Systèmes d'information dans la fonction publique

Isabelle Masse

Cette journée d’étude, organisée par l’Association des professionnels de l’information et de la documentation, se tenait le 13 octobre 1994, au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. L’ADBS a récemment créé un secteur fonction publique, cette dernière ayant en effet, et de plus en plus, un rôle très important dans la production et l’utilisation d’informations et de documentation, que ce soit l’administration d’État, les collectivités locales ou les hôpitaux. Mais les fort nombreuses structures documentaires sont gérées avec des moyens disparates et les richesses qu’elles contiennent, destinées à un large public de décideurs, administrateurs, techniciens, ou usagers, ne sont pas toujours mises en évidence. Efficacité, aide à la décision, valorisation, qualité, tels furent les thèmes majeurs, plus qu’évoqués tout au long de cette journée. L’objectif était de présenter des systèmes, de faire connaître de nouvelles pratiques de gestion, dans trois ministères, la mairie d’une grande ville, et un hôpital.

La fonction documentaire au ministère de l’Équipement

Dans ce ministère, représenté par Claire Bazy-Malaurie, directeur des Affaires financières et de l’administration générale, structure très déconcentrée et décentralisée et multiplicité des domaines (techniques, juridiques, administratifs) rendent très difficiles les relations et la circulation des informations internes. Depuis 1987, est mise en œuvre une véritable politique documentaire, soutien à l’ensemble des activités du ministère.

Efficacité et qualité. Organiser, rendre disponible l’information dont le traitement est le premier paramètre de tout mécanisme d’aide à la décision. La qualité est un enjeu important dans un ministère offrant des prestations de service technique aux usagers et aux collectivités locales : entretien ou développement des métiers, indispensable système de veille d’information, actions de formation, mise à disposition d’une documentation de base, capitalisation de l’expérience et du savoir-faire acquis par les services du ministère (éparpillés sur le territoire, ou situés dans des services techniques ou de recherche très spécialisés), réalisation de réseaux informatiques spécialisés (Ceddre, Urbamet, etc.) 1.

Crédibilité, enjeux économiques et financiers. Il y a trop souvent méconnaissance des productions – normatives ou autres – du ministère par ses propres agents, ou des problèmes d’interprétation des textes réglementaires et législatifs, etc. Des structures d’information paraissent donc nécessaires en direction de ces agents.

Le coût des unités documentaires au ministère de l’Équipement a été chiffré, mais beaucoup plus utile est la mesure du coût de la mauvaise documentation : contentieux dus à des décisions mal « renseignées », trop grand nombre d’études refaites par faute de repérage, rachat très cher de l’information produite, passage par un autre organisme pour connaître ses propres règlements, etc.

Fonction documentaire, enjeu des systèmes d’information. Des systèmes informatiques assurent le cycle de vie des documents : fabrication, traitement, diffusion, conservation. Par l’application de la GED (gestion électronique des documents), la documentation est une des composantes du schéma directeur de l’informatique du ministère de l’Équipement. Une charte éditoriale a été réalisée par le Service de l’information et de la communication – sensibilisation des responsables à la mise en forme des publications, à la fabrication d’annuaires ou de répertoires, signalement dans des banques de données, et réflexion sur l’organisation de la diffusion des documents.

Actions concrètes. Assurer la cohérence et la lisibilité du dispositif, la fluidité et l’absence de lacunes majeures est l’un des objectifs premiers de la documentation. Depuis 1988, est mise en place une automatisation des unités documentaires avec le logiciel Isabel compatible avec les banques de données Ceddre et Urbamet. 180 services de documentation ont rejoint ce réseau qui permet de rechercher une cohérence d’organisation – dossiers thématiques et synthèses réalisés par les unités documentaires des directions et des services centraux plutôt que de multiples fois sur le terrain ; rechercher également la cohérence des missions, des prestations, des champs documentaires couverts, des moyens affectés.

