À propos d'un cinquantenaire...

Pour André Masson

Pierre Lelièvre

A l'occasion du cinquantenaire de la création de la Direction des bibliothèques de France en 1944 et après un rappel du déroulement des événements qui y ont conduit, dans l'atmosphère de la Libération, Pierre Lelièvre rend hommage à André Masson, qui, du fait de sa personnalité et de son expérience, a joué un rôle décisif dans la création et le fonctionnement de cette Direction. Il lie son souvenir au rappel d'une institution qui lui doit beaucoup.

On the occasion of the 50th anniversary of the creation of the Direction des bibliothèques de France in 1944 and after a description of the events which led to it, during the Libération de Paris, Pierre Lelièvre pays homage to André Masson, who, because of his personality and experience, had a decisive role in the creation and functioning of this institution.

Bei Gelegenheit der Fünfzigjahrfeier der Gründung im Jahr 1944 der Direction des bibliothèques de France (Bibliothekenhauptamt in Frankreich), nachdem er die Ereignisse erwähnt hat, die dazu geführt haben in der Stimmung der Libération, huldigt Pierre Lelièvre André Masson, dessen Persönlichkeit und Erfahrung eine bestimmende Rolle gespielt haben für die Gründung und den Lauf dieser Direction. So wird dieses Gedenken mit der Erinnerung einer Anstalt, die André Masson soviel schuldig war, eng verbunden.

En 1944, les Alliés ont la maîtrise du ciel, la bataille de Normandie est gagnée, la Seine franchie, les blindés de la division Leclerc ont atteint la porte d'Italie, Paris est couvert de barricades. Depuis des semaines, Paris est coupé de la province, mais le téléphone marche toujours. Sur un petit carnet où je note jour après jour des nouvelles, je lis à la date du 24 août : « A 14 heures, Bouteron me téléphone : Henri Wallon, qui a pris ce matin possession du fauteuil d'Abel Bonnard, en fuite, lui a demandé de créer une direction des bibliothèques et de la lecture publique. Bouteron ne veut accepter qu'à condition de m'avoir comme bras droit ». Je demande une heure. C'est une remise en question de tous mes projets. Mais comment refuser en ce moment ? Et puis, j'accepte de lui prêter main forte. A partir de cette heure, la DBF (Direction des bibliothèques de France) existe, sur le papier. Reste à l'organiser.

Le 26 août, le général de Gaulle a défilé sur les Champs-Elysées et s'est rendu à Notre-Dame. A l'intérieur de la cathédrale, Te Deum et fusillade. Roosevelt, longtemps réticent, pourrait-il refuser plus longtemps de reconnaître la légitimité de de Gaulle ? Le 31 août, le Gouvernement provisoire de la République se transporte d'Alger à Paris et René Capitant, ministre, succède, rue de Grenelle, à Henri Wallon. La création de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique est confirmée.

La situation en 1944

Où en sont les bibliothèques en 1944 ? La Bibliothèque nationale a retrouvé, depuis 1930, son équilibre et son crédit international grâce à Julien Cain. Le 11 juin 1940, il suit le gouvernement à Bordeaux et, avec Jean Zay et Georges Mandel, s'embarque sur le Massilia. Destitué par Vichy, il est emprisonné au fort de Romainville en 1941. Livré aux Allemands, interné à Buchenwald, il sera délivré par l'armée américaine en avril 1945. L'usurpateur Bemard Fay s'est réfugié en Suisse, Jean Laran, doyen des conservateurs de la BN, assure les fonctions d'administrateur.

Les membres du personnel scientifique ont conscience d'appartenir à une institution plusieurs fois séculaire, unique en son histoire et en son genre. Mais l'idée d'un corps unique ne leur plaît pas, ils en voient les risques. Les grandes bibliothèques de la capitale, à savoir la Mazarine, l'Arsenal, Sainte-Geneviève, ont leurs traditions et leur « quant-à-soi ». Les bibliothèques universitaires, étroitement liées, comme un secteur administratif et technique, aux universités, vivent une existence subalterne, où bâtiments, matériels et personnel sont à la discrétion du corps enseignant. Sans doute, le personnel d'Etat des bibliothèques municipales classées est-il le plus intéressé à l'unité du corps. Seul élément fédérateur - l'Association des bibliothécaires français (ABF). Chaque année, à l'occasion d'une assemblée générale, se nouent des relations, sont exposés des projets et décidées des interventions, parfois couronnées de succès.

