Des livres et des rois

la Bibliothèque royale de Blois

par Agnès Marcetteau-Paul

Ursula Baurmeister

Marie-Pierre Laffitte

Paris : BN / Quai Voltaire, Edima, 1992. - 239 p. : ill. ; 28 cm.
ISBN 2-87653-148-8 : 350 F

La miniature choisie pour orner la jaquette procure à Des livres et des rois, avec la délicatesse et la richesse de signification qui caractérisent tout à la fois cet art, une heureuse et exacte entrée en matière. Dans l'intérieur raffiné et confortable d'un château royal se déroule la respectueuse présentation d'un livre à Louis XII 1, personnage central de l'histoire qui va être relatée. C'est lui en effet qui en 1501 est à l'origine de la Bibliothèque royale de Blois, qu'une autre actualité politique vient de donner l'occasion d'évoquer.

Des pièces exceptionnelles

Cinquante-neuf pièces exceptionnelles furent donc sélectionnées, afin de faire les riches heures des expositions présentées au château de Blois puis à la Bibliothèque nationale, et l'objet d'un ouvrage de prestige (selon les termes de l'éditeur), après avoir servi le faste des souverains de la première Renaissance française. Elles permettent également, grâce à une riche matière historique 2 utilisée avec érudition et exactitude par Ursula Baurmeister et Marie-Pierre Laffitte, de retracer les étapes de la constitution de cette bibliothèque, et d'en restituer le contexte culturel.

Evoquer ces pièces de collection, c'est d'abord évoquer les rois et les princes qui les acquirent, commandèrent ou reçurent, c'est-à-dire le paysage politique dynas-tique contemporain. La Bibliothèque royale est installée à Blois parce que le duc d'Orléans Louis Il devient roi de France sous le nom de Louis XII en 1498, et fait de sa ville natale la résidence royale. En 1501, fidèle aux goûts fastueux et cultivés de sa famille et renouant avec l'œuvre culturelle de Charles V réduite à néant par un siècle de troubles politiques, il réunit aux collections de ses parents, confiées à la Chambre des comptes depuis leur mort, les livres de son prédécesseur Charles VIII, qu'il fait apporter d'Amboise. Lui-même enrichira moins la nouvelle bibliothèque par goût propre qu'en revendiquant un droit dynastique sur celle des Visconti-Sforza à Pavie ou en s'appropriant la collection de Louis de Bruges.

Son gendre et successeur François 1er est au moins aussi attaché que Louis XII à l'existence d'une Bibliothèque royale, instrument du prestique monarchique comme de sa politique culturelle. Cependant ses desseins diffèrent quelque peu, tant sur la composition des collections que sur leur localisation. Dès 1519, Chambord a détrôné Blois ; parallèlement la bibliothèque est progressivement abandonnée et cesse de s'enrichir, au profit de la collection personnelle du roi et de la grande institution savante qui se développe à Fontainebleau, à laquelle elle sera réunie, après un dernier inventaire, en juin 1544.

Un jeu ininterrompu de miroirs

Instrument des princes qui l'ont voulue et développée, la bibliothèque est, en un jeu ininterrompu de miroirs, reflet de leurs goûts et préoccupations, de leurs fascinations culturelles et politiques où l'Italie occupe le premier plan. Et les livres sont d'abord livres de rois, richement enluminés et ornés, qu'il s'agisse d'ailleurs des manuscrits ou des imprimés. Ces derniers rejoignent les premiers dans les collections royales dès l'époque de Charles VIII, mais restent minoritaires, du moins dans le choix proposé, et ne sauraient être confondus avec la production courante : les exemplaires destinés aux monarques sacrifient à la tradition de la scène de dédicace, souvent au détriment de la marque du libraire ou de l'imprimeur ; les bois gravés sont recouverts par des scènes enluminées.

Par leur contenus, par ailleurs, les ouvrages composent une collection médiévale et aristocratique, où se retrouvent les prédilections des premiers comme des plus récents possesseurs, Charies VIII et Louis XII le cédant à peine à Louis de Bruges. Ainsi rencontrera-t-on des préoccupations religieuses, morales ou philosophiques et politiques, littéraires, historiques et délassantes plutôt que scientifiques et juridiques ; les auteurs contemporains sont à peine mieux représentés que les auteurs anciens, et les écrivains médiévaux restent les plus nombreux.

L'étude de la bibliothèque royale de Blois s'inscrit nécessairement dans ses propres limites, parfaitrement définies et mises en perspective par les auteurs. Le temps court de l'épisode blésais doit être replacé dans la pérennité de l'institution dont il est le fondateur. On ne saurait par ailleurs y chercher un reflet de la « production livresque abondante et variée des premières années du XVIe siècle » ni un écho de « l'idéal encyclopédique et savant » qui reste la contribution du temps à l'histoire de la pensée et des idées.

Satin cramoisi et cuir doré

On y trouvera en revanche un incomparable corpus bibliophilique, tant par l'échantillon d'enluminures qui y est présenté à travers tout le Moyen-Age et le début du XVIe siècle, comme on l'a déjà signalé, que par les reliures qui y sont décrites et ne constituent pas l'aspect le moins intéressant de l'ouvrage. Celles-ci ont généralement, comme cela est habituel, subi les assauts du temps et des modes et la plupart d'entre elles furent refaites avec uniformité au XVIIe, XVIIIe, XIXe ou XXe siècle, aux armes et chiffres impériaux, royaux,ou encore de la Bibliothèque nationale. Mais les collections blésoises présentent de ce point de vue un notable avantage ; les deux inventaires de 1518 et 1544, en effet, décrivent, plus ou moins précisément, les reliures qui revêtaient les ouvrages.

Aussi à côté de la petite quinzaine de livres qui laissent aujourd'hui découvrir un satin bleu rebrodé de fleurs de lis d'or, le cuir doré qui, importé d'Italie, connaît à l'époque une grande vogue en France, ou encore le satin cramoisi rehaussé de métal doré et de plaquettes d'argent ciselé et émaillé pour Laurent de Médicis, peut-on imaginer, et étudier, « l'éclat des reliures chatoyantes », et la diversité des tissus et matières utilisés.

  1. (retour)↑  L'enluminure suscite en effet d'emblée l'intérêt. Malheureusement, sauf à avoir mal cherché, elle n'est légendée qu'en fin d'introduction, d'ailleurs fort laconiquement. L'absence de commentaires (sur le rouge et le jaune, couleurs de Louis XII comme on l'apprendra plus loin dans l'ouvrage, par exemple) est-elle volontaire, le manuscrit ne faisant pas partie des pièces exposées ? N'est-il connu que par sa notice succincte dans le Catalogue des manuscrits français de la Bibliothèque nationale remontant au XIX' siècle ?
  2. (retour)↑  A côté des collections elles-mêmes, toujours conservées à la Bibliothèque nationale (au moins pour leur plus grande et plus précieuse partie), il s'agit des inventaires dressés, à la demande de François ler, en 1518 et 1544, et des études que ces pièces prestigieuses, ainsi que la demeure royale qui les abrita, ont suscités. On se reportera à la bibliographie donnée à la fin de l'ouvrage.