Double enjeu de formation. Sont concernées la gestion professionnelle d’agents spécialisés, mais aussi et surtout la reconnaissance interministérielle d’un véritable métier – pour les documentalistes ; il est nécessaire d’apprendre à organiser et à servir d’une unité documentaire et de former les agents à l’tilisation et aux pratiques documentaires ; dans les services, il convient de contribuer à la reconnaissance et valorisation de la fonction documentaire.

Le Cedocar

Édouard Valensi présentait, avec beaucoup de véhémence et un rien de provocation, le Centre de documentation des armées du ministère de la Défense (Cedocar), dont il est le directeur. Ce centre possède plus de 10 millions de références bibliographiques (sciences appliquées, technologies les plus avancées : spatiales, aéronautiques, terrestres, navales, informatique, défense et armements) accessibles par réseau téléphonique. La veille scientifique et technique est assurée par les NST (notices sélectionnées par thèmes) et les BIP (bulletins d’information personnalisés) qui donnent une sélection de références bibliographiques de documents nouveaux. Des recherches bibliographiques sont réalisées à la demande sur des sujets particuliers. Les textes intégraux des documents sont fournis sur demande et l’aide à l’utilisation assurée pour les usagers.

La médiathèque dispose d’un fonds documentaire, riche, varié, facilement accessible et régulièrement actualisé (plus de 6 millions de documents) : publications des ingénieurs et chercheurs, publications officielles françaises, étrangères et internationales, rapports de l’administration américaine, rapports, thèses et ouvrages publiés par les universités et laboratoires, etc. Le tout sur supports traditionnels – papier et microformes -, ou modernes – CD-Rom.

Ministère de l’Environnement et littérature grise

Anne-Marie Sardon, coordinatrice du réseau documentaire du ministère de l’Environnement pour la littérature grise 2, présentait les processus mis en œuvre dans ce ministère pour valoriser et faire connaître à un large public de ce type de documents.

La prise de conscience écologique est née en France dans les années 1960-1970 d’un changement de perception des rapports de l’homme à la nature et d’un procès de la société de consommation. D’où la création, en janvier 1971, d’un ministère de la Protection de la nature et de l’environnement et l’émergence des idées de « transparence » et de « participation du public ». La CCDA (Commission de coordination de la documentation administrative) encourage la mise en œuvre d’un système de collecte, de traitement et de communication de la littérature grise administrative, en, priorité pour les rapports non commercialisés, financés ou produits par l’administration elle-même : rapports officiels (établis à la demande du gouvernement ou d’un ministre), rapports périodiques (bilans annuels, rapports d’activité), études et recherches, dossiers établis par les administrations, etc. Et ceci par le signalement des documents dans des bases de données documentaires accessibles au public : sur Pascal et Francis – sciences et techniques – pour l’Inist (Institut national de l’information scientifique et technique) qui transfère les références dans la base européenne de littérature grise Sigle 3 et sur la Bipa (Banque d’information politique et d’actualité) pour la Documentation française – administration et politique.

Valorisation et diffusion. le poids considérable de la recherche scientifique, de ses outils et méthodes donne la priorité à la valorisation et à la diffusion des données scientifiques : il faut répondre aux questions de l’opinion publique, sensibiliser tous les acteurs de l’environnement aux problématiques environnementales. Un système a été mis en place dès 1980 pour organiser et favoriser l’accès aux rapports de recherche, améliorer la compréhension scientifique des questions environnementales, et rechercher une plus grande articulation entre le citoyen et le service public, dans un processus de transparence administrative.

Perspectives et missions. Les objectifs principaux sont : augmenter la capacité de décision et d’orientation de tous les acteurs, favoriser l’innovation et l’émergence de nouvelles connaissances, rendre le public encore plus familier de la démarche scientifique dans le domaine de l’environnement. Trois missions essentielles ont donc été déterminées : collecte systématique des documents, traitement de l’information, structure et organisation rationnelle (échange et mise à disposition rapide) ; développement de l’information interne et externe sur les travaux réalisés et donc les connaissances ; accès au document primaire et à l’information intégrale.

