Formation au patrimoine : un impératif catégorique ?

Bertrand Calenge

En annexe à son article « Valoriser les bibliothèques de l'enseignement supérieur », paru dans le BBF n° 1 de 1994, Christophe Pavlidès s'interroge sur la formation des futurs bibliothécaires au sein de l'Institut national de formation des bibliothécaires. A cette occasion, l'auteur semble regretter la rareté des contenus patrimoniaux dans la formation initiale d'adaptation destinée aux bibliothécaires reçus à l'issue des concours internes exceptionnels, et s'inquiète pour les bibliothécaires reçus par concours externe.

L'interrogation ne manque pas d'à propos, à condition de la replacer dans un triple contexte :
1. La formation désignée est celle des bibliothécaires reçus par un concours interne exceptionnel organisé chaque année (jusqu'en 1995) au profit des bibliothécaires-adjoints du cadre d'Etat. Cette formation statutaire d'adaptation est articulée dans deux directions :
- donner aux agents, reconnus aptes à devenir bibliothécaires d'après leur cursus professionnel, les outils de maîtrise pour leur nouvelle fonction d'encadrement et d'analyse, étant entendu qu'ils possèdent déjà les connaissances techniques confirmées ; cet objectif est développé sur quatre modules d'une semaine ;
- fournir aux agents, affectés à un poste précis, les outils généraux de perfectionnement nécessaires à la maîtrise de ce poste d'encadrement et d'analyse. Deux modules d'une semaine sont consacrés à cette « spécialisation », et ces modules peuvent être soit conçus spécifiquement pour les bibliothécaires promus (les « sept modules optionnels » que cite C. Pavlidès), soit désignés dans d'autres programmes de fonction continue : dans les promotions 1992 et 1993 des bibliothécaires « internes exceptionnels », 11 agents ont ainsi suivi les stages patrimoniaux de l'INFB : « Les fonds du XIXe siècle », « Conservation des collections », « Exposition et mise en valeur du patrimoine ».

2. La formation initiale d'application des bibliothécaires reçus par concours externe (20 stagiaires, affectés dans l'enseignement supérieur, pour la première promotion dite de « 1992 ») comprend des enseignements liés au patrimoine (3 modules liés aux sources des collections, aux acquisitions et à la gestion des collections) au sein de la formation professionnelle générale. Mais, sur 24 modules d'enseignement, elle propose également trois autres modules d'une semaine, dits « modules spécialisés », destinés à donner une formation exactement adaptée aux responsabilités immédiates du bibliothécaire. Ces modules pourront concerner le patrimoine, soit qu'ils aient été conçus spécialement pour les bibliothécaires-stagiaires (modules qualifiés d'optionnels par C. Pavlidès), soit qu'ils appartiennent au programme de formation continue de l'INFB (voir le vade mecum « Formation en bibliothèques », diffusé à 5 000 exemplaires), soit qu'ils soient validés par l'INFB dans des programmes de formation d'organismes spécialisés (dont l'ENSSIB, ou la BNF,...). Une responsabilité patrimoniale offre donc la possibilité supplémentaire de trois modules spécialisés sur vingt-quatre modules d'enseignement, sans compter un stage de quatre semaines dans un établissement de même type que l'établissement d'affectation du bibliothécaire, et sur des responsabilités apparentées à celles qui lui sont attribuées. En outre, un fil directeur guide l'ensemble de la formation, par la rédaction d'un rapport dénommé « Projet professionnel personnel », articulé sur une responsabilité particulière (pourquoi pas patrimoniale ?) du stagiaire dans son établissement, projet contrôlé par un tuteur scientifique et un tuteur professionnel.

3. Car l'Institut national de formation des bibliothécaires joue sur une double contrainte, une double chance :
- les bibliothécaires qui débutent leur formation à l'INFB sont tous déjà affectés à un établissement, sur un poste précis. Sans méconnaître la nécessité d'une formation généraliste qui envisage la variété de tous les postes possibles pour ce statut, on peut cependant utiliser cette première affectation pour « personnaliser » l'itinéraire de formation prévu pour le ou la bibliothécaire stagiaire, en fonction de son poste ;
- l'existence concomitante, au sein de l'INFB, de programmes de formation initiale (bibliothécaires) et de formation continue (tous corps confondus) offre la possibilité, et de mêler des personnels de statuts et d'établissements différents, et d'enrichir la formation des bibliothécaires par leur participation à des stages mettant en jeu la modernisation des établissements, leur adaptation aux problématiques actuelles, y compris dans le domaine patrimonial. Je reste intéressé en fait par la conclusion de C. Pavlidès : « On préférera croire que des synergies puissent être rapidement trouvées entre l'Institut et l'ENSSIB, dans ce secteur comme dans d'autres, faute de quoi la demande en formation continue risque de s'accroître par défaut de formation initiale ». Sans prétendre apporter de réponse définitive aux interrogations de C. Pavlidès, je voudrais soulever à mon tour deux questions :
- l'« explosion statutaire » qu'ont connu les bibliothèques en 1992 ne saurait aboutir à simplement alourdir une pyramide hiérarchique. Les bibliothèques actuelles voient, avec les statuts multipliés des agents, les fonctions se spécialiser plutôt que les savoirs s'accumuler en strates passives du bas en haut d'une l'échelle en fait indiciaire. Si les conservateurs (et certains bibliothécaires-adjoints spécialisés) peuvent avoir un rôle essentiel dans la gestion et l'analyse scientifique des fonds patrimoniaux, cette mission fonctionnelle doit-elle être affirmée pour tous les corps des bibliothèques ? Que demande-t-on à l'INFB, de former des personnels d'encadrement et d'analyse, ou des « sous-conservateurs » (12 mois de formation au lieu de 18), voire des « super-BAS décalés » (toujours 12 mois de formation contre 24 mois de DUT ou DEUST), et pour lesquels on décomptera une à une les heures d'enseignement technique qu'ils auront reçues ? Ne négligeons certes pas les contenus des enseignements, comme on l'a vu, mais examinons plutôt globalement les fonctions des agents dans des institutions devenues complexes...
- si la formation initiale est bien sûr première, pourquoi craindre un accroissement de la formation continue ? La situation des bibliothécaires, comme on l'a vu, intègre certains aspects de la formation continue dans leur formation initiale.

On ne peut plus croire qu'une formation initiale évacue la nécessité d'un « recyclage », d'une adaptation constante, ne serait-ce que pour respecter et encourager le désir de perfectionnement des professionnels. L'Institut a ainsi ouvert à la formation continue les modules de spécialisation des bibliothécaires en formation initiale (stages dénommés « B »), comme il a déjà inscrit 68 bibliothécaires dans des stages de formation continue au titre de leur formation initiale (dont 3 stages auprès de l'ENSSIB) en 1993 et début 1994. Peut-être est-il temps de penser toute formation professionnelle dans les bibliothèques en termes de formation permanente, conciliant les impératifs de la formation initiale et les atouts d'une formation continue maîtrisée. Les enjeux patrimoniaux ne sont pas indifférents à cette évolution, si l'on veut qu'ils puissent être encore mieux compris au sein des bibliothèques de l'enseignement supérieur.