Evaluating children's books

a critical look : aesthetic, social, and political aspects of analy sing and using children's books

par Caroline Rives
ed. by Betsy Hearne and Roger Sutton
Urbana-Champaign, Illinois : University of Illinois, Graduate School of Library and Information Science, 1993. - 161 p. ; 21 cm.
ISBN 0-87845-092-0 : $18.50

Un séminaire sur la critique des livres pour enfants dans les revues spécialisées s'est tenu à l'université d'Illinois, du 25 au 27 octobre 1992. Ses actes offrent un inventaire concis des problématiques liées à ce sujet, trop rarement abordé en France. Si certains des aspects envisagés sont proprement américains (le Whole language leaming, la Political correctness...), ils n'en sont pas moins susceptibles de participer de nos interrogations futures. Le poids des revues dans l'équilibre économique de l'édition américaine reste beaucoup plus considérable qu'en France : Janice Harrington souligne que les bibliothèques achètent plus de la moitié des livres pour enfants publiés aux Etats-Unis.

Une méthodologie minutieuse

Le livre s'ouvre sur le compte rendu d'une table ronde réunissant des responsables de la critique de livres pour enfants dans plusieurs revues importantes : le School Library Joumal, la Kirkus Review, le Hom Book Magazine, le Bulletin of the Center for Children's Books, et Booklist. On est frappé de l'importance des moyens mis en œuvre pour mener à bien ce travail. Si les participants s'avouent de plus en plus dépassés par l'abondance de la production (environ 6 000 titres par an, ce qui n'est pas énorme si on compare à la production française), c'est que leur méthodologie est extrêmement minutieuse. Les lectures critiques sont partagées entre un grand nombre de correspondants choisis en fonction de leurs compétences et de leurs sensibilités. Les livres donnent lieu souvent à plusieurs lectures, et les arbitrages sont longs et complexes. Les intervenants se méfient de l'effet de nouveauté ou d'originalité, de leurs réactions personnelles face à des partis pris idéologiques qu'ils ne partagent pas ou qu'ils partagent trop, ainsi que des prestiges de l'image, qui cachent trop souvent la médiocrité des textes.

Janice Harrington s'appuie sur plusieurs enquêtes pour donner le point de vue des bibliothécaires, confrontés à une activité professionnelle de plus en plus absorbante et diverse. Les revues professionnelles doivent permettre une gestion efficace du temps et de l'argent. Les critiques doivent paraître très rapidement après publication, être brèves et donner un avis définitif et argumenté. Les revues doivent envisager des supports jusqu'alors négligés (livres en langues étrangères, audiovisuel...), ainsi que l'usage qui peut être fait des livres. Elles ne doivent pas s'interdire de publier des critiques négatives et permettre ainsi, par exemple, de boycotter un livre qui dit aux enfants qu'on peut se protéger du Sida en se lavant les mains ! Elles constituent un outil précieux de formation continue et aident la profession à justifier ses choix dans le contexte idéologique américain, souvent passionnel. Elles ne dispenseront pourtant jamais du travail personnel de lecture, qu'elles complètent et éclairent.

Janie Schomberg présente avec humour la situation des médiathèques scolaires, où les problèmes sont globalement similaires à ceux qu'on rencontre dans les bibliothèques publiques : néanmoins, les moyens matériels y sont encore plus limités, et la contrainte des programmes scolaires y est plus lourde. Le rôle des revues y est d'autant plus essentiel.

Des genres particuliers

Violet Harris aborde l'utilisation des livres pour enfants dans l'apprentissage de la lecture à travers l'exemple du Whole language learning, qui divise les enseignants aux Etats-Unis. Il s'agit d'une pédagogie progressiste et active, qui adapte les apprentissages aux enfants en tenant compte de leur contexte culturel et social. Après avoir présenté aussi objectivement que possible les positions en présence, elle décrit la spécificité du choix des supports dans cette démarche, qui exclut l'utilisation des manuels scolaires au profit d'une diversité de genres et de médias, allant jusqu'à des textes aussi peu légitimés que les séries inspirées des Tortues Ninja ! La mise en cause du Whole language leaming sur les écrans des réseaux de télé-achat a récemment suscité chez les parents américains des inquiétudes proches de celles que les parents français entretiennent pour la mythique méthode globale.