Marcel Bouteron et Pierre Lelièvre ont été investis, par le hasard et les circonstances, d'une mission qui est loin de faire l'unanimité de ce corps non constitué des bibliothécaires. Qui sont ces deux hommes chargés d'organiser les bibliothèques ? Marcel Bouteron, un Parisien de Paris, et Pierre Lelièvre, un provincial qui a fait ses débuts dans les archives et les bibliothèques. Le premier est entré à la bibliothèque de l'Institut, y a fait sa carrière, le second est historien de l'architecture. Marcel Bouteron, comme il s'amuse à le dire, est « le pape des balzaciens » ; il a publié une édition de la Comédie humaine, avec des notes d'une érudition discrète. Ce chartiste, en veste de tweed, porte une cravate lavallière bleue à pois blancs : il aime flâner. C'est un conteur charmant, qui s'amuse, dans la familiarité, à s'identifier à Monsieur Bergeret Il a été, pendant quelques années, inspecteur général des archives et des bibliothèques. C'est ainsi qu'il a appris à connaître la province. Lorsque j'ai été inspecté par Marcel Bouteron, à Nantes, ensemble, nous sommes allés manger un beurre blanc au bord de la Loire, avons beaucoup parlé de Balzac et un peu de boutiques bibliothéconomiques. Nous nous sommes retrouvés à Paris, le 3 juin 1942. Ayant soutenu mes thèses en Sorbonne, je suis, depuis le 1er juin, directeur de la Bibliothèque d'art et d'archéologie.

L'ABF est en somnolence, seul se réunit le bureau que je préside depuis 1942. Sans doute, c'est cette fonction qui incitera Marcel Bouteron à faire appel à moi comme coadjuteur, le 24 août 1944. Dans le petit entresol de la rue Saint-Dominique, assigné à la DBF * en gestation, Marcel Bouteron, engoncé dans sa pelisse et les pieds sur une chaufferette, écoute ses collaborateurs exposer le projet de budget en discussion au ministère des Finances. Nous avons réuni une petite équipe : Paul Poindron, Jean Bleton, Louis-Marie Michon, Simone Lacroix. Dès que les circulations seront rétablies, nous coopterons Henri Vendel qui, seul d'entre nous, a réussi, avant la guerre, à faire fonctionner, dans la Mame, un bibliobus départemental.

La discussion avec les services du ministre des Finances, René Pleven, est serrée : « Qu'est-ce donc que cette lecture publique ? ». Il faut convaincre, on y parvient et la création de huit services départementaux et de neuf centres régionaux sera inscrite au budget de 1945. Dans le même train de réformes s'inscrit le rattachement des bibliothèques universitaires soustraites à la direction de l'enseignement supérieur, avec une administration relativement indépendante au sein des universités.

La Direction des bibliothèques et de la lecture publique

En janvier 1945, la DBLP a une existence officielle : un directeur, Marcel Bouteron, trois inspecteurs généraux : Henri Vendel, André Masson et moi-même, un service technique, un bureau du personnel, un bureau des finances. La situation n'est pas brillante : plusieurs grandes bibliothèques ont été endommagées ou détruites. Pour l'ensemble des bibliothèques scientifiques, les services d'acquisition à l'étranger ont été suspendus. Des centaines de milliers d'ouvrages précieux ont été emportés par les Allemands. Quant à l'équipement des huit centrales de prêt, libraires et éditeurs ont épuisé leurs stocks et le parc automobile est anéanti ou paralysé.

Lorsqu'en avril 1945, l'armée américaine ramène Julien Cain de Buchenwald, Bouteron et moi allons le voir. Il est encore vêtu de son uniforme de bagnard. Son épuisement est visible ; il lui faudra près d'un an pour retrouver ses forces. Il est réintégré dans son poste d'administrateur général à la BN qu'occupe, à titre provisoire, Jean Laran, doyen des conservateurs. Celle-ci est administrativement subordonnée à la direction des bibliothèques. Mais la personnalité, l'autorité et les amitiés de Julien Cain commandent que l'administrateur général soit en même temps directeur des bibliothèques. Lorsqu'il reprendra ses fonctions à la Bibliothèque nationale, Marcel Bouteron s'effacera. Julien Cain s'impose de toute manière. Pour ses amis d'avant-guerre, c'est l'homme qui a redressé une situation compromise, pour les nouveaux venus, c'est une impressionnante victime de Vichy et des nazis. Julien Cain ne tente pas de modifier les structures de la DBF qui ont fait leurs preuves, mais il n'occupera jamais le bureau qui lui est réservé rue Saint-Dominique. Il lui arrive de garer sa voiture dans la cour quand quelque affaire l'appelle dans le quartier. A cette occasion, parfois, il monte jusqu'à mon bureau et nous nous entretenons quelques instants. Beaucoup de questions seront réglées par téléphone et plusieurs fois la semaine, je me rends à la BN.

