Les bornes interactives

Annie Le Saux

e thème de la journée d'étude - les bornes interactives - organisée le 6 mai 1994 à la BPI par l'Association des bibliothécaires français et la Bibliothèque publique d'information était d'autant plus intéressant que ce sujet a été jusqu'ici relativement peu traité par la profession, et pour cause -leur apparition dans le monde des bibliothèques est récente.

Une préparation minutieuse

Les bornes interactives, ce sont ces caissons d'environ 1 m 50 de haut, au pan légèrement incliné que l'on rencontre dans les gares, les hôpitaux et les halls de certains ministères, musées ou bibliothèques. Equipées d'un PC - moins cher et plus rapide -, ou d'un MacIntosh - plus cher et moins rapide, mais au graphisme plus élaboré -, d'un clavier associé à un track ball - remplaçant la souris -, ou d'un clavier vitrosensitif ou encore d'un écran tactile, d'un lecteur de CD-Rom, d'une imprimante, et d'un logiciel spécifique, pour lequel il n'existe malheureusement pas encore de norme internationale, ces bornes proposent une interactivité modulable suivant le budget que l'on peut leur consacrer, passant par du simple texte écrit, des images fixes, ou des images animées visualisant l'information ; leur consultation peut être agrémentée de son - musique et commentaires -, nécessitant l'utilisation de casques si la borne se trouve dans un lieu public.

Nicole Picot, de la Bibliothèque du Louvre, en exposant le projet mis en place par le service d'accueil de la Bibliothèque publique d'information, a résumé la préparation minutieuse préalable à une telle installation et prévenu des difficultés à surmonter. Les exigences, dès le départ, doivent être les suivantes : - une grande solidité : les bornes sont destinées à être consultées par un grand nombre de personnes pas forcément respectueuses de ces objets ; - une facilité d'utilisation : elles doivent pouvoir être utilisées par tout public, jeunes et moins jeunes ; - une rapidité d'information, qui n'est pas la moindre des difficultés, car il s'agit de communiquer de façon rapide tout en délivrant un message utilisant les mots du public et non pas un vocabulaire compris des seuls bibliothécaires ;
- un graphisme étudié : il s'agissait en l'occurrence de reprendre la signalétique existante ainsi que la charte graphique de la production éditoriale de la BPI ; établir une charte graphique recherchant une unité de style est nécessaire pour faire passer l'image de l'entreprise ;
- un scénario rigoureusement construit.

Cette méthodologie peut être transposable, confirme Isabelle Goutte de la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette, soulignant que 6 à 8 mois sont en moyenne nécessaires pour réaliser une borne. Ne pas négliger la maintenance, non plus qu'une période de test de 3 à 4 semaines avant toute signature définitive, ne pas oublier que logiciels et matériels sont indissociables si l'on ne veut pas être renvoyés d'un fournisseur à l'autre en cas de pépins, s'attacher les droits d'utilisation du progiciel et acheter les droits du logiciel, tels sont les divers conseils pratiques prodigués par Isabelle Goutte.

Des bornes d'orientation aux bornes d'information

Les bornes sont d'abord apparues pour des raisons commerciales, réalisant certaines fonctions comme : - distribuer des billets - qui n'a pas entendu parler de Socrate ? ;
- décrire les produits de l'entreprise : la borne Electre, moins sophistiquée que le CD-Rom du même nom, conçue pour les bibliothèques et pour les librairies, a été testée au dernier Salon du livre ainsi que dans trois sites pilotes, à la médiathèque de Saint-Quentin, chez Gibert jeune et à la librairie Entretemps du Bon Marché ;
- orienter les visiteurs et les informer sur les démarches à suivre, comme dans les grands magasins, avec, dans ce cas précis, certaines limites dues au fait qu'on y change fréquemment de place au contenu des rayons et qu'une mise à jour régulière est indispensable si l'on veut éviter un désintérêt de la part des utilisateurs.

