La formation des bibliothécaires et l'alphabétisation

Camille Côté

Dans la formation professionnelle, rares sont les programmes de bibliothéconomie qui se sont préoccupés de développer chez les spécialistes de l'information de réelles compétences de travail avec des personnes analphabètes. Or, les bibliothécaires, surtout dans le secteur public, ne peuvent éviter la confrontation avec l'analphabétisme, phénomène de plus en plus important, dû à de multiples facteurs sociaux et économiques et présent partout, à la ville comme à la campagne. La société en général en est de plus en plus consciente et en subit les conséquences, mais l'individu lui-même en porte les marques profondes. La personne illettrée doit faire face à de nombreux problèmes dans la vie quotidienne, mais a aussi droit à l'information.

Une tradition

Très peu d'efforts et de temps ont été consacrés à cette partie de la population qui se trouve dans l'impossibilité d'utiliser les services traditionnels d'une bibliothèque publique, contrairement aux mal-voyants, sourds, ou autres handicapés dont on s'occupe depuis plus longtemps. Il faut trouver des moyens concrets d'aide à ces personnes, mais les bibliothèques publiques ne peuvent agir seules ; elles doivent faire partie intégrante d'un effort communautaire.

Il a toujours été de tradition dans les bibliothèques publiques de servir la population capable de lire mais aussi d'aider la population analphabète en lui fournissant l'information nécessaire pour sortir du silence, et les moyens de trouver les services adéquats d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Cette tradition se situe dans la ligne directe de l'éducation des adultes encouragée depuis toujours par l'American Library Association (ALA). En effet, dès 1926, un rapport publié par une commission d'étude de cette association indiquait que : « Les programmes d'éducation des adultes dans les bibliothèques devaient comporter un volet pour l'enseignement de la lecture aux analphabètes »  1.

Pour les uns, l'alphabétisation est une question relative, pour les autres c'est surtout une affaire de statistiques. Un fait certain est que l'illettrisme doit retenir l'attention des bibliothécaires et des futurs diplômés. Si ces derniers ne sont pas sensibilisés à cette question, alors le défi posé sera difficile à relever, car il nécessite beaucoup de bonne volonté et surtout un engagement professionnel sincère. Pour une lutte efficace contre l'analphabétisme, les portes des bibliothèques doivent être largement ouvertes aux personnes analphabètes, et les richesses des institutions mises à leur disposition dans les salles de lecture, avec du matériel adéquat, des éducateurs et des bénévoles.

Des cours particuliers

Les écoles de bibliothéconomie n'ont jamais été au premier rang des acteurs dans cette lutte. Cependant, celle de l'Université McGill, à Montréal, s'y est intéressée depuis quelques années, et est maintenant la première au Canada à offrir un cours sur La lecture, la bibliothèque et l'alphabétisation. Au cours de l'hiver 1994, un nouveau cours a été ajouté aux programmes, cours destiné à mieux préparer les futurs diplômés à répondre aux besoins grandissants de ces populations : étude des différentes méthodes d'apprentissage de la lecture ainsi que des différentes manières de répondre spécifiquement à leurs besoins. Une grande sensibilité, un intérêt spécifique pour des besoins particuliers, et beaucoup d'ingéniosité devront être développés pour créer des programmes efficaces avec des budgets limités.

Mais le bibliothécaire qui croit en cette cause trouvera les ressources nécessaires et établira une précieuse coopération avec d'autres organismes sociaux pour la définition des besoins et la mise sur pied des activités qui regrouperont les personnes intéressées. La diffusion de ces programmes se fera oralement dans différents milieux, écoles, centres communautaires, etc.

Depuis une dizaine d'années, en Amérique du Nord et surtout aux Etats-Unis, de grands changements se sont produits face au phénomène de l'analphabétisme ; les bibliothécaires coopèrent de plus en plus avec d'autres milieux professionnels pour enrayer ce fléau. Au Canada, un peu de retard a été pris en ce qui concerne les bibliothèques publiques, mais certaines provinces comme l'Ontario et les provinces de l'Ouest ont déjà mis sur pied des services excellents et efficaces. Malheureusement, les efforts du Québec sont trop peu nombreux et peut-être bien mal connus.

C'est seulement par un travail collectif, par une attitude positive et un dialogue entre bibliothécaires et autres partenaires de la communauté, que la bibliothèque publique sera capable d'offrir des programmes d'alphabétisation. La coopération est la clé du succès. Apprendre est un phénomène social, et il est très important que les bibliothécaires se rendent compte qu'ils ne sont pas seuls à se préoccuper de la question de l'alphabétisation.

Du personnel qualifié

Les bibliothèques publiques doivent accueillir tous ceux qui désirent apprendre à lire et à écrire et les directeurs d'établissements doivent comprendre l'importance de la promotion des programmes d'alphabétisation dans une société « d'information », la nécessité de disposer d'un personnel qualifié et la possibilité pour des bénévoles de travailler pour cette cause. Pour mettre en œuvre ces programmes, les bibliothécaires doivent procéder à une identification de la communauté où ils travaillent (groupes d'adultes, jeunes et moins jeunes, etc.), ainsi que de ses besoins, à une évaluation des livres et autres médias (cassettes, films vidéo, etc.) utiles à l'alphabétisation. Une coopération avec les services et les organismes sociaux doit être envisagée. Le droit des adultes à un service de qualité et à la participation aux décisions les concernant doit être respecté 2.

Selon un bon nombre de chercheurs dans le domaine de l'éducation, ces programmes d'alphabétisation doivent être adaptés à ce type de public et les techniques connues des bibliothécaires nouvellement diplômés.

Si les bibliothécaires de l'an 2000 prennent conscience de l'importance de cet enjeu, une plus grande place sera faite aux illettrés dans les bibliothèques publiques et scolaires, par la lecture et la consultation d'ouvrages choisis pour eux et la participation à des activités répondant spécialement à leurs besoins d'information.

L'engagement de tout le personnel des bibliothèques publiques sera un défi et deviendra la pierre angulaire d'un effort commun.

  1. (retour)↑  Jeffrey L. and Charles A. SALTER, Literacy and the library, Englewood, CO. Libraries Unlimited Ine., 1991, p. 20.
  2. (retour)↑  Helen H. LYMAN, « Adult literacy and basic skills leaming through libraries », in Barbara CONROY and others, Lifelong Learning to Adults through Libraries, Washington, DC, Adult Education Association of USA, 1980, p. 11-16 (Eric Document 194785).