Bibliothèques

une nouvelle génération, dix ans de constructions pour la lecture publique

par Philippe Hoch
texte de Raymond Jean.
Paris : Réunion des musées nationaux, 1993. - 196 p. : ill. ; 31 cm. - (Enjeux-Culture).
ISBN 2-7118-2869-7

Faut-il voir quelque « effet Bibliothèque de France » dans la succession rapprochée d'ouvrages que l'on a consacrés durant ces derniers mois aux constructions de bâtiments voués à la lecture publique ? Peut-être, plus simplement, au terme d'un immense labeur, l'heure est-elle venue, pour les uns de jeter un regard en arrière, tandis que pour d'autres s'ouvrent des perspectives nouvelles, longtemps inespérées. Force est de reconnaître, en tout cas, l'existence, sinon d'un véritable phénomène éditorial, du moins d'une évidente tendance. En effet, presque simultanément, ont pris place, dans les vitrines des librairies, trois livres portant sur la conception et la réalisation de bâtiments de bibliothèques.

Ainsi, le manuel désormais classique de Jacqueline Gascuel, Un espace pour le livre, vient de connaître une nouvelle édition, complété, d'un côté, par Construire une bibliothèque universitaire, volume dirigé par Marie-Françoise Bisbrouck et Daniel Renoult, et, de l'autre, par le somptueux album conçu par la Direction du livre et de la lecture (DLL) et publié sous le titre Bibliothèques : une nouvelle génération, qui fait l'objet de la présente note. On annonce enfin la prochaine publication des actes du colloque organisé à Metz à l'automne 1992 sur le thème Livre et architecture *.

Le sous-titre retenu pour le beau livre mis en œuvre par Dominique Arot et Mireille Fabre sous la direction d'Irène Mróz Dix ans de constructions pour la lecture publique suffit à en suggérer à la fois le dessein et la nature. Il s'agit bien, au terme d'une décennie marquée par de multiples réalisations, d'en dresser le bilan, éloquent sans nul doute. Les experts ne manqueront certes pas - et certaines voix, non sans discrétion, se sont d'ores et déjà élevées - de contester tel chiffre, d'interpréter de façon critique telle donnée. Il reste que, grosso modo, on assiste de fait, de 1980 à 1990, à « un doublement de tous les indicateurs », pour reprendre l'intitulé de l'une des pièces annexes de l'ouvrage.

L'éloquence des images

Cette récapitulation de dix années fécondes ne revêt pas toutefois les apparences d'un austère rapport d'activité, d'un terne monument de littérature... « grise » ! Si les chiffres sont en la matière inévitables, ils sont regroupés avec sagesse, sous forme de discrets tableaux, en début et en fin de volume. A la sévérité des statistiques, on a, en vérité, préféré l'éloquence des images, lesquelles, il faut le souligner, sont en général fort belles. Car Bibliothèques est d'abord un superbe livre de photographies, en noir et blanc et en couleurs, qui présente sous un jour très engageant les soixante-cinq édifices sélectionnés, sur un total de plus de six cents constructions.

On dénombre parmi les réalisations retenues, qui se succèdent dans la neutralité de l'ordre alphabétique des villes d'implantation, d'Aix-en-Provence à Villeurbanne, pas moins de vingt bibliothèques départementales de prêt (BDP) - chiffre élevé reflétant l'importance des constructions menées tambour battant au début de la décennie afin d'assurer une complète « couverture du territoire » -et quarante-trois bibliothèques municipales (BM), qu'il s'agisse de bibliothèques ou de médiathèques « centrales », ou que l'on ait affaire à des « annexes ». A ces deux ensembles, il convient d'ajouter la Bibliothèque de l'Opéra de Paris et, bien entendu, la Bibliothèque de France, dont différents aspects de la maquette et du chantier sont présentés.

