La désacidification de masse du papier

étude comparative des procédés existants : édition français / anglais

par Christophe Pavlidès

Astrid-Christiane Brandt

Direction du livre et de la lecture

Bibliothèque nationale

Paris : Bibliothèque nationale, 1992. - 184 p. ; 24 cm. - (Pro libris).
ISBN 2-7177-1853-2
ISSN 1140-5708

Paris : Bibliothèque nationale, 1992. - 96 p. ; 24 cm. - (Pro libris).
ISBN 2-7177-1865-6
ISSN 1140-5708

Avec la création de la collection Pro libris, la Bibliothèque nationale ouvre avec bonheur à un public élargi les savoirs et les savoir-faire que sa direction technique a rassemblés, en matière de préservation et de conservation, sous l'autorité de Jean-Marie Arnoult. Ce qui nous vaut, en l'espace de peu de mois, la parution de deux premiers fascicules, dont on souhaite qu'ils deviennent très vite des ouvrages de référence, et même des manuels, au sens le plus noble et le plus étymologique, pour tous les professionnels concemés, qu'ils soient conservateurs, restaurateurs, chercheurs ou formateurs.

Mais qu'on ne s'y trompe pas : ces deux études sont aussi et avant tout des synthèses de fond dans des domaines jusqu'ici trop négligés, surtout dans le champ français. On appréciera donc le nombre des annexes, la qualité de la bibliographie, et le souci des auteurs de présenter l'état de la recherche et de la doctrine à un moment donné.

C'est particulièrement vrai pour le premier volume de cette série prometteuse, dûment préfacé par Jean-Marie Arnoult, consacré à l'un des enjeux majeurs de la conservation des documents : la désacidification de masse du papier.

A.-C. Brandt, spécialiste à la Direction technique de la BN, dresse en effet un bilan très complet sur les différents phénomènes chimiques de dégradation, plus complexes et divers qu'on ne croit, et sur le développement industriel de plusieurs procédés de traitement de masse du papier, moins efficaces - pour l'instant - qu'on ne l'espérerait. Précisons ici que son ouvrage ajoute aux qualités communes à la collection celle d'être bilingue français-anglais, ce qui devrait lui faciliter un succès international justifié.

Pas de procédé miracle

Six procédés de désacidification sont présentés :
- procédé au carbonate de méthylmagnésium ou procédé WEI T'0 (avec ses variantes : le système de la BN et le système de l'institut Batelle en Allemagne) ;
- procédé BOOKKEEPER ;
- procédé au diéthyl-zinc ou procédé AKZO ;
- procédé LITHCO ;
- procédé BOOKSAVER ;
- procédé de la British Library.

Chacun est présenté selon un plan très méthodique : principe d'action, installation, traitement, efficacité du traitement, effets secondaires, sécurité, impact sur l'environnement.

Les conclusions, tout en nuances, décevront ceux qui espèrent un remède miracle et universel à la dégration du papier : il n'y a pas de traitement applicable à tous les papiers, et la compatibilité avec les encres, colles, etc., n'est pas encore suffisamment prise en compte ; certains traitements ont des effets à l'homogénéité douteuse, d'autres posent problème du fait du rejet de CFC (chlorofluorocarbones, nuisibles à la couche d'ozone) ; enfin et surtout il n'existe pas encore de procédé industriel de renforcement satisfaisant. Par conséquent, une évaluation des coûts est très difficile, et une bibliothèque doit commencer par définir ses besoins à moyen et même à long terme.

Le second volume de la collection Pro libris, consacré à la restauration, aborde des notions traditionnellement plus familières, du moins en apparence, aux bibliothécaires.

Restauration et décentralisation

Cet ouvrage, dont les auteurs viennent de la Bibliothèque nationale (Albert Labarre et bien sûr Jean-Marie Amoult), de la Direction du livre (Jocelyne Deschaux, nommée depuis en bibliothèque municipale) et de la Bibliothèque de France (Jean-Paul Oddos), a été réalisé dans le cadre du « Conseil national scientifique du patrimoine des bibliothèques publiques » : un titre prestigieux, et quelque peu mystérieux pour le néophyte, qui désigne une instance créée en application du fameux décret de 1988 relatif au contrôle technique de l'Etat sur les bibliothèques municipales. Ce décret prévoit en effet l'information préalable du ministère chargé de la Culture pour tout projet de restauration. Le Conseil scientifique, lieu de rencontre entre la Direction du livre, les collectivités (et leurs bibliothèques) et la BN notamment, est chargé de conseiller la DLL dans le choix des documents à restaurer.

La restauration des livres... est donc autant un ouvrage de référence sur les notions de conservation, de restauration, de patrimoine, qu'un guide pratique à l'usage des conservateurs de bibliothèques municipales et des restaurateurs travaillant pour eux ; ils y trouveront le modèle de dossier-type à constituer pour le Conseil scientifique du patrimoine, la législation en vigueur (décret et arrêté), et d'utiles conseils.

On ne peut qu'être frappé par la rigueur et la précision qui sont prescrites pour constituer un dossier de restauration, et qui permettront certainement d'éviter des demandes abusives ou même scientifiquement critiquables. Mais dans un contexte où la décentralisation culturelle est de plus en plus affirmée, ce droit de regard scrupuleux du ministère sur le patrimoine des bibliothèques sera sans doute de plus en plus contesté, et peut-être de plus en plus contestable : on peut penser que cette rigueur scientifique et ces compétences en matière de choix et de méthode seront de moins en moins l'apanage exclusif des experts du Conseil scientifique du patrimoine ; paradoxalement cet ouvrage de synthèse facilitera en effet une meilleure formation des professionnels, et justifiera peut-être de moins en moins un contrôle a priori des programmes de restauration.

Finalités de la conservation

Mais nous n'en sommes pas là, et il est particulièrement sain et roboratif de voir questionner les finalités de la conservation et de la restauration, et surtout de les lier à la gestion des fonds. On retrouve là - et ce n'est pas un hasard - une des préoccupations majeures de l'ouvrage d'Astrid-Christiane Brandt, préoccupation qui devrait être la pierre angulaire de la réflexion et de l'action d'un conservateur en matière - précisément - de conservation : l'évaluation des besoins passe par une évaluation de la nature même du fonds, donc par la connaissance de son histoire, mais aussi par l'appréciation de sa destination.

On aura donc compris que les deux premiers ouvrages de la série Pro libris - en attendant les suivants... - sont tout simplement indispensables, bien au-delà des spécialistes du patrimoine, à tous ceux qui ont en charge des fonds documentaires de quelque importance, ainsi qu'à ceux qui assurent la formation des personnels de bibliothèque et de restauration. Une collection qui s'impose dès le premier titre et confirme l'essai dès le suivant : il faut saluer les auteurs et les promoteurs de cette entreprise exemplaire, et leur souhaiter une postérité digne de ces débuts stimulants.