Économie de l'information

Martine Poulain

L’ENSSIB Et l’ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation) organisaient le 18 octobre dernier une journée d’étude sur l’économie de l’information.

Anne Mayère revenait de présenter l’état des recherches en économie de l’information. Les recherches s’intéressent à l’information comme objet ou à l’information comme projet. L’information peut être considérée comme objet en soi ou comme processus d’appropriation par un usager. Les recherches se sont intéressées à la manière dont les agents économiques effectuaient leurs choix, sur la place de l’information dans la gestion et les échanges. L’un des paradoxes souvent souligné concerne la productivité de l’information. On en attendait des gains de productivité : les travaux qui ont cherché à les mesurer n’en ont guère trouvés... L’agent économique ne cherche pas nécessairement l’optimisation, mais la satisfaction. Aujourd’hui, les travaux parlent plutôt de gains d’efficacité et s’intéressent davantage à l’organisation du travail.

L’information, bien collectif

Yves Thépaut, de l’université de Rennes 2, rappelait que l’information est considérée depuis le début des années 60 comme un bien économique. Elle est aussi un bien collectif : elle est indivisible, égale pour tous ; elle est inappropriable ; elle présente un caractère d’externalité : ses effets sont externes. Enfin, l’économie est un bien paradoxal : sa valeur est incertaine, tant qu’elle n’est pas possédée ; sa reproduction est d’un coût faible, voire nul.

Pour Yale M. Braunstein, professeur à l’université de Berkeley, le problème posé aujourd’hui est : qui doit payer l’information, que faire payer, tout le monde doit-il payer ? Une problématique pragmatique bien utile à des oreilles françaises, qui s’agitent également sur cette question. Depuis les années 50, la position des gouvernements fédéraux a toujours été la même : les usagers doivent payer, les intermédiaires doivent acheter l’information plutôt que la produire. Ce qu’il faut faire payer, ce sont les coûts de reproduction, non les coûts de développement. Une conception qui ne manque pas d’ambiguïté, car elle suppose par exemple que la détermination des coûts de reproduction est chose simple... Comment estimer le service rendu par les fonctionnaires publics ? Une manière modérée de prendre en compte les coûts de la reproduction est critiquée par le secteur privé qui y voit une concurrence déloyale. La tradition américaine distingue les taxes (tax) des droits (fees). En général, les taxes ne sont pas liées à l’intensité d’usage, les droits le sont. En fait, seul le Congrès est habilité à proposer des taxes. Un débat qui n’est pas sans écho avec un autre, récurrent aujourd’hui : comment déterminer ce qu’est un service de base et ce qu’est un service à valeur ajoutée ?

Emmanuel Moulin prépare pour l’ADBS un ouvrage sur la question du coût et de la tarification des services documentaires. La décision de tarification doit être prise après analyse du contexte multiple. Le calcul des coûts nécessite lui aussi des études préliminaires. Il faut ensuite identifier et valoriser les charges, les éclater, les ventiler. On peut en général différencier les coûts selon plusieurs critères : selon la durée de la recherche, par question, par outil utilisé, ces trois critères pouvant être mélangés. La tarification peut elle aussi être faite à la question, au temps passé, au forfait ou à l’abonnement.

L’information et l’entreprise

Pierre Chapignac, consultant en Rhône-Alpes, s’intéresse au rôle du facteur immatériel dans les enjeux technologiques. Son projet, expérimenté sur plusieurs cas concrets, est d’essayer de recomposer l’activité économique pour tenter de situer les flux d’information et leur rôle dans le fonctionnement. Comment fonctionne et agit ce flux immatériel ? Comment fonctionnent les relations entre savoir-faire et projets ? Il existe une dialectique permanente entre le générique et le spécifique. Ce sont les gens de terrain qui vont transformer les savoir-faire en savoirs. Les métiers de l’information dans ce cadre ont plusieurs fonctions : contribuer à la formalisation des connaissances, aider à la fluidité et à la dynamique du système.

Pour Christiane Volant, de Paris I, les spécialistes de l’information peuvent aider l’entreprise à préciser ses projets, à formuler ses besoins. Mais l’entreprise n’est pas toujours convaincue de l’utilité et de la qualité des services d’information. Ceux-ci ont encore bien souvent une place à se faire dans l’entreprise. Le décalage entre les spécialistes de l’information et ceux qui pourraient bénéficier de leurs services est grand, les premiers se révélant souvent « incapables de comprendre l’organisation, donc d’apporter l’information innovante dans le processus de management ». Il y a là cohabitation de deux mondes étrangers l’un à l’autre.

Alain Laidet, journaliste à 01 Informatique, a mis l’accent sur l’évolution des sociétés de service informatiques : voici encore quelques années, elles achetaient des logiciels tout faits ou faisaient développer les logiciels selon les desiderata des clients ; mais les gros systèmes étaient rois. Aujourd’hui règnent les systèmes ouverts et l’époque est à la modélisation : dans les ateliers de génie logiciel, on modélise et le logiciel crée automatiquement l’informatisation ; les micros sont de plus en plus puissants.

Mutations professionnelles

Béatrice Vacher, chercheur à l’Ecole polytechnique, souligne que l’accent est aujourd’hui mis de plus en plus sur l’usage de l’information. On se demande comment rapprocher le producteur et l’utilisateur, comment rendre compatibles les besoins d’information avec le potentiel de l’organisation. La question posée est celle des qualités requises pour satisfaire les besoins d’information d’une société. L’obstacle à la circulation de l’information vient souvent des cultures et comportements professionnels des différentes professions concernées (informaticien, spécialiste de l’information, cadres de l’entreprise), dont les relations se situent de plus dans un ensemble instable.

À Patrick Bazin, directeur de la bibliothèque municipale de Lyon, revenait de situer les exigences attendues aujourd’hui d’une profession dont il était peu question ce jour-là : les bibliothécaires. L’ordre du livre que cette profession était habituée à servir laisse la place aujourd’hui à une réalité éclatée, mouvante. Les usagers et leurs demandes ont changé : les publics veulent non la référence, mais le document lui-même et « si possible un document A mélangé à un document B ». Le réseau est aujourd’hui transversal, le multimédia remplace peu à peu l’ordre unique de l’écrit, le langage documentaire est de plus en plus intégré dans le document lui-même, la notion même de lecture évolue, les possibilités d’intervention du lecteur sur le texte s’accroissent : la lecture se rapproche de l’écriture. Mais en fait, estime Patrick Bazin, ces nouveaux temps n’appellent pas un bibliothécaire de plus en plus technicien, mais exigent au contraire un retour sur les contenus. L’ancrage fondamental du métier prendra alors la forme d’une compétence renouvelée sur le contenu des documents proposés.