Les collégiens et l'écriture

des attentes familiales aux exigences scolaires

par Élisabeth Blanes

Christine Barré de Miniac

Françoise Cros

Jacqueline Ruiz

Paris : ESF / INRP, 1993. - 171 p. ; 24 cm. - (Science de l'éducation)
ISBN 2-7101-1021-0

Pour étudier la pratique d'écriture à l'école, les auteurs de cet ouvrage ont très largement ouvert le champ d'analyse. Leur enquête n'est pas limitée au cours de français, mais élargie aux disciplines qui font quotidiennement appel au geste et à l'acte d'écrire, c'est-à-dire, toutes.

Deux collèges socialement opposés

L'enquête s'est déroulée dans les classes de 6e et 3e de deux collèges accueillant des populations socialement opposées - le contraste est volontaire - un collège de banlieue parisienne et un collège renommé de Paris.

Il en ressort que, passé l'engouement des années 70 pour l'expression orale, le collégien passe le plus clair de son temps à écrire : écrire sous la dictée du professeur, écrire des devoirs, écrire des consignes de devoirs, copier ce qui est inscrit au tableau. De tous ces aspects, aucun n'est à négliger, car tous contribuent à composer le paysage de l'écriture dans l'institution scolaire.

Or, si l'on estime avec les socio-linguistes de la décennie 90 que les composantes fondatrices du rapport à l'écriture sont l'« investissement dans le langage en général, le plaisir qu'on y trouve et ce qu'on fait avec », il y a bien sûr place pour une recherche. Cet investissement psycho-affectif dans le langage trouve-t-il son compte au collège, n'est-il pas stérilisé par les instructions officielles qui réduisent l'écriture à une compétence purement cognitive, une technique pour exprimer correctement et clairement sa pensée ? Comment est vécu par les collégiens ce face à face entre leur désir et l'institution ? Cet investissement psycho-affectif, où prend-il racine ? Dans des représentations, des attitudes mentales forgées dans cet autre (ce premier) milieu d'acculturation de l'enfant qu'est la famille. De ce fait, à l'apparent face-à-face entre le sujet (le collégien) et l'institution, se substitue la relation triangulaire entre sujet, institution, famille, autour de la question de l'écriture.

Une cueillette étonnante

Les entretiens - une trentaine -accordés aux enquêteuses par les représentants des trois parties prenantes, ont permis d'évaluer dans quelle mesure le discours des élèves concernant l'écriture en général et l'écriture scolaire fait écho à celui des adultes, parents et enseignants. Le tout assorti des constats et déductions des trois chercheuses. La cueillette est étonnante. Il apparaît qu'à l'école, « l'élève n'est pas mis en situation de production écrite » (la production longue s'effectue à la maison). Comment alors savoir à quelle difficulté il se heurte ? De plus l'élève ne voit jamais son maître se livrer à un véritable acte d'écriture et de réécriture, à un travail de réflexion sur sa propre expression.

Les parents nettement séparables en deux catégories, intellectuels parisiens d'une part, et banlieusards, souvent immigrés, d'autre part, ne délèguent pas à l'école le pouvoir d'apprendre à écrire, du moins au sens qu'ils donnent à ce mot. Les premiers parce qu'ils estiment qu'un modèle de bonne et belle écriture n'est pas fourni par les enseignants car ces derniers « publient peu » (sic). Les seconds quoique plus respectueux, sont si désireux d'une « écriture-mémoire », écriture émotionnelle, qu'ils considèrent que l'école est en dehors de la vie. Pourtant, on ne voit personne contrecarrer les efforts de l'institution et tous pensent qu'exprimer sa pensée avec logique, voire la construire en l'écrivant, savoir prendre des notes ou même copier, sont des supports de la réussite sociale. Le lecteur retirera donc de la lecture de ces chapitres que c'est ce qui est prioritairement demandé à l'école.

Sans doute l'interview des élèves représente-t-elle le moment du livre où le projet des auteurs - comparer les différentes représentations de l'écriture - trouve matière à se réaliser. A telle mère disant « qu'elle n'est pas Madame de Sévigné » fait écho telle fille disant ne pas penser être plus tard écrivain parce que « ce n'est pas donné à tout le monde ». A telle attitude parentale condescendante par rapport à l'école (elle ne donne pas de modèle de belle écriture) correspond l'attitude de ce fils qui met si nettement à distance l'écriture obligatoire qu'il accepte docilement de passer sous ses fourches caudines, comme pour ne contrarier personne, ni parents, ni enseignants. L'implication du sujet dans l'écriture joue apparemment peu dans ce contexte. A tel père du collège de banlieue, attendant tout d'une écriture qu'il manie mal, la réussite de ses enfants, l'expression de sa biographie de déraciné, la communication, correspond la bataille livrée par une fille pour écrire une fois rentrée chez elle tout ce qui lui passe par la tête en s'attachant à faire moins de fautes. La demande auprès de l'école est, dans ce cas, intense.

Une autre conception de l'écrit

Mais dans un cas comme dans l'autre, le but du collégien, parce qu'on l'y incite, est de livrer au professeur un produit fini, peaufiné. Selon les auteurs, c'est à cette conception de l'écrit que les enseignants devraient s'attaquer. L'écrit est, devrait être, le brouillon travaillé, le brouillon rectifié, le texte produit dans son imperfection et repris, réécrit. La classe deviendrait un atelier de bricolage d'une écriture en chantier, le maître donnant cet exemple de tâtonnement. Le livre appelle donc à une réforme de la pédagogie, qui ne peut avoir lieu sans une réforme des mentalités et de l'institution scolaire. Lourde tâche. Comme quasiment tous les ouvrages de chercheurs en pédagogie, il ne trace que des pistes dont le lecteur cherche toujours ardemment l'aboutissement et dans une impatience souvent déçue.

Mais pour le présent, ce livre nous a principalement parlé d'énormes clivages sociaux, caricaturaux mais réels, et d'enseignants adoptant « une pédagogie de normalisation de l'écriture ». Il est vrai qu'un faible échantillon a servi à mener l'étude : deux collèges aux antipodes l'un de l'autre et une trentaine d'entretiens.