Fonctionnement du système. Le centre de documentation est dépositaire d’une collection complète des rapports classés par domaines et années, un exemplaire étant adressé à l’Inist. L’accès au contenu intégral des documents est possible par une simplification et une diminution des difficultés de communication des documents. L’Inist fournit les rapports sous forme de photocopies ou de microcopies. La consultation des documents se fait aussi en régions par le relais des Centres d’études techniques de l’équipement et des bibliothèques interuniversitaires de sciences (et de la médiathèque de la Villette depuis 1991).

Veille documentaire dans une grande mairie

Claude Durand, responsable du Service Information documentaire de la mairie de Grenoble 4, présente la veille documentaire dans une grande ville.

Les réseaux de télécommunications, les nouvelles modalités de l’accès aux documents administratifs, l’efficacité du service public, la mise à plat des métiers et la modernisation des méthodes, l’évolution des compétences des collectivités territoriales, ont obligé les communes à une réflexion sur leur mode de gestion.

250 services existent actuellement dans les collectivités territoriales, qui sont chargés d’offrir des sources documentaires. Les documentalistes y ont un rôle généraliste dans les domaines de la connaissance utile (fonds consultables et recherches). Ils réalisent des produits de synthèse de l’information (revues de presse, bulletins documentaires) destinés aux services municipaux qui traitent des questions de gestion courante et ont besoin de réponses immédiates et utilisables directement. Le service de documentation est associé à des réunions d’information dans la ville.

L’environnement professionnel des utilisateurs. l’intégration de la documentation dans les services, l’aide à la réflexion collective par une information bien adaptée, une méthodologie du traitement de l’information auprès des partenaires, ont incité la ville de Grenoble à créer une base informatisée. Des dossiers mixtes sur les services locaux (éléments d’information externe et de gestion) – cadre juridique national, commentaires de presse spécialisée cadre réglementaire interne, documents administratifs, compilations d’informations à la demande, etc. – sont disponibles.

Dans le cadre d’échanges d’informations entre grandes villes, le besoin de comparaison se développe. Des dossiers sont mis en place (analyses des points forts/faibles des actions des collectivités) qui peuvent être un outil de réflexion.

Aide directe à l’utilisateur pour une maîtrise des ressources documentaires. La base bibliographique renseigne sur les sources publiées existantes en mairie. Des méthodes de gestion de l’information reçue sont mises en place. Les échanges d’information favorisent la circulation interne, et nécessitent qualité et contrôle, analyse de sa valeur, évaluation des prestations.

En milieu hospitalier

Alain Halbout, directeur du CHU (Centre hospitalier universitaire) de Rouen, évoque la diversité des centres de responsabilité dans un grand hôpital, la difficulté à couvrir les champs documentaires correspondants et la nécessité de pouvoir s’appuyer sur une information disponible et fiable (droit, jurisprudence, connaissance des pratiques et des usages, états des études) concernant la gestion des personnels, des stocks, l’aménagement et la construction, l’organisation des services, le développement et la garde du système d’information et des archives, le règlement des contentieux, la réflexion éthique, etc.

Pour remédier à la dispersion des moyens et des structures, certains établissements hospitaliers ont créé, ces dernières années, des centres de documentation, confiés à des documentalistes, qui n’ont à l’heure actuelle, aucun statut officiel, leur situation relevant de dispositions locales due au bon vouloir des autorités.

Le CHU de Rouen a créé un Centre de documentation, directement rattaché à la direction général, ouvert à tous les acteurs de l’hôpital, et chargé de réunir, d’assurer le classement, et d’exploiter toutes les informations. Avec des moyens télématiques ou informatiques, dans une relation de réseau, il répond à toute demande dans les meilleurs délais, constitue des dossiers d’études, édite une revue de presse quotidienne à destination des responsables. Il comprend aussi un secteur médical, ouvert sur les réseaux internationaux.