Julien Cain m'avait proposé de faire transformer mon poste en celui de directeur-adjoint. Tenant à garder le contact direct avec les bibliothèques de la province, je refusais et c'est ainsi que je demeurais inspecteur général, adjoint au directeur des bibliothèques jusqu'au départ de Julien Cain dans sa soixante-dix-huitième année, au milieu de l'été 1964. Je fus alors nommé recteur d'académie. Henri Vendel était mort en 1949, André Masson devait bientôt prendre sa retraite à Pau. Mon départ en 1964 avait permis la nomination de Paul Poindron à l'inspection générale. Chef du service technique depuis quinze ans, il a été l'esprit et l'âme de la direction des bibliothèques. Je tiens à évoquer ici cet ami, ce travailleur passionné, mort à la tâche.

A l'inspection générale, nous avions convenu de nous réunir périodiquement pour confronter nos expériences et mesurer les chances de voir, bientôt, tous les départements pourvus d'un service de lecture publique. De 1945 à 1958, les ministres ont changé souvent et la politique du ministère a parfois manqué d'esprit de suite. C'était un inconvénient et cela pouvait être un avantage. Nous avions plus de liberté pour débattre entre nous de nos problèmes et essayer de présenter ensuite des solutions concertées. Il fallait, pensions-nous, maintenir l'unité du corps scientifique ; une idée banale qui s'opposait à d'anciennes traditions, à des privilèges acquis et qui heurtait bien des susceptibilités. Jean Laran y était hostile, Julien Cain aussi, mais avec une grande prudence et le sentiment que le directeur des bibliothèques pouvait ne pas être d'accord avec l'administrateur général.

André Masson

Parmi les ouvriers de la première heure se trouvait un homme dont on n'a pas, à mon sens, assez parlé, André Masson. Né à Paris le 15 mai 1900, d'une famille croyante, pieuse et même religieuse. Deux de ses sœurs étaient entrées dans les ordres. Lui-même était incroyant, et le resta totalement. Comme je lui demandais, lors d'une visite que je lui fis à Pau en 1984, de quand datait cette incroyance, il me répondit d'une voix nue : « Je puis vous le dire très précisément, c'est le jour de ma première communion : j'avais attendu ce jour avec fièvre et un grand espoir. Lorsque je reçus ce petit disque dans ma bouche, je m'attendais à une transfiguration... Je retournai à mon banc, les bras croisés, la tête inclinée. Il ne se passait rien ; j'étais inerte. Le doute alors s'insinua dans mon esprit, et un sentiment de refus... Remarquez, ce n'était sans doute pas aussi net que je le dis, mais c'était profond ».

Sceptique en matière de religion, il ne l'était pas moins dans le domaine politique, où il croyait difficilement à la sincérité et au désintéressement. Tout cela fait qu'il n'aimait pas du tout le grand discours et les grands mots. Sa morale, très ferme, était fondée sur le sentiment de l'honneur et sur celui de responsabilité, mais il ne lui déplaisait pas de lui donner les apparences de la bonne tenue mondaine.

L'homme, dont je viens de tracer la silhouette, s'était formé lentement, par les épreuves, par l'expérience, et dans l'éloignement du foyer familial. Il était entré à l'Ecole des chartes très jeune et trouva dans sa promotion quelques démobilisés tout parés du prestige de l'uniforme, des galons, de la misère et de la gloire et cruellement déniaisés. Deux d'entre eux devaient devenir par la suite des amis : le capitaine Henry Joly, plus tard directeur de la bibliothèque municipale de Lyon, et le lieutenant Robert Brun, devenu inspecteur général après le décès d'Henri Vendel en 1949. Le premier avec un certain panache, le second avec modestie, mais studieux, gentil, un peu timide, et qui, major, partit pour Rome.

