La gestion des ressources humaines

Annie Le Saux

L'Association des conservateurs de bibliothèques a, ce 17 mai 1993, consacré sa journée d'étude - au Palais de la découverte - à la gestion des ressources humaines dans les bibliothèques.

Cette expression nouvelle recouvre-t-elle une notion différente de celle, jusqu'alors utilisée, de gestion des personnels ? Oui, dit Denis Varloot, conseiller spécial auprès du président de France Télécom, qui se souvient de cette dernière comme d'une « application des textes ».

Des textes dont Didier Bargas, adjoint au directeur général de l'Administration et de la Fonction publique au ministère de la Fonction publique, a retracé l'historique. Dans la Fonction publique de l'Etat, aux pesanteurs de l'histoire, caractérisées par la force du centralisme, s'ajoutent, d'une part, le poids du nombre - 2 600 000 personnes, soit 20 % de la population active - et, d'autre part, le poids des règles juridiques et financières.

Cette pesanteur, issue du manque de souplesse des textes, est bien souvent accentuée par l'usage que les gestionnaires en ont fait, alors qu'il était tout à fait possible de trouver des ouvertures donnant une certaine flexibilité aux statuts. Didier Bargas donne l'exemple des primes, qui tempèrent la rigidité de la grille indiciaire, ainsi que celui de divers outils, individuels ou collectifs, qui pallient la rigidité originelle de ces textes et offrent des possibilités de changement : formation de base, stages, démarches de projet de service, gestion prévisionnelle des emplois.

La politique de déconcentration devrait oeuvrer en ce sens, conclut-il, en favorisant une gestion de proximité des personnels, soutenue par des crédits destinés à encourager les plans de formation.

Les facteurs déclencheurs

C'est vers les années 80 - vers la fin des années 70 aux Etats-Unis -, que ces nouveaux concepts se sont véritablement imposés en France, les administrations prenant en compte, après les entreprises, les aspirations des personnels. S'étant appuyée sur les revues professionnelles françaises et étrangères *, Odile Nublat, de la bibliothèque municipale de La Rochelle, note plusieurs facteurs déclencheurs de cette nouvelle approche du travail et des relations professionnelles. C'est dans un contexte de crise d'identité de la profession, liée à l'apparition de l'informatique et assortie de nouveaux noms tels que bibliothécaire-ingénieur, courtier en information, consultant... que de nouvelles notions recouvrant de nouvelles activités sont apparues. Parmi les autres facteurs déterminants, on note l'apparition du chômage entraînant des licenciements, la crise des bibliothèques, le souci de trouver une meilleure adéquation aux besoins du public. Gérer la croissance dans la décroissance devient une nécessité, d'où une recherche de rentabilisation accrue du travail des personnels.

Quelles qu'aient été les motivations profondes, c'est dans un contexte institutionnel de bouleversements, de mutations des professions, accompagnés de réformes statutaires qu'intervient cette redéfinition des compétences.

Les plans de formation

L'évolution des activités, des structures a entraîné une évolution des qualifications. Il n'est que logique que l'Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques soit devenue partie prenante dans cette redéfinition des métiers et filières. Françoise Lerouge a présenté les cours spécifiques à la gestion des ressources humaines dispensés à l'ENSSIB aux futurs conservateurs, amenant un directeur de bibliothèque à être, en plus d'un expert en bibliothéconomie, l'animateur d'une équipe, ainsi qu'un communicateur. Concertation et participation sont des valeurs de référence qui sont désormais appliquées aux bibliothèques.

Marie-Hélène Koenig, de la Médiathèque de La Villette, a, quant à elle, défini les tendances découlant des pratiques de gestion de la formation, qualifiant de « plans catalogues », les plans de formation qui rassemblent toutes les demandes émises par les bibliothécaires, souvent dans un cadre d'orientation générale de la direction ; elle distingue également les plans qui seraient la résultante des demandes provenant des bibliothécaires, de la hiérarchie et du public, ainsi que ceux qui concernent la formation des formateurs. L'accent est désormais mis sur l'élaboration d'un mode de management, la formation ne devant cependant pas être prise comme une fin en soi, mais commeun levier accompagnant le changement.

L'aide au changement

Corinne Verry illustra ces propos, témoignant de son expérience à la bibliothèque de l'Institut Pasteur, où les retards accumulés dans l'accès aux collections, les services proposés aux chercheurs et les fonctions documentaires appelaient une modification des structures et une réorganisation des tâches de tout le personnel. La redéfinition de la place de chacun au sein d'une équipe devait passer par une reconnaissance et une remise à niveau des compétences.

C'est, entre autres actions, une formation collective du personnel, axée esentiellement vers les services rendus aux usagers de la bibliothèque, qui a permis à Corinne Verry de faire participer son personnel aux changements radicaux qu'elle a entrepris. Jacques Guigues et Nadine Hermann, du Centre national de la Fonction publique territoriale, ont eux aussi plaidé en faveur de la formation à la gestion des ressources humaines comme outil d'accompagnement au changement.

Toujours pour améliorer la qualité des services, en offrir de nouveaux, améliorer la productivité par un redéploiement des effectifs, Annie Gourdier, de chez Tosca consultants, et Francine Thomas, de la bibliothèque municipale de Roanne, ont expliqué comment, à Strasbourg, a été organisé le changement. C'est pour faire face aux nouveaux défis lancés par les élus, que plusieurs audits ont été faits, desquels il est ressorti que les éléments bloquants étaient dus à des problèmes d'organisation du travail. La segmentation des différentes tâches faisait que chacune d'entre elles, quoique bien remplie, ne faisait pas avancer le travail. « C'était l'or sans la chaîne », remarquait Annie Gourdier. La solution passait donc obligatoirement par une nouvelle organisation du travail avant une définition des spécifications du nouveau système.

Rendre de meilleurs services sans augmenter le nombre de personnes est une préoccupation qui concerne un maximum d'établissements. Bernard Lafon en a également témoigné au nom de la bibliothèque municipale de Roanne. Est-ce pour mieux faire reconnaître la notion de métier à côté de celle de grade et intégrer une dimension gestionnaire et économique à la dimension purement bibliothéconomique, qu'on a rebaptisé la gestion des personnels en gestion des ressources humaines ? Cette notion est-elle à replacer dans le nouveau rôle que les personnels de bibliothèque sont amenés à jouer ?

C'est dans une optique de meilleure définition de la place de chacun, de valorisation et de responsabilisation des actions de chacun qu'on évolue vers une nouvelle façon d'entreprendre, une meilleure utilisation des savoir-faire, passant par un meilleur recrutement, conclut Denis Varloot. Attention cependant à limiter l'importance des hommes aux seuls services qu'ils peuvent rendre.

  1. (retour)↑  Cf. Odile NUBLAT, Bibliothèques et gestion des ressources humaines, note de synthèse en vue de l'obtention du DSB à l'ENSB et du DESS Informatique documentaire à l'Université Claude-Bernard I, 1991, 26-xviii p.