L'image animée

Dominique Saintville

La révision de la norme de catalogage de l'image animée était rendue nécessaire par le délai anormal qui s'était écoulé depuis l'édition, en 1980, de la norme expérimentale.

Elle s'imposait dès lors que la nouvelle loi sur le dépôt légal, votée le 20 juin 1992, intégrait dans son champ d'application l'ensemble des documents audiovisuels, et qu'elle en confiait la gestion à trois institutions différentes : la Phonothèque nationale, pour les documents sur support vidéo, le Centre national cinématographique (CNC) pour les documents sur support photo-chimique, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) pour les documents de télévision.

De cet éclatement de la responsabilité, naissait un besoin d'harmonisation entre des institutions aux cultures et aux missions originelles différentes : publics spécifiques, appréciation différente des objectifs prioritaires de traitement des documents - identification des documents, analyse des contenus, gestion des supports -, prise en compte inégale des contraintes de la normalisation, elles-mêmes liées à des besoins d'échange et de coopération différents.

Mais les temps changent, et les cultures bibliothéconomiques, documentaires et archivistiques commencent à se rapprocher, sous l'effet notamment des nouvelles dispositions de la loi sur le dépôt légal, et de la mission commune d'agence bibliographique nationale qui incombe aux trois partenaires.

La première étape de ce rapprochement fut conduite sous l'égide de la Commission de coordination scientifique du dépôt légal, et plus particulièrement de la Sous-commission Traitement documentaire, qui recommanda, dès 1991, la mise à jour de la norme de catalogage de l'image animée.

Quatorze mois de chantier

Le 28 janvier 1992, le groupe d'experts était constitué et installé.

Après quatorze mois de travaux, ce groupe, au sein duquel sont représentés tous les médias, les trois institutions affectataires du dépôt légal, des médiathèques publiques et des services d'archives, est toujours assidu (dix à douze participants à chaque réunion).

Le chantier avance, et nous avons dépassé la phase des fondations (terminologie, débats de fond, choix et apprentissage des outils), toujours longue dans ce genre d'entreprise.

C'est essentiellement cette phase préliminaire qui sera évoquée ici, les principales questions qui ont été débattues, les difficultés rencontrées.

Le groupe s'est très vite accordé sur la nécessité de mieux prendre en considération chacun des médias de l'image animée : le cinéma, la télévision, l'édition vidéo, la vidéo institutionnelle, la publicité. Chacun de ces médias présente en effet des spécificités qui lui sont propres, et qui tiennent tant aux modes de production et de diffusion dans le public, qu'aux contenus qu'ils véhiculent.

Il s'ensuit qu'il n'est pas toujours possible de définir des règles de catalogage qui puissent s'appliquer indifféremment aux documents édités et aux documents non édités (cinéma, télévision, secteur institutionnel), ces derniers constituant la majorité des fonds image animée.

Cette spécificité est apparue lorsqu'il s'est agi de définir la hiérarchie des sources prescrites d'information, hiérarchie variable suivant les médias. A noter, à ce propos, une difficulté de méthode : la source principale d'information, pour les documents non édités, étant le générique, et le groupe ne disposant pas de moyens de visionnage, les experts, mandatés pour alimenter le groupe en exemples, ont dû trouver des substituts au visionnage, tels que les transcriptions des mentions du générique, substituts lourds à constituer et pas toujours suffisants pour lever les ambiguïtés.

Cette spécificité est aussi apparue, lorsqu'il s'est agi de définir quel était le support à considérer pour la zone de la description physique. Ainsi, pour un document de télévision, privilégiera-t-on le support de tournage qui, dans une certaine mesure, détermine la forme des images, le support qui a servi à la première diffusion antenne, le support que le catalogueur a « en mains » et qui peut n'être que le support de captation, ou le support de consultation, celui qui sera mis à disposition du « lecteur » ? Dans un service d'archives, la question ne se pose pas, l'on décrit tous les supports archivés sans introduire de hiérarchisation. Mais si l'agence bibliographique doit en privilégier un, lequel choisir ? Nous n'avons pas fini d'en débattre ...

