Chantier et politique d'acquisition de la Bibliothèque nationale

Nicole Simon

Parmi les fonctions d'une bibliothèque nationale, l'achat de documentation étrangère a fait l'objet de discussions diverses depuis le congrès de Vienne sur les bibliothèques nationales, en 1958. La Bibliothèque nationale a abandonné son ambition encyclopédiste en ce domaine depuis la fin du XIXe siècle. La Bibliothèque de France renoue avec cette tradition, en ayant l'objectif d'un encyclopédisme mesuré. Le chantier Acquisitions de la BN se situe dans cette double perspective : il permet à la BN d'accroître ses achats de documentation étrangère dans ses pôles traditionnels, mais l'inscrit dans le cadre de la nouvelle politique documentaire de la BDF.

Amongst the functions of a national library, the coverage of foreign literature was discussed since the 1958 Unesco symposium on national libraries in Europe, in Vienna. The Bibliothèque nationale could not maintain its encyclopædic ambition since the end of the 19th century. The Bibliothèque de France resumes that tradition with the aim of a moderate encyclopædic coverage. The « chantier Acquisitions » of the BN takes place from a double point of view : owing to it, BN is able to purchase more scholarly literature in its traditional humanistic fields ; it is also a piece of the new acquisition policy of the Bibliothèque de France.

Unter den Aufgaben einer nationalen Bibliothek wurde die Erwerbung fremdsprächiger Dokumentation seit dem über die nationalen Bibliotheken 1958 in Wien stattgefundenen Kongreß besonders erörtert. Die französische Bibliothèque nationale hat in diesem Bereich auf ihr enzyklopädisches Erstreben Ende des neunzehnten Jahrhunderts verzichten müßen. Die Bibliothèque de France will doch diese überlieferte Politik erneuern, indem sie sich ein gemessenes enzyklopädisches Programm vorschlägt. Das Erwerbungsvorhaben der Bibliothèque nationale nimmt deshalb zwei bestimmte Zwecke in Aussicht : die Erwerbungspolitik der Bibliothèque nationale in ihren üblichen fremdsprächigen Bereichen verfolgen, und diese Erwerbungpraxis in den Rahmen der neuen, in der Bibliothèque de France gefaßten Dokumentationspolitik einfügen.

On ne peut parler du chantier acquisitions sans parler également de la politique d'acquisition que la Bibliothèque nationale applique actuellement et de celle qui est projetée à la Bibliothèque de France. En effet, les crédits affectés par l'EPBF (Etablissement public de la Bibliothèque de France) à la BN depuis 1991 permettent un accroissement de ses acquisitions notamment étrangères, et répondent au profil actuel, que nous allons décrire. D'autre part, ce chantier s'insère dans un chantier plus vaste, celui de la politique documentaire élaborée par l'EPBF pour la Bibliothèque de France, politique assez différente de celle menée jusqu'à présent à la Bibliothèque nationale : à une sélection d'ouvrages étrangers de niveau recherche, orientée sciences humaines, se voulant complémentaire des collections patrimoniales, qui est la raison d'être première de la BN, va succéder une bibliothèque nationale à deux niveaux, recherche et tous publics. Cette bibliothèque offrira, à terme, près de 900 000 volumes en libre accès, un tiers en français et deux tiers en d'autres langues, avec, à la fois, une ouverture à tous les champs de la connaissance et une volonté de coopérer avec d'autres bibliothèques, notamment par le biais du Catalogue collectif de France et des « pôles associés » (1).

C'est un changement d'échelle considérable, un changement de dimension qui ont pour ambition de renouer avec l'idéal encyclopédique qui fut celui de la BN, et de rejoindre le peloton de tête des grandes bibliothèques nationales, la Library of Congress et la British Library en particulier.