Le reportage photographique trouve son complément dans une fiche technique succincte (adresse, population desservie, maître d'ouvrage, maître d'œuvre, surface au sol hors œuvre et surface utile, auteur du 1 % artistique et, enfin, importance du fonds de livres), mais surtout dans un bref texte de présentation. L'accent s'y trouve placé tantôt sur les aspects proprement architecturaux de la construction, tantôt sur des considérations plus bibliothéconomiques, voire sociologiques (surtout dans le cas des BDP). L'espace réduit concédé aux auteurs rendait sans conteste difficile la rédaction de notices qui ne péchassent point, pour nombre d'entre elles, par quelque excès de propos généraux et de considérations parfois élémentaires. Mais l'ouvrage, il est vrai, ne s'adresse pas uniquement, et c'est heureux, aux professionnels des bibliothèques ou aux hommes de l'art.

Une décennie décisive

Le « tour de France » aléatoire des nouveaux établissements de lecture est précédé et suivi, nous y avons fait allusion, de données plus techniques montrant que la période 1981-1991 constitue bien « la décennie décisive pour les bibliothèques publiques françaises ». D'entrée de jeu, les principales étapes sont rappelées, des rapports Vandevoorde (1981) et Pingaud-Barreau (1981-1982), jusqu'à la réforme du concours particulier de la dotation globale de décentralisation, survenue en 1992, en passant naturellement par les années 1981-1985, durant lesquelles l'Etat fit porter l'« effort prioritaire » à la fois sur les constructions, le personnel et les collections, sans oublier la période de décentralisation (1986-1992). Bien d'autres points sont encore évoqués (enfants et bibliothèques, patrimoine écrit, réseaux, démarches en direction de nouveaux publics, etc.), mettant en évidence les profondes mutations professionnelles et sociales intervenues.

Quant aux annexes, elles offrent par exemple la liste exhaustive des constructions, qui s'élèvent à 61 bâtiments de BDP et 556 BM. Les plus modestes d'entre elles - celles d'Andelot (Haute-Mame, 100 m2) ou de Saint-Géniès-des-Mourgues (Hérault, 103 m2) - voisinnent avec les plus ambitieuses : Aix-en-Provence (7 605 m2), Nantes (9 800) ou Bordeaux qui, avec ses 25 773 m2 - pas moins -constitue « une des plus importantes bibliothèques construites à travers le monde au cours de ces demières années ».

Pour peu que l'on prenne la peine d'effectuer des comptages, quelques « palmarès » peuvent être établis : celui, par exemple, des régions qui ont bénéficié très inégalement des implantations ou extensions de bibliothèques municipales. Au bas du tableau figurent la Corse (un bâtiment ! ), le Limousin (5 constructions), les départements et territoires d'outre-mer (8), ou encore la Haute-Normandie (10), tandis que l'ile-de-France remporte la palme - ce qui ne surprendra personne - avec 71 constructions, suivie par les régions Rhône-Alpes (69) et Provence-Alpes-Côte d'Azur (44).

La lecture, « subversion salutaire »

Il nous reste à évoquer « Le rempart des livres », le très stimulant texte introductif dû à la plume de Raymond Jean. L'écrivain voit dans la multiplication récente des espaces de lecture « la plus heureuse avancée que puisse nous offrir, et s'offrir, une société, en ces temps qui enregistrent tant de reculs ». D'une méditation sur les bibliothèques, le propos de l'écrivain se mue bientôt en réflexion sur la lecture. L'auteur de La lectrice reconnaît dans cette activité unique et commune à la fois comme une subversion « profondément salutaire, nécessaire », dans sa double dimension, tant individuelle que sociale. De ce dernier point de vue, les bibliothécaires sont appelés à jouer un rôle dont on ne saurait guère, selon R. Jean, surestimer l'importance. Leur fonction n'est certes point celle « de thérapeutes, ni d'assistants sociaux, ni de directeurs de conscience, mais [leur] présence dans ces lieux mêmes dont ils ont la responsabilité et la garde a un sens de communication et de médiation irremplaçable ».