Politique d'acquisition des documents audiovisuels à la Bibliothèque de France

Marie-Christine Wellhoff

Le département de l'Audiovisuel de la Bibliothèque de France mène une politique d'acquisition ambitieuse pour compléter les fonds issus du dépôt légal et élargir l'accès aux collections. Ne pouvant prétendre à l'exhaustivité, ses choix se sont orientés en fonction d'une logique de contenu et d'usage, suivant des axes de travail prenant en compte les collections existantes et le projet même de la nouvelle Bibliothèque nationale. Plus de vingt conventions ont d'ores et déjà été signées concernant l'acquisition de droits d'images fixes et animées avec des organismes publics et des partenaires privés.

The audiovisual department of the BDF has an ambitious acquisition policy to complete the bookstocks proceeded of the legal deposit and to make the collections more accessible. As it is impossible to be exhaustive, it directed its choices in accordance with a logic of content and use, which takes account of the existing collections and the very plan of the new National library. More of twenty agreements are already signed concerning the acquisition of rights of still and moving images with public organisms and private partners.

Das Département für audiovisuelle Sammlungen der Bibliothèque de France führt eine hochfliegende Erwerbungspolitik, um den durch Ablieferung der Pflichtexemplaren gebildeten Bestand zu verbreiten, und den Zugriff zu den Sammlungen zu vereinfachen. Sie kann leider nicht darum werben, daß sie einen erschöpfenden Bestand aufnimmt. Deshalb hat sie gewählt, zuerst den Gehalt der erworbenen Dokumenten und deren Gebrauch in Betracht zu nehmen, unter dem Vorbehalt der schon enstandenen Sammlungen und des Vorhabens selbst einer neuen nationalen Bibliothek. Mehr als zwanzig Verträge, die die Erwerbung der Rechte für Bilder und Filme betreffen, sind schon mit öffentlichen Anstalten und Privatpartnern unterschrieben worden.

Les acquisitions dans une bibliothèque nationale représentent une activité que l'on peut qualifier à la fois d'accessoire et de déterminante. Accessoire parce que l'objet, la légitimité même de la bibliothèque est la conservation et la communication du dépôt légal, responsabilité régalienne qu'elle assume pour le compte de l'État. Déterminante cependant aussi parce que les acquisitions signent, signifient les orientations, les contenus documentaires de la bibliothèque.

Dans le secteur audiovisuel également, l'accent sera mis avant tout sur la préservation du patrimoine et sur la gestion du dépôt légal. Celui-ci étant moins ancien et, sans doute ceci entraînant cela, moins bien respecté qu'en matière d'imprimés, un des enjeux majeurs du projet consistera donc, en réalisant une meilleure intégration de l'audiovisuel au sein de la bibliothèque, à rendre plus lisible et plus visible l'utilité sociale du dépôt légal, donc à en améliorer l'efficacité.

C'est d'ailleurs sans attendre l'ouverture de la bibliothèque que les résultats se font sentir : grâce aux efforts des responsables de la Phonothèque nationale et aux renforts en personnels mis en œuvre dans le cadre des chantiers communs BN / BDF, le rythme d'entrée des vidéogrammes déposés au titre du dépôt légal s'est très sensiblement accru.

Le département de l'image et du son une fois ouvert, l'accès aux documents issus du dépôt légal étant facilité grâce à leur entrée dans le catalogue informatisé, nul doute que la demande sociale, insuffisamment exprimée jusqu'alors, se développera et que le dépôt légal pourra jouer pleinement son rôle de préservation et de mise à disposition du patrimoine audiovisuel.

Le dépôt légal est donc bien au cœur du projet audiovisuel de la Bibliothèque de France, qui héritera cette mission de la Bibliothèque nationale. Il s'agit là d'un enjeu décisif pour le projet, d'autant que les quantités de documents en cause, si elles n'atteignent pas celles des collections imprimées, sont considérables, si l'on tient compte de la relative jeunesse des médias.

Ainsi, à l'ouverture de la bibliothèque, les collections du département de la Phonothèque nationale, elles-mêmes majoritai rement alimentées à partir du dépôt légal, devraient représenter plus d'un million de documents sonores, 65 000 vidéogrammes et plus de 30 000 multimédias.

