le Crosnier, de la bibliothèque universitaire de Caen, modérateur de la liste de diffusion biblio-fr, remarque la valeur accordée aux listes modérées, plus consultées que les listes non modérées.

Internet en France

L’intervention d’Hervé Le Crosnier portait essentiellement sur la présence française sur Internet, un enjeu culturel et géopolitique que la France et les pays francophones ne doivent pas négliger. Un codage prenant en compte les caractères accentués et les signes diacritiques, avec la transmission du jeu de caractères du français écrit et des langues autres que l’anglais – point vraiment faible de ce produit américain –, la rédaction en français des chemins d’accès à l’information et la création de services d’information en français sont des objectifs indispensables au maintien d’un mode de pensée, d’une langue, d’une culture enfin, autres qu’américains.

Le nombre croissant d’organismes français ayant accès à Internet devrait œuvrer en ce sens. Parmi ces organismes, les bibliothèques universitaires et spécialisées, sans doute aidées en cela par la présence des centres de calcul et de ressources informatiques de leurs universités, se sont bien engagées dans cette voie. Plus difficile s’avère la connexion des bibliothèques publiques, qui doivent se faire aider par leurs municipalités ou par l’Université. Mais ce retard de la lecture publique n’est que passager, affirme Michel Melot, qui soutient la thèse qu’Internet va devenir un outil indispensable pour le service au lecteur. De plus, sa gratuité apparente semble tout à fait en phase avec le rôle de service public des bibliothèques. Le grand public est en outre directement visé par le développement des autoroutes de l’information et la normalisation de la compression des images animées (MPEG2), entérinant le mariage du téléphone, de la télévision et du micro-ordinateur.

Michel Melot a illustré ses propos en relatant l’expérience d’un club de poètes à Moscou qui profite des facilités électroniques pour publier, lire des poèmes et intervenir sur les œuvres diffusées. Il a aussi décrit l’expérience d’une des annexes de la Bibliothèque publique d’Helsinki, où on a pu observer trois comportements chez les utilisateurs d’Internet – une dizaine de personnes par jour. Il y a ceux qui connaissent les réseaux et transmettent leur savoir au bibliothécaire, ceux qui ignorent tout d’Internet et que le bibliothécaire doit guider et ceux qui viennent, comme au bureau de poste, envoyer leur message, la bibliothèque devenant une sorte de maison d’édition.

Le droit venant souvent après les usages, il fut aussi question de la complexité des problèmes juridiques posés par la numérisation d’un texte – image du texte, qui superpose deux droits différents, celui de l’image et celui du texte –, par le fait que chaque lecteur est un auteur potentiel, par la difficulté d’identification d’un message électronique instable, par l’absence d’ISSN et, d’ISBN. Autant de problèmes non encore résolus.

Le passage à cette nouvelle culture écran entraîne un changement d’attitude qui remet en cause les métiers traditionnels. Il est désormais impensable de former des documentalistes sans les initier à Internet. Les bibliothécaires semblent eux aussi ne pas vouloir faire l’impasse sur ce moyen d’accès à l’information.