L'utilisation des bornes a commencé à s'étendre à des lieux de culture, tels que bibliothèques et musées, où elles assurent, là aussi, diverses fonctions. On y trouve :
- des bornes d'orientation permettant de se retrouver dans des lieux disséminés et complexes, les campus universitaires par exemple ;
- des bornes de présentation générale de l'établissement, indiquant son fonctionnement, ses horaires d'ouverture... ;
- des bornes décrivant les collections et informant sur les diverses activités de l'établissement ;
- des bornes de réservation de places, comme celles de la Bibliothèque Sainte-Geneviève *, passage obligatoire pour entrer dans la salle de lecture.

Si plusieurs expériences de bornes ont déjà pris corps, elles sont cependant trop récentes encore pour permettre une évaluation. Sandra Rony-Sinno a néanmoins donné quelques chiffres sur une enquête succincte menée de la mi-février à la mi-avril auprès des utilisateurs de borne interactive à la BPI : environ 100 interrogations par jour, dont 80 % faites par des personnes venant pour la première fois. 70 % demandent une information précise, dont 61 % des renseignements bibliographiques. 60 % ont trouvé ce qu'ils cherchaient, un tiers imprime un ticket indiquant l'itinéraire à suivre, mais 50 % seulement l'utilisent. 90 % se déclarent satisfaits même s'ils n'ont pas trouvé ce qu'ils recherchaient !

Un contenu pertinent et diversifié

A travers les autres exemples présentés - celui du Caran (Centre d'accueil et de recherches des Archives nationales) et celui de la médiathèque Edmond-Rostand -, on note une certaine désaffection pour des bornes contenant des informations trop générales pour un public spécialisé ou régulier, une fois bien sûr passé l'attrait de la nouveauté. Une simple borne d'information risque de lasser un public qui en attend un contenu plus pertinent et plus diversifié.

Le ministère de l'Agriculture, dont la structure et la signalétique complexes ont abouti à la création d'une borne interactive, a cherché à maîtriser ce risque, en offrant une triple ouverture : la borne installée dans le hall du ministère donne des informations, elle aide à localiser les services et les individus en liaison avec l'annuaire téléphonique et, enfin, elle présente des événements récents type Salon de l'agriculture, sortie d'un nouvel ouvrage ou discours du ministre.

A l'issue de cette journée d'étude, il est apparu évident que les bornes ne s'imposent pas de la même façon dans de petites bibliothèques, avec un public fidèle et habitué, que sur des campus universitaires ou dans des lieux où le brassage du public est important, comme dans les musées ou à la BPI - où 12 000 à 13 000 personnes défilent chaque jour -, ou lorsque la complexité des lieux ou la multiplicité des services rendent l'orientation difficile.

Diversité des publics, niveau culturel différent, on remarque que ce ne sont pas les mêmes publics qui s'adressent à des personnes ou ont recours aux bornes, les timides s'orientant plus naturellement vers ces dernières, alors que d'autres préfèrent l'accueil des bibliothécaires et le dialogue au cadre quelque peu figé des informations données par la borne, même si le scénario habilement construit permet de fréquentes mises à jour. Alexandre Chautemps constate, à la médiathèque Edmond-Rostand, une nette désaffection des bornes lorsque les bibliothécaires sont disponibles.

Complémentaires et non rivales, les bornes, créées pour seconder et désengorger les services d'accueil et d'orientation, n'offrent bien souvent qu'une première approche, même si l'interactivité du produit procure une grande liberté à l'utilisateur et si son côté ludique est encore une fois mis en avant.

D'un coût élevé - le coût global de la borne installée au ministère de l'Agriculture est de 400 000 F, et de 700 000 F pour celle du kiosque de l'Assemblée nationale -, les bornes interactives ne doivent pas être considérées comme un gadget, mais comme un outil rapide, dont la réalisation demande réflexion, où le contenu des informations, la concision et la simplicité des accès sont les conditions indispensables à leur utilisation et par là-même à leur réussite.