Par rapport à ces masses, les acquisitions représentent un accroissement marginal puisque les objectifs sont respectivement, d'ici à 1995, de 5 000 heures en images animées, 6 000 heures de documents sonores, auxquelles s'ajoutent près de 600 000 images fixes, domaine dans lequel la Bibliothèque de France ne devrait pas avoir de responsabilité patrimoniale.

Les acquisitions jouent cependant un rôle déterminant.

Pourquoi acquérir...

Elles permettent avant tout, bien sûr, de combler les lacunes du dépôt légal, essentiellement pour les documents anciens - l'obligation de dépôt ne remontant qu'à 1976 - ou pour les documents étrangers. Elles permettent également, et il s'agit là d'un aspect fondamental du projet, d'ouvrir la consultation des documents à un public plus large. Il convient en effet de s'arrêter sur ce dispositif législatif qui assortit la consultation du dépôt légal de conditions assez strictes : elle se fait pour un public admis sur critères d'accès, à des fins de recherche, à titre individuel. Concrètement, cela veut dire que les documents audiovisuels déposés au titre du dépôt légal ne sont consultables qu'au niveau chercheurs. Si l'on veut que l'espace ouvert au public dispose de collections significatives, il faut donc procéder par acquisition de droits, suivant en cela les pratiques de la Direction du livre et de la lecture ou de la Bibliothèque publique d'information, acquisition ne voulant pas dire nécessairement paiement de droits : il peut y avoir, en effet, des acquisitions gracieuses, sans rémunération.

Enfin, la politique d'acquisition, en ce qu'elle est volontariste, est l'occasion d'une réflexion et d'une réorganisation du contenu des collections. S'il est vrai que toute Bibliothèque nationale se doit d'être encyclopédique, il ne saurait cependant être question pour la Bibliothèque de France d'atteindre l'exhaustivité dans des domaines où le dépôt légal est à la fois récent et partiel. Le rattrapage nécessaire est au-dessus de nos moyens, humains, techniques et financiers. Dès lors, à cette exhaustivité impossible, il faut opposer les choix raisonnables. Raisonnables, parce que nécessaires, bien sûr, mais raisonnables aussi parce que pensés, décidés en fonction d'une logique de contenu et d'une logique d'usages.

Acquérir quoi...

La logique de contenu conduit à identifier des axes prenant en compte à la fois les collections héritées de la Bibliothèque nationale pour les compléter, les collections détenues par les organismes existants pour ne pas les doublonner, les ambitions intellectuelles du projet Bibliothèque de France pour les matérialiser. Plusieurs axes de travail ont ainsi été définis :
- le premier, qui s'impose d'évidence dans le contexte d'une bibliothèque, est la Médiathèque de l'écrivain, qui consiste à réunir sur lles écrivains, et plus généralement sur le travail de création littéraire, l'ensemble des documents audiovisuels permettant de mieux comprendre une œuvre ou un auteur, d'en restituer ou resituer le contexte ;
- le Miroir des médias, vu dans un premier temps sous l'angle de la télévision et de la radio, rapproche des œuvres et documents audiovisuels qui ont marqué l'histoire des médias ;
- la Médiathèque de la musique rassemble un fonds multimédia autour de quatre axes : les œuvres interprétées, les interprètes au travail, les métiers de la musique, la musique et la culture ;
- l'Observatoire de la France permet d'une part l'étude de l'image de la France et des Français à travers les œuvres qui ont voulu les montrer, voire les démontrer, d'autre part, l'histoire des idées, des mentalités, de la société ;
- la Cinémathèque du documentaire se propose de réunir les œuvres majeures du cinéma documentaire mondial, de même que les œuvres moins connues mais significatives permettant de représenter la production française du genre ;
- La Médiathèque de l'image de presse réunira un ensemble significatif d'images de presse, anciennes et contemporaines, sources documentaires de premier ordre et souvent oubliées de la bibliographie et de la documentation ;
- les Archives de la parole rassemblent toutes les langues dans la diversité des parlers, des récits, ainsi que les voix célèbres.

Ces axes forts sont destinés avant tout à assurer une meilleure « lisibilité » du projet, à afficher les contenus sur lesquels la bibliothèque s'efforce de répondre de la façon la plus complète aux attentes de ses lecteurs. Mais il ne s'agit pas pour autant d'axes exclusifs, et le projet audiovisuel consistant à offrir des possibilités de recherche et d'étude à partir de supports et de documents de nature et de contenu divers, cette logique d'usage conduit à permettre, dans l'ensemble des champs disciplinaires couverts par la Bibliothèque de France, des « prolongements » audiovisuels aux fonds imprimés.