La thèse de Masson fut d'archéologie normande. Diplômé, il entra à la bibliothèque municipale de Rouen où il commença d'apprendre son métier. Une carrière régulière, sans accident prévisible, s'ouvrait. Elle le conduirait à la condition d'un notable considéré, consacré par les sociétés savantes. Mais il avait, en lui, une impatience d'évasion et le goût des aventures ; à cette vie conforme, il préféra l'aventure. Un poste de directeur de la bibliothèque et des archives du Gouvernement général de l'Indochine était vacant, il se présenta et fut agréé. Que savait-il de l'Indochine et de « la France des cinq parties du monde », figurée en rose sur le planisphère de l'atlas scolaire ? Quelques traits héroïques de la conquête, et quelques images, quelques tableaux des populations, des produits. Des langues, aucune notion. Nous avons quelquefois parlé de ce temps d'Extrême-Orient. Il fallait alors un mois à six semaines pour gagner Saïgon par Suez, Aden, l'Inde, Singapour, Bangkok ; que d'images nouvelles et de réalités entrevues ! L'apprentissage de la vie coloniale réservait d'autres surprises. Je l'ai entendu raconter, d'une voix unie, mesurée, devant un auditoire pétrifié, l'histoire d'un commis des archives à qui il avait fait une observation justifiée. Il le trouva, le lendemain matin, pendu, les pieds traînant sur le dossier, objet de la réprimande. Une autre fois, il me dit avoir vu une religieuse française jeter à terre une piécette, prix de la course, pour ne pas toucher la main du boy.

André Masson a publié bien plus tard La Conquête des cœurs d'Auguste Pavie qui témoigne de son jugement sûr et de ses sentiments à l'égard de l'Indochine. Il avait connu Hô Chi Minh et cru à la possibilité d'un accord. Plus tard, la révolution des Khmers rouges ne le surprit pas. Lorsqu'il dirigea, après la guerre, la Maison d'Indochine, à la Cité universitaire, il montra le parfait sang-froid et l'esprit de tolérance qui lui permirent d'imposer en ce milieu explosif une relative discipline. Lorsqu'on était reçu chez lui, il arrivait qu'un coup de feu tiré dans le quartier des étudiants interrompît la conversation. Masson se levait, sortait et revenait quelques moments plus tard, toujours très calme : « Il arrive à mes étudiants d'avoir des discussions un peu trop animées » ; puis il reprenait l'entretien interrompu. Je pense que ce sang-froid, quelque peu glacé, en imposait aux belligérants et je sais aussi qu'il a permis à l'inspecteur général de régler quelques situations délicates.

Je reviens à notre jeunesse. Huit ans passés en Indochine, un voyage de congé qui lui avait permis de traverser la Manchourie et, par le transsibérien, l'URSS. Cela suffisait pour un temps. Il demandait à rentrer en France. C'est alors que se croisèrent nos routes. Vint la mobilisation générale qui fit d'André Masson, un capitaine de réserve, le chef d'une boucherie divisionnaire et de moi, un instructeur de la PMS (préparation militaire supérieure), enseignant à trois cents jeunes gens l'art de la guerre, modèle 1917. Je reçus alors la visite, c'était à Pâques 1940, d'un colonel de l'état-major général qui m'annonça une attaque très prochaine de l'année allemande : « Ils vont recevoir une raclée, et, nous, nous lancerons notre offensive l'an prochain ». On connaît la suite.

Sous ses allures d'homme qui a des loisirs et trouve toujours le temps de vous écouter, André Masson, esprit bien ordonné, était un grand travailleur. Sa bibliographie montre qu'il a publié plus de 75 livres, articles, notes et préfaces, les uns importants, d'autres plus brefs. A Bordeaux, il se consacra à Montaigne, puis à Montesquieu. Il était attaché à Charles de Secondat par de multiples affinités. Quand il accepta de se rendre à Oxford pour y faire une conférence sur Montesquieu et y recevoir le bonnet carré, il tint à brosser son anglais quelque peu scolaire et ankylosé. Il m'a raconté, mais je tiens son propos pour enjolivé, qu'avec le concours d'anglicistes éprouvés, il traduisit en anglais sa conférence et l'apprit par coeur. Le laboratoire de langues lui avait donné un bon accent. On l'écouta, on l'entendit. Les choses allèrent moins bien quand des auditeurs, une fois la conférence terminée, lui posèrent des questions. « Je m'en tirai », me disait-il, « sans trop de dégâts, mais j'avais eu très chaud ».

La dernière fois que je l'ai vu, c'était au printemps 1984. Bien que sa vue eût gravement baissé il travaillait toujours assis à son bureau, face aux Pyrénées enneigées, le Gave coulant aux pieds de la maison : toujours le même raffinement dans l'agencement de son appartement. André Masson, qui s'était amusé à décrire la vie des Anglais installés à Pau, était un gentleman. J'ajouterai ce que parfois l'on a mal perçu : un homme bon et un juste. Cette distinction singulière, qui était la sienne, devait en faire, dans notre monde contemporain, un homme déchiré. Il avait supporté, d'une âme égale, œquo animo, les épreuves les plus rudes, et bien caché ses blessures. Meurtri, mais toujours affable et courtois dans le commerce des hommes, il a vécu la condition humaine avec une parfaite dignité.

