Lire et écrire

des apprentissages culturels, cycle des approfondissements, liaison école-collège. T. 2.

par Jean-Marie Privat

Bernard Devanne

Paris : Armand Colin, 1992. -176 p. ; 21 cm. - (Pratique pédagogique, n° 97)
ISBN 2-200-01156-3

Il suffit de feuilleter les demières publications trimestrielles de la revue de l'AFEF (Association française des enseignants de français) pour se faire une idée assez juste sans doute de ce qu'enseigner « le français » veut dire « aujourd'hui ». « Littératures francophones », « Consensus sur Baudelaire », « Ciné-TV », « Y-a-t-it un ordinateur dans la classe ? », « Travailler la langue : nouvelles démarche », « La classe de 6e », « Lecture(s) méthodique(s », « Dictionnaires », « Concevoir, écrire », « L'oral, l'écrit et la norme » sont autant de thèmes de numéros récents qui indiquent que le français aujourd'hui, c'est aussi bien la communication que la littérature, la culture que la langue, les « lettres » que les activités de production de textes.

La classe comme mi-lieu de lecture

La lecture est peut-être le plus puissant fédérateur de cet ensemble complexe et foisonnant, voire hétéroclite, d'objets didactiques et d'enjeux culturels. Aussi est-il particulièrement important de consacrer un numéro aux pratiques des lieux de lecture, et notamment aux bibliothèques, « lieux d'origine, lieux matriciels veis lesquels il nous faut aller pour éviter cette atomisation perpétuelle des savoirs et des fonctions textuelles dans le cadre de la classe » (Y. Maubant). L'élargissement du champ culturel, espace aux multiples dimensions où « se construisent les usages modemes de la lecture » exige de toute façon « un apprentissage que la plupart ne trouveront qu'à l'école », du moins sous une forme systématisée (Présentation).

Plusieurs contributions de fort bonne qualité s'attachent à mettre en perspective historique les évolutions complémentaires, parallèles ou concurrentielles des bibliothèques scolaires et des bibliothèques publiques ; ces articles permettent de « nuancer les nouvelles certitudes de certains qui combattent pour le livre ». Ainsi, Francis Marcoin (« La bibliothèque, fille ou sœur de l'école ») se demande si la tendance à faire de « la » bibliothèque l'espace privilégié et personnel de lecture (bibliothèques centres documentaires ou centres de documentation et d'information à l'intérieur de l'Ecole, bibliothèques municipales pour la cité) ne risque pas de porter gravement tort à toute une série d'apprentissages lecturaux que seul le travail en dasse peut véritablement proposer et organiser (constructions de démarches documentaires, discrimination des différents genres et des divers statuts des textes, par exemple). De son côté, Max Butlen passe en revue une série de mutations (lecture intensive / lecture extensive, détégitimation relative du livre, instrumentalisation progressive de la lecture, accent mis sur l'apprentissage de et par l'écriture) qui engagent une définition nouvelle du lecteur et donc du travail de familiarisation culturelle.

Ces préoccupations témoignent tout autant de la prise de conscience chez les didacticiens des limites que rencontrent les apprentissages purement techniques de l'écrit que des retours réflexifs des médiateurs du livre sur leur propre histoire (le long compte rendu de Jean Verrier du tome IV de l'Histoire des bibliothèques françaises, en est l'exemple type), sur les enjeux nouveaux de la coopération entre institutions de lecture (Béatrice Pedot), sur les critères de choix dans les bibliothèques pour enfants ou sur la spécificité problématique des écrits pour la jeunesse (Caroline Rives).

D'autres articles, à visée plus délibérément didactique comme celui de M. Le Bouffant (« Lire : entre la bibliothèque et la classe »), s'efforcent de faire le point sur ces espaces intermédiaires, interfaces entre salles de classes et bibliothèques publiques, que sont les BCD et les CDI ; des exemples de démarches pédagogiques montrent quels rôles ils peuvent jouer dans l'économie des apprentissages en lecture.

Au total, ce qui domine, c'est la volonté de rapprocher pratiques culturelles et contenus d'enseignement, en couplant fonctions culturelles habituelles de la bibliothèque (lieu-ressource de documents) et fonctions éducatives liées aux apprentissages plus scolaires.

Cette revue (4 à 6 000 abonnements), spécialisée dans le champ de la didactique du français langue maternelle (naguère « de la maternelle à l'université ») et constituée sur des bases militantes, vise donc à la modernisation et à la démocratisation de l'enseignement du français ; elle se signale non seulement par une grande variété dans les thèmes abordés mais aussi par les pédagogies mises en œuvre, l'accent étant porté toutefois de manière pragmatique sur les démarches innovantes et sur les objets d'enseignement (plus que sur la recherche fondamentale). Le comité de rédaction, pluristatutaire, ne dédaigne pas ouvrir ses colonnes aux grands débats idéologiques ou institutionnels, faisant du Français aujourd'hui (accompagné d'un très utile Supplément de format magazine qui serre de très près l'actualité professionnelle et culturelle) une force réelle et écoutée de propositions, voire d'opposition par rapport aux instances officielles.

Culture textuelle

L'ouvrage de B. Devanne (qui plaide dans la même revue pour « un espace-livres dans chaque classe ») est le second d'une série consacrée au lire et à l'écrire dans les premiers cycles des apprentissages. Ce n'est pas un manuel mais plutôt un recueil d'exemples ou mieux un guide professionnel, sobre, fonctionnel et bien informé, pour la formation initiale ou continue des maîtres de l'école primaire (l'absence d'index des thèmes pédagogiques et des notions travaillées est regrettable toutefois).

Les projets et activités décrits dans le volume sont très attentifs aux conditions d'enseignements, de l'organisation de la classe permettant la prise d'initiatives à l'individualisation des progressions ; l'auteur, épaulé par une équipe de conseillers pédagogiques et d'instituteurs, souligne, de façon convaincante, l'intérêt de combiner les activités de scrutation du texte (lecture) et les activités rédactionnelles (en s'autorisant des sciences cognitives et linguistiques). Il accorde à juste titre un rôle très structurant aux séquences d'évaluation et de retour métalinguistique sur les productions écrites. Les exemples de travaux de lecture/écriture portent sur différents types (descriptif, argumentatif, narratif, informatif, poétique) ou genres de textes (fables, récits historiques, fantastiques ou policiers, contes, journaux, écrits pratiques) ; la situation de communication, les destinataires et les enjeux du message sont toujours nettement fixés, tout comme sont explorés divers canaux de la communication (adaptation radiophonique, photos-romans, notices pratiques, réécritures en pastiche de contes oraux, etc.).

L'ensemble de ces propositions pratiques et de ces réflexions sur le développement de la maîtrise de la langue écrite est enfin animé par le souci d'une liaison, fort nécessaire en effet, entre les cycles, notamment lorsque les élèves passent de l'école primaire au collège.

On s'étonnera cependant du sous-titre - des apprentissages culturels - alors que c'est bel et bien, mais seulement, la « culture textuelle » comme maîtrise des discours qui est au centre des préoccupations didactiques de l'ouvrage. Cet abus de langage est fâcheux, car il laisse croire que les apprentissages proprement culturels n'ont pas de consistance didactique ou que la culture textuelle suffit à donner vie et sens aux pratiques culturelles, en bibliothèque ou ailleurs.