A suivre cette logique jusqu'au bout, on retrouve très vite le problème quantitatif : comment couvrir complètement tous les champs du savoir ? Là encore, la démarche se veut empirique et progressive. Si la dimension audiovisuelle a été évoquée dans toutes les commissions réunies pour orienter les acquisitions d'imprimés, c'est dans le domaine de l'histoire, de l'ethnologie et des sciences que le département de l'Audiovisuel a, dans un premier temps, demandé à des équipes de chercheurs de l'aider à constituer les collections 1

Comment acquérir...

Une fois les orientations décidées, et décidées collectivement puisqu'elles se sont dégagées des réunions de quatre groupes de travail réunis au cours du premier trimestre 1990 2 et font l'objet d'un suivi régulier depuis le début 92 au sein de groupes réunis sur chaque « axe fort », il convient de les mettre en œuvre. Une politique se juge en effet à ses résultats, et l'enjeu essentiel pour le département de l'Audiovisuel consiste à atteindre, dans un délai rapide, d'ici à 1995, des objectifs quantitativement et qualitativement ambitieux. L'organisation et les méthodes de travail sont donc déterminantes. L'essentiel consiste en l'exploration systématique des sources, des « gisements » documentaires qui vont alimenter les collections de la Bibliothèque de France. Nous sommes donc, en ce moment, engagés dans une intense activité diplomatique de signature de conventions prévoyant l'acquisition, gratuite ou payante, de documents dont les listes sont arrêtées après le travail de repérage, long et minutieux, effectué par les documentalistes.

A ce jour, plus de vingt conventions ont été signées, concernant les images fixes et animées.

La plus importante concerne l'Institut national de l'audiovisuel avec qui a été conclu un accord portant sur 2 500 heures de programmes. D'autres sont signées ou en cours de signature avec des organismes publics : Centre national de la documentation pédagogique (150 h), Etablissement cinématographique et photographique des armées (150 h), Centre national de la recherche scientifique (80 h), ministère de l'Agriculture (60 h). Ces acquisitions viennent, bien sûr, enrichir les collections de la Bibliothèque de France, mais sont aussi l'occasion d'une collaboration entre institutions permettant une meilleure connaissance des fonds, grâce au travail des documentalistes, offrant la possibilité de restaurer des documents qui seront ainsi sauvés de la destruction, et plus généralement une valorisation de ces collections. Avec les partenaires privés (Gaumont, Iskra, les Films du Jeudi produits par Pierre Braunberger, Atlantic,...), même si les relations s'inscrivent dans un contexte plus commercial, elles relèvent du même genre de démarche.

Pour l'image fixe, les conventions d'acquisition ont jusqu'ici été passées avec la Documentation française et des photographes indépendants - parmi lesquels Denis Roche, Hervé Guibert, Louis Monier ; les négociations sont en cours avec la Bibliothèque nationale, la mission du patrimoine photographique, l'Ecole nationale des ponts et chaussées et les agences. Une première campagne de numérisation vient de démarrer, le propos, en matière d'images fixes, n'étant pas de constituer un fonds d'originaux mais une collection d'images numériques, allant ainsi dans le sens de cette bibliothèque immatérielle souhaitée au départ du projet.

En ce qui concerne les documents sonores, l'essentiel des fonds provenant donc du dépôt légal, le département de l'audiovisuel a commencé à prospecter du côté des radios et des institutions : Collège de France, Opéra de Paris...

Le programme d'acquisition devrait atteindre sa vitesse de croisière à la mi-93. Les moyens financiers et humains sont là, l'outil spécifique de traitement informatique développé par la société Ever sera opérationnel dans les prochaines semaines, et le catalogage des documents acquis va pouvoir commencer. Malgré les délais très courts qui nous séparent de l'ouverture, les objectifs du programme d'acquisition seront tenus.

Février 1993

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Rappel des objectifs

  1. (retour)↑  Il s'agit d'équipes réunies repectivement autour de Pierre SORLIN, Marc Henri PIAULT et Thierry PATURLE.
  2. (retour)↑  Groupe de travail « cinéma » présidé par Bernard LATARGET, « télévision » présidé par Pierre-André BOUTANG, « radio » par Antoine SPIRE, « photographie » par Geneviève DIEUZEIDE.