Le disque interactif

Jean-Marc Proust

Après la journée - le 25 novembre 1993, à l'Ecole nationale supérieure de bibliothécaires - consacrée tout entière au CD-I, à ses caractéristiques techniques et juridiques et aux possibilités d'exploration qu'il offre - à travers exposés, démonstrations et ateliers - les participants encore eux-mêmes interactifs ont été conviés à une table ronde, réunissant, autour de C. Massot, animateur (Médiathèque de Givors), Salah Dalhoumi (ENSSIB), Christian Ducharme (BM de Lyon) et B. Fomi (BNF). L'objectif annoncé est de « remettre un peu d'humanité dans le déferlement technologique de la journée ». Le concept d'interactivité, leitmotiv du jour, doit être repris et examiné ; que devient le rôle du professionnel ? Quels usages pour les publics ? Quelle place dans les collections et les services pour ce produit qui déplace et déclasse les genres et les types ?

Une réponse à un besoin

Le changement qualitatif introduit par le CD-I rend caduque en effet la juxtaposition de services rendus par d'autres CD. Outil performant en soi, répond-il toutefois à un besoin ? La mission culturelle du bibliothécaire est de susciter des besoins implicites, sans que puisse être déterminé un usage « normal » des produits. Si le CD-I existe, il doit être présent à la bibliothèque ; l'introduction des nouvelles technologies se fait par rupture, sans demander l'avis du public : au bibliothécaire de recueillir ensuite statistiques de consultation, commentaires des utilisateurs et observations du personnel. Mais pourra-t-on mesurer ainsi la satisfaction du public ?

Le mode d'autocommunication selon lequel fonctionne le CD-I permet la consultation autonome, mais ce mode favorise les usagers eux-mêmes autonomes ou dominants. La diversification des appropriations par un public lui-même segmenté passe également par le désarroi et les incapacités. Aussi le professionnel doit-il pour certains se spécialiser, pour d'autres maîtriser tous les types de supports ; il doit en tout cas s'approprier les contenus, pour être l'interface avec le public. A la bibliothèque, plate-forme d'expérimentation, il faut tester un produit avant qu'il ne soit introduit dans les moeurs. Si les ateliers de la journée ont été séduisants sinon convaincants quant aux capacités, aux performances du CD-I, cette performance n'induit rien sur son usage ni les capacités du public à s'en servir !

Pour B. Coisy (BM de Lyon), l'utilisation d'un nouveau produit oriente le lecteur vers d'autres types de contenu, en modifiant ses modes et sources d'information. Aussi, dès la mise en service du réseau de CD-Rom à la BM de Lyon, y a-t-il eu accroissement du recours au renseignement humain à proximité immédiate des postes de consultation. L'exigence est la même pour le professionnel avec l'introduction du CD-I.

Séduction et vertige

Au-delà de la séduction exercée par le CD-I et sa richesse, quelques doutes sont inspirés par le vertige d'une navigation apparemment sans limite. En fait, le CD-I propose une navigation guidée, prévue par un concepteur encadré par des contraintes technologiques. N'offre-t-il pas qu'une illusion de liberté, quelle place laisse-t-il au sens critique du lecteur : pourra-t-on encore regarder ailleurs un tableau sans entendre l'extrait musical qui ici l'accompagne ? Les aspects hypermédia du CD-I peuvent être pourtant la parabole qui inspire le bibliothécaire pour concevoir la valorisation de ses propres fonds d'images.

Sans que les interventions s'y attardent, le droit de prêt est évoqué et la position restrictive des éditeurs réprouvée. Comme pour les vidéogrammes, l'espoir raisonnable réside dans des solutions négociées. Pour un auditeur, la critique des producteurs mercantiles s'étend à la journée entière, dont il dénonce le côté à ses yeux commercial !

Ces quelques notes visent à rendre compte des échanges qui, de la salle à la tribune, ont constitué une exploration sans conclusion véritable, une navigation sans terme à l'image de l'objet du débat, mais un dialogue sans lassitude. Les participants, l'heure de la séparation venue, ont regagné leurs établissements chargés d'images, de sons, et d'interrogations passionnées.