Le travail de terminologie, en particulier sur les termes de la responsabilité intellectuelle et commerciale, travail fastidieux mais indispensable, nous a occupés six bonnes séances. Il nous a entraînés dans de longues discussions. Les notions de producteur, de producteur exécutif, de producteur délégué, pour ne prendre que cet exemple, nous ont donné du fil à retordre. Elles varient, en effet, suivant les médias et les pays : tantôt, le producteur a une responsabilité d'auteur, tantôt une responsabilité commerciale, ou les deux à la fois, tantôt c'est un simple gestionnaire ou encore un prestataire. La terminologie a aussi ses bons côtés, car elle permet de découvrir des mondes nouveaux, du moins pour la plupart d'entre nous. C'est ainsi que les experts du Centre des archives de la publicité nous ont entraînés dans un voyage initiatique dans les arcanes de la publicité, détour obligé pour saisir la différence entre le directeur de création, le directeur artistique et le concepteur-rédacteur.

Le traitement des documents du type « poupée russe », c'est-à-dire des documents qui incorporent des œuvres ou des documents pré-existants, (comme les éditions vidéo de films cinématographiques, les retransmissions télévisées de spectacles, les magazines TV incluant des extraits de pièce ou de films) pose deux questions : jusqu'où ces éléments pré-existants doivent-ils être pris en compte ? Sont-ils partie constituante de la description bibliographique ou de la description du contenu ?

Le niveau de catalogage, qui rejoint d'ailleurs le point évoqué ci-dessus, est une question cruciale pour les médiathèques publiques qui ont rarement les moyens ou le besoin de procéder à un catalogage complet, très lourd dans le cas des documents composites de type magazine, ou des documents de fiction, d'où la nécessité pour la norme d'arrêter plusieurs niveaux de traitement en fonction des besoins : niveau médiathèque publique, niveau agence bibliographique, niveau archives, par exemple.

L'un des points les plus sensibles, apparu lors de l'analyse de la zone du titre, est la façon dont les ISBD traitent les « ensembles », c'est-à-dire, les suites, les collections, les documents composites, qui est en décalage complet avec les pratiques actuelles de la majorité des experts. Pendant que les « auteurs » de l'ISBD mettaient au point ces règles, dans le même temps, à l'INA, nous n'étions pas peu fiers d'avoir enfin réussi à traiter de manière différenciée le cas des vidéogrammes en plusieurs parties (suites fermées), des séries à épisodes clos et non clos, des collections. Nos conclusions étaient contradictoires avec celles de l'ISBD, mais nous ne le savions pas...

Ce décalage est significatif de la difficulté qu'ont les experts de culture archives ou documentation à entrer dans le cadre imposé de la norme de référence, l'ISBD-NBM (ISBD for Non-Book Materials), cadre qui leur est peu ou pas familier, difficile à adapter aux documents non édités, et qui rend compte d'une approche plus bibliothéconomique que documentaire.

Bilan à mi-parcours

Le bilan, à mi-parcours, est incontestablement positif. Le groupe discute vaillamment avec les porte-parole de l'« orthodoxie », met en avant les spécificités de l'image animée et les besoins des utilisateurs, et recherche des compromis acceptables.

L'enjeu est bien évidemment que les contraintes soient bien comprises, que les solutions retenues soient acceptées, et qu'elles puissent être un jour prochain mises en application. Ce qui suppose de la diplomatie, et de la conviction, car il s'agit bien de faire évoluer les pratiques, avec toutes les conséquences sur les équipes de catalogage dans les différentes institutions, et sur les systèmes d'information qui les servent.

C'est sans doute le prix à payer pour que l'information bibliographique soit mieux harmonisée, pour que les professionnels (bibliothécaires, documentalistes, archivistes) parlent un langage commun, pour que les utilisateurs puissent plus facilement exploiter les sources bibliographiques, pour que l'image animée, après une période d'apprentissage relativement brève par référence à l'imprimé, entre dans l'âge de raison, celui de la normalisation et de la coopération.

Février 1993