Betty Carter se penche sur le problème des documentaires, mal aimés des bibliothécaires et des revues. La pertinence critique est probablement un des meilleurs moyens de réhabiliter un genre trop souvent perçu à travers ses exemples les plus médiocres. Les éducateurs et les éditeurs portent une lourde responsabilité dans la production de livres qui semblent n'être destinés qu'à la seule exploitation scolaire. Les documentaires réussis sont aussi des supports pour une lecture esthétique ou affective, en particulier chez les faibles lecteurs. Ils mettent en œuvre une éducation de la lecture active, en rendant transparent le processus de recherche de l'auteur.

Barbara Kieffer évoque les aspects spécifiques de la critique des livres d'images : la relation texte-images dans la production du sens, le style comme moyen d'accès à la totalité du livre, le jeu avec les possibilités graphiques ou avec les conventions historiques et culturelles sont autant de postes qui permettent de rendre compte d'un genre très particulier.

Cathryn M. Mercier se propose de guider le lecteur à travers le territoire mystérieux de ce qu'on appelle aux Etats-Unis la critique textuelle. Les enfants ont-ils des textes une lecture radicalement différente de celle des adultes ? Cathryn M. Mercier ne prend partie sur aucune des approches possibles, mais suggère des pistes illustrées d'exemples. Le féminisme, le marxisme, la psychanalyse, l'analyse des archétypes, le new historicism sont autant d'outils théoriques dont aucun n'épuise le texte, mais qui se complètent pour permettre d'envisager la littérature au-delà de l'anecdote.

Une diversité d'approches

Le point de vue de l'éditeur est donné par Dorothy Briley. Le critique est-il une divinité terrible qui énonce un verdict sans appel aux attendus mystérieux ? Les chaînes de librairies, toutes puissantes aux Etats-Unis, n'ont pas l'habitude de prendre des risques. Si un livre comme Little black Sambo, qui est considéré unanimement par la critique comme cryptoraciste, poursuit néanmoins une carrière longue et sereine, le marché institutionnel domine largement et s'appuie pour ses acquisitions sur un dépouillement systématique des revues. La moindre réserve peut donc avoir des conséquences catastrophiques. Si elle ne remet pas en cause le droit des critiques à ne pas aimer un livre, elle s'interroge sur le côté systématique de l'application de certains critères : faut-il absolument un index dans un documentaire de 32 pages destiné à de jeunes enfants ? La Political correctness interdit-elle à Lisbeth Zwerger d'illustrer Le Rossignol de l'Empereur de Chine ? (Après tout Andersen n'était pas chinois...).

Graciela Italiano soulève le problème des livres destinés aux enfants hispanophones. Les meilleurs livres témoignent de la capacité de leur auteur à rendre ce qu'on doit appeler, faute de mieux, l'authenticité. Graciela ltaliano en donne des exemples, dont le plus savoureux est My Aunt Otilia's spirits, qui baigne dans une familiarité avec le sumaturel proche du réalisme magique de Gabriel Garcia-Marquez. Ces livres doivent établir des ponts entre les cultures et donner un sentiment de fierté et d'appartenance à des enfants qui vivent trop souvent leur situation comme marginale ou inférieure.

Ces considérations amènent tout naturellement à l'analyse brillante et nuancée que propose Hazel Rochman du concept de Political correctness. Si ses propagandistes sont parfois ridicules, le danger le plus grand serait que leurs excès donnent des arguments à la réaction conservatrice. Elle plaide de façon convaincante pour qu'on n'évacue pas les exigences esthétiques au profit des bonnes intentions. Par ailleurs, les cultures doivent donner lieu à une diversité d'approches : il n'y a pas une seule vérité historique. Le tabou qui veut qu'un écrivain issu d'une culture n'ait pas le droit d'en aborder une autre lui rappelle de façon désagréable les théories du développement séparé qui ont débouché en Afrique du Sud sur l'apartheid, et elle cite les propos de Nadine Gordimer : « Comment le célèbre monologue de Molly Bloom a-t-il pu être écrit par James Joyce ? Comment un écrivain change-t-il de sexe ? Aucune femme a-t-elle jamais écrit quelque chose d'aussi incroyablement intime ? Comment Joyce savait-il ce qu'une femme ressent juste avant ses règles ? » ...

Laissons le dernier mot à Roger Sutton, dont la conclusion est lumineuse : « Qu'est-ce qu'un bon livre ? Ce n'est pas parce qu'il n'existe pas de réponse, que ce n'est pas une bonne question ».