En 1991, un réseau des documentalistes hospitaliers a été mis en place (120 adhérents) ayant pour objectif d’assurer la reconnaissance d’une nouvelle fonction, de solliciter les moyens appropriés, de permettre des échanges professionnels et la poursuite d’objectifs communs, d’assurer la promotion de la fonction documentaire, soutien indispensable à toute décision. Une banque de données – Jurisanté (diffusion de l’information documentaire, collaboration avec les milieux professionnels, liaison avec le ministère de la Santé) – a été créée, complétée par une chronique juridique permanente et une prestation de service sur questions individuelles.

Vision d’ensemble

Cette dense journée se terminait par une table ronde, au cours de laquelle étaient soulignées la diversité et la multiplicité des expériences, des contextes administratifs, des vécus pratique et théorique, mais aussi la convergence de visions très spécifiques du milieu professionnel. Ainsi que la forte volonté que l’administré participe à la vie de la collectivité, et celle de donner de l’information.

Jean Michel, président de l’ADBS, donnait sa vision du travail du professionnel de l’information, celle d’un système de relations avec cinq groupes de partenaires. Les partenaires institutionnels constatent le développement des besoins, ont le souci d’une démarche de qualité, de rentabilité, malgré des malentendus et des incompréhensions, beaucoup de décideurs étant peu au fait des systèmes d’information et les responsables souvent décevants dans leur approche du problème de l’information. Le partenariat utilisateur/client, est délicat, ambigü, les relations avec les « clients » étant parfois plus affectives que professionnelles, ces derniers faisant souvent preuve d’une grande ignorance, et d’exigences irresponsables (le « tout tout de suite »).

Les partenaires de l’industrie de l’information sont de plus en plus présents avec tous les problèmes liés aux fournisseurs de livres, banques de données, logiciels, réseaux, les droits de copie, de prêt, ou liés à la circulation de l’électronique. Les partenaires professionnels concurrents/complémentaires sont les informaticiens, « gens de la communication », bibliothécaires, archivistes, ceux qui ont une activité de conseils, les nouvelles interfaces : spécialistes de l’information/formateur, etc. enfin, les partenaires professionnels de la même corporation sont les documentalistes avec lesquels il faut travailler en réseau.

  1. (retour)↑  Les domaines de l’aménagement et de l’urbanisme constituent un bon exemple de besoins impératifs de documentation, leur fonctionnement en logique de projet rendant très importante la connaissance des expériences et opérations réussies ou (surtout) ratées.
  2. (retour)↑  l’Afnor (Association française de normalisation) définit ainsi la littérature grise : « Documents dactylographiés ou imprimés produits à l’intention d’un public restreint, en dehors des circuits commerciaux de l’édition et de la diffusion et en marge des dispositifs de contrôle bibliographiques ». Ce sont des rapports d’études, de recherche, de missions, bilans d’activité, actes de congrès, séminaires, thèses, normes, brevets, etc. Des réseaux de diffusion existent pour les thèses, les normes, et les brevets, mais pour les autres documents, des circuits de repérage et de signalement devraient être mis en place.
  3. (retour)↑  System for information on grey literature in Europe
  4. (retour)↑  Le Service d’Information de la mairie de Grenoble a été créé en 1960 et emploie actuellement cinq personnes dont 4 documentalistes. On y trouve trois types de banques de données informatiques : sources documentaires de la collectivité, localisation des revues et dossiers documentaires, et enfin, bases réglementaires (chronologie de l’action municipale, banque de données, banque d’informations internes, notes de service en vigueur, bulletins municipaux, missions et profils de services). Le budget de fonctionnement est de 300 000 F par an, le fonds de documents de 1 000 livres et ouvrages à mises à jour, 100 abonnements à des revues, 250 dossiers à la demande pour les services municipaux, 300 dossiers permanents.