Des œuvres riches et variées

La mort de Masson avait remué tous ces souvenirs éteints ; il m'avait envoyé plusieurs de ses œuvres. L'ensemble est riche et varié. Comme Jean Bleton me lisait la bibliographie établie par Françoise Masson des travaux de son père, il me disait son émerveillement devant tant de publications érudites ou savantes qui, pendant soixante-cinq ans, ont jalonné la vie de ce grand travailleur : la Normandie et Rouen, avec une étude de l'église de l'abbaye de Saint-Ouen, qui était sa thèse à l'Ecole des chartes publiée en 1927. Un peu plus tard, c'est l'Indochine où, en huit ans de séjour, il a rassemblé un choix important de pièces d'archives, publiées à l'occasion de l'Exposition coloniale, chez Geuthner en 1929.

Toute sa vie, il demeura attaché à l'Indochine comme en témoigne son Histoire de l'Indochine, publiée dans la collection Que sais-je et plusieurs fois rééditée. A l'Académie des Sciences coloniales dont il était membre, il a fait plusieurs communications. Enfin, en 1947, il publie d'Auguste Pavie A la conquête des cœurs qui est un témoignage intéressant sur certains aspects de la colonisation qui a su parfois être tout autre chose que violente.

La belle édition reliée qu'il a faite des œuvres complètes de Montesquieu est un témoignage rendu à Charles de Secondat, auquel s'ajoutent de nombreux articles publiés en 1950, tant sur Montesquieu que sur la bibliophilie en Guyenne.

Sa carrière de bibliothécaire devait être marquée par une Histoire des bibliothèques publiée en collaboration avec Paule Salvan en 1961 et rééditée en 1982 avec le concours de Denis Pallier. Mais l'oeuvre capitale qu'il nous laisse, c'est l'ensemble de ses travaux sur le classement et le décor des bibliothèques anciennes, où historiens du livre et historiens de l'art ont trouvé leur miel.

André Masson a pris sa retraite à Pau. C'est là qu'il est mort, quinze ans plus tard, le 7 février 1986. Je lui avais téléphoné le 2 janvier pour lui présenter mes vœux et le remercier des souhaits qu'il m'avait adressés. Comme toujours, ces souhaits, où perçait discrètement un humour glacé, étaient d'un ton attentif et témoignaient d'une sensibilité retenue, mais prévenante qu'on était heureux de deviner. Il me dit au téléphone qu'il y voyait mieux et que son médecin lui donnait espoir d'une amélioration ; mais il souffrait durement d'une arthrose généralisée. Il me parla ensuite de son travail, de ses projets, de ses enfants et de son petit-fils.

Cinq semaines après, d'une crise cardiaque qui le précipita dans le coma, il était mort, sans conscience et sans souffrir, peut-on penser. Une belle mort, simple, discrète, sans tapage. Une mort parfaite, si je puis dire, pour un homme de sa qualité.

Entre une administration centrale qui décide et les gestionnaires provinciaux, il faut d'autres relations qu'épistolaires. C'est ce qui nous avait incités à organiser « des journées d'études » rassemblant une année les responsables de la lecture publique, une autre, celle des universitaires et une troisième, les bibliothécaires municipaux. Le rôle des inspecteurs généraux intermédiaires, intercesseurs, plus attentifs et familiers que ne peut être un bureaucrate, a été vraiment essentiel, et André Masson, du fait de sa personnalité, comme de son expérience, y a joué un rôle décisif. Ce n'est donc point par artifice que, tenant à lui rendre hommage en même temps qu'à évoquer la création de cette direction parfois contestée, j'ai lié son souvenir au rappel d'une institution qui lui doit beaucoup. Je remercie Martine Poulain d'avoir accueilli ce texte de souvenirs et d'histoire mêlés.

Juin 1994

  1. (retour)↑  Selon les successifs Bottins administratifs, les dénominations de la Direction des biibliothèques et de la lecture publique, après sa création en 1945, ont été les suivantes :
    1949 : Direction des bibliothèques de France et de la lecture publique
    1950-1953 : Service des bibliothèques de France et de la lecture publique
    1953-1965 : Direction des bibliothèques de France
    1965-1975 : Direction des bibliothèques et de la lecture publique. (Ndlr)