Folia typographica

pour une histoire de l'imprimerie provinciale

Philippe Hoch

Les travaux de qualité relatifs à l'histoire du livre, qu'il s'agisse des enquêtes les plus « pointues » menées dans un cadre universitaire ou des synthèses magistrales dont l'Histoire de l'édition française publiée de 1982 à 1986 constitue l'impressionnant modèle, se sont multipliés à un rythme toujours accéléré durant ces dernières années. Pourtant, nonobstant cette admirable floraison, d'importants domaines restent insuffisamment connus, de vastes terrains demeurent en friche, ou du moins n'ont-ils pas, à ce jour, été cultivés avec tout le zèle souhaitable. Ainsi - et bien que la « somme » dirigée par Henri-Jean Martin et Roger Chartier soit à cet égard remplie de mérites, unanimement salués du reste -, une histoire de l'imprimerie provinciale, particulièrement pour le sud de la France, fait sans conteste défaut. Si les recherches déjà fort anciennes d'un Claudin (Histoire de l'imprimerie en France au XV' et au XVIe siècles, 1900-1904) ou d'un Lepreux (Gallia typographica) n'ont rient perdu de leur utilité, elles appellent cependant un complément, d'ordre chronologique pour la première, puisqu'elle s'en tient, comme on sait, aux débuts de la typographie - et, de surcroît, s'intéresse principalement à Paris et Lyon -, géographique pour la seconde, s'il est vrai que seules la ville de Paris et les provinces de l'Ile-de-France, du Nord, de la Champagne, de la Bretagne et de la Normandie ont été traitées.

Un essai de synthèse

Soucieuse de combler cette lacune, mais uniquement pour la période des Lumières, l'équipe de l'Institut d'histoire moderne et contemporaine, animée par le professeur Daniel Roche, Frédéric Barbier et Sabine Juratic élabore depuis plusieurs années, au sein du Centre national de la recherche scientifique, un répertoire prosopographique des « hommes du livre » dans la France du XVIIIe siècle, en cours de parution.

Complémentaire de cette entreprise, un nouveau projet est né récemment, à l'initiative du Bibliophile rémois *. Son président, le docteur Jean-Paul Fontaine, conviait au premier colloque Folia typographica, qui s'est tenu le dimanche 16 mai 1993 dans les locaux de la bibliothèque municipale de Reims. Le thème de la rencontre ne manquait pas d'ambition : « Organisation des schémas préparatoires à la conception et à la réalisation d'une Histoire de l'imprimerie française ». Une douzaine de spécialistes avaient répondu à l'invitation de la compagnie rémoise, qui dut faire face à la concurrence de l'Association des bibliothécaires français (ABF), laquelle tenait le même jour son congrès annuel à Chambéry. Plusieurs personnes, dont la participation était annoncée, avaient in extremis préféré les Alpes à la Champagne...

Après que Nicolas Galaud, conservateur, eût conduit ses hôtes à travers la bibliothèque Carnégie et présenté le fonds ancien et précieux dont il a la garde, Jean-Paul Fontaine proposa, en guise d'ouverture, un historique des recherches consacrées à l'histoire de la typographie provinciale, soulignant leur caractère « incomplet, fragmentaire ». Bien que nombreux, les travaux portant sur ce sujet, dus pour beaucoup d'entre eux à des « érudits locaux », souffrent d'être « éparpillés dans des publications de caractère confidentiel ». Dès lors, l'opportunité d'un « essai de synthèse » ne fait point de doute. L'assistance abonda de manière unanime dans le sens du docteur Fontaine.

Rendez-vous

Très discutées, en revanche, furent la forme que devait revêtir une telle entreprise et les modalités selon lesquelles elle devait être mise en oeuvre. Albert Labarre (Bibliothèque nationale, Paris), le premier, mit l'accent sur la nécessité de procéder à une enquête bibliographique préalable. Un recensement aussi complet et précis que possible des publications sur le sujet constitue en effet, à ses yeux, un préliminaire indispensable, fondation sur laquelle l'édifice tout entier devra reposer. Tel fut également l'avis de Pierre Aquilon (Université de Tours), qui s'interrogea pour sa part sur la nature du support le plus adapté à une telle compilation. A une publication traditionnelle, une base de données susceptible d'être mise à jour fréquemment paraît sans doute préférable, d'autant qu'elle n'exclut nullement un éventuel « produit sur papier ».

Si l'établissement d'une bibliographie exhaustive a en définitive paru pour le moins souhaitable à l'ensemble des participants, l'importance d'une autre forme de prolégomènes a été mise en évidence par Jean-Daniel Candaux (Bibliothèque publique et universitaire de Genève). Ce dernier plaida éloquemment en faveur d'une « nomenclature », elle aussi fort complète, non seulement des imprimeurs provinciaux, mais aussi des libraires, relieurs, graveurs et fondeurs de caractères ; professions qui étaient, comme ont sait, étroitement mêlées sous l'Ancien régime, du moins pour les deux premières d'entre elles. Comme la précédente, cette proposition fut retenue par les participants qui, entourés de collaborateurs, s'efforceront de réunir durant les prochains mois, pour tous les artisans du livre connus, les renseignements essentiels (noms ou raison sociale, dates de naissance et de décès, mariage, dates et lieux d'exercice...).

Pour la constitution de la bibliographie des travaux et l'élaboration de la nomenclature, des responsables furent désignés ou pressentis, chargés de coordonner les recherches devant être menées au sujet de chacune des provinces françaises de l'Ancien régime, auxquelles l'ont convint de joindre, pour d'évidentes raisons linguistiques et culturelles, la Suisse romande, la Wallonie, ainsi que le Luxembourg.

Lorsque ces deux instruments de travail - bibliographie et nomenclature - se trouveront à la disposition des historiens, il sera temps de procéder à une première tentative de synthèse, qui pourrait prendre la forme d'un colloque international... Rendez-vous est pris, d'ores et déjà, au printemps de 1994, pour une seconde réunion Folia typographica, durant laquelle un bilan tout provisoire pourra être établi.

  1. (retour)↑  Le Bibliophile rémois, 19 boulevard Paul Doumer, 51100 Reims.