Art et État sous la IIIe République

le système des beaux-arts, 1870-1940

par Michel Melot

Marie-Claude Genêt-Delacroix

Paris : Publications de la Sorbonne, 1993. - 434 p. ; 24 cm.
ISBN 2-85944-219-7

La récente création d'un « comité d'histoire du ministère de la Culture », placé sous la direction d'Augustin Girard, ancien directeur du service des études et recherche de ce ministère, montre l'intérêt que l'administration porte à sa propre histoire : il existe de tels comités dans beaucoup d'autres ministères ou institutions et certains, comme celui des PTT, ont déjà une longue tradition d'érudition à leur actif. On constate par ailleurs un intérêt croissant pour l'histoire insitutionnelle de la culture, comme en témoignent les travaux de Jean-Pierre Rioux ou Pascal Ory, tous deux membres du nouveau comité. Parmi les travaux consacrés à l'histoire institutionnelle de la culture, la Troisième République attire particulièrement les chercheurs. Ainsi a-t-on vu successivement les travaux de Pierre Angrand, de Jeanne Laurent (La République et les Beaux-Arts, 1955), et de Pierre Vaisse (dont la thèse n'a pas été publiée) et aux Etats-Unis ceux de Nicholas Green, de Thomas Joseph Sudik (The French Administration of Fine Arts, 1875-1914) et tout récemment encore, de Michaël Orwicz.

Conseil supérieur des beaux-arts

Sans doute en France faut-il y voir le souci de contribuer à la polémique permanente sur le rôle paradoxal de l'Etat dans l'administration d'un domaine, les beaux-arts, qui prétend ne rien devoir qu'à la liberté. Les travaux américains, tout comme ceux de Marie-Claude Genêt-Delacroix sont plutôt de ceux qui dépassionnent le débat par une approche rigoureuse, voire austère, des sources historiques. Elle tente ici d'éclairer le rôle exact de l'Etat républicain d'abord à travers une analyse des archives du Conseil supérieur des beaux-arts, créé en 1875 pour accompagner une administration embarrassée en ce domaine. On voudrait que le bilan de tous les conseils supérieurs fussent aussi positifs que celui-là : en quelques années le Conseil supérieur des beaux-arts « géra » la disparition du Salon et son remplacement par des expositions organisées par des sociétés d'artistes, inventa, entre autres, la Caisse des musées nationaux, permit d'organiser la réunion des musées nationaux et créa le musée des arts décoratifs. Hélas, la suite est moins brillante et le Conseil supérieur des beaux-arts connut jusqu'en 1940 une longue agonie, qu'il faudrait mettre en parallèle avec la montée en puissance des administrations qu'il avait pour rôle de préfigurer.

Garantie de libéralisme

A travers une analyse dense et précise, Marie-Claude Genêt-Delacroix apporte quelques éléments de réponse aux questions actuelles. Il est clair que le Conseil supérieur fut le garant d'une esthétique républicaine dont le propre était de ne pas en avoir : cette absence d'esthétique, déclarée dans une démocratie libérale et une économie de marché, se traduit néanmoins par une volonté d'éliminer les extrêmes (l'avant-garde comme le retour inconditionnel au passé) et de garantir l'exercice même de ce libéralisme, jamais acquis en art comme ailleurs. Dans un domaine réservé du jugement individuel, le « Conseil » est une formule qui permet de substituer en douceur « l'exercice collégial, anonyme et délibératif du pouvoir » à la « tradition du pouvoir personnel, monarchique et autoritaire dans son essence » (p.71). Quant aux « conseils supérieurs » qui n'ont cessé d'être utilisés depuis cette époque, on en trouvera dans ce livre de nombreuses appréciations, dont celle de Paul-Boncour qui y voit des « éléments techniques permanents à côté des ministres qui passent ». A travers cet exemple passé au crible de l'histoire, ils apparaissent comme un moyen détourné d'asseoir une politique dans des domaines complexes - pour des raisons qui peuvent être idéologiques ou techniques - dont le pouvoir politique craint de se saisir, qu'il contrôle mal, et qu'il cherche à entourer de garanties qu'il se donne finalement à lui-même.