Comment cette ambition généreuse se situe-t-elle par rapport aux textes qui ont tenté de définir les missions d'une bibliothèque nationale, en matière d'acquisition de documentation étrangère ? Les réponses sont multiples selon que l'on considère le Symposium sur les bibliothèques nationales de Vienne en 1958 (2), la synthèse faite par K.W. Humphreys en 1966 (3), ou que l'on lise les derniers ouvrages où ce sujet a été abordé, les Actes du colloque international organisé par la Bibliothèque nationale en 1990, les Actes du colloque international des Vaux-de-Cernay de 1991, organisé par l'EPBF ainsi que le numéro spécial du BBF sur les « grandes bibliothèques », et les articles consacrés à la Bibliothèque nationale et à la Bibliothèque de France dans le dernier volume de l'Histoire des bibliothèques françaises (4).

Par acquisitions on entend tout accroissement par achat, don ou échange, à l'exclusion du dépôt légal, mais, dans cet article, l'accent a surtout été mis sur les accroissements par achat, car un article consacré aux dons étrangers à la BN vient de paraître (5).

Le chantier acquisitions

Le chantier acquisitions est l'un des « principaux chantiers de la Bibliothèque nationale nécessaires à la réalisation de la Bibliothèque de France », selon le relevé de décisions Bibliothèque nationale/Bibliothèque de France, du 31 juillet 1990. Il met à la disposition de la Bibliothèque nationale 50 MF jusqu'en 1995 et vise à « combler les lacunes des acquisitions étrangères déterminées à la suite des travaux des commissions mises en place par la Bibliothèque de France et d'études complémentaires », et à « élargir les acquisitions non rétrospectives dans les pôles d'excellence actuels de la Bibliothèque nationale pour ce qui relève du niveau recherche ». Ce chantier a été confié au département des Entrées étrangères de la BN, chargé de l'acquisition des documents pour les départements des Livres imprimés et des Périodiques.

Si l'on compare, selon plusieurs critères, la Bibliothèque nationale et la British Library - la bibliothèque nationale la plus proche par l'histoire et la structure -, pour les années 1988-1989, on remarque qu'à cette date, hors dépôt légal, les acquisitions de la Bibliothèque nationale ne correspondaient qu'à la moitié de celles de la British Library. Ont été comparés le département des Entrées étrangères de la BN et la division Humanities and Social Sciences de la British Library (cf. tableau 1), qui a, en plus, la charge du National Sound Archive et dont le budget d'achat, en 1988-1989, était très faible par rapport aux années précédentes (6).

Le chantier acquisitions s'inscrit donc dans une double perspective. Il fait partie du projet Bibliothèque de France, dont la politique documentaire a été définie, dès le départ, comme devant couvrir « tous les domaines du savoir », avec une « ouverture à tous » se traduisant par un nombre considérable d'ouvrages en libre accès.

L'importance du projet et la structure du bâtiment imposaient une organisation thématique des collections et de l'établissement en départements, eux-mêmes subdivisés en salles. Cette organisation des espaces et le profil des accroissements présentent quelque analogie avec ceux d'une grande bibliothèque universitaire et d'une grande bibliothèque publique. On peut y voir la trace de l'ambiguïté qui a marqué à l'origine le projet Bibliothèque de France. Jean Gattégno écrit : « Dans le projet confié à Emile Biasini et Jack Lang, s'introduit explicitement la dualité qui restera, jusqu'en mars 1992 en tout cas, le trait distinctif du projet Bibliothèque de France. C'est à la fois une bibliothèque nationale, mais ce n'est pas la Bibliothèque nationale » (7).

L'objectif annoncé est donc « de renouer avec un encyclopédisme bien compris ». Constituer les importantes collections en libre accès, c'est l'essentiel de la tâche actuelle de l'EPBF. D'ici fin 1994, l'EPBF acquerra environ 400 000 monographies, souscrira 5 900 abonnements à des titres de périodiques, et constituera un fonds important de documents audiovisuels (images animées et fixes). L'enveloppe totale est de 300 MF, le personnel pour la sélection, le catalogage et l'indexation étant de 55 acheteurs, 100 catalogueurs et une trentaine de personnes pour l'encadrement (1). Des commissions spécialisées par disciplines réunissent des chercheurs de la discipline, les responsables de bibliothèques spécialisées et des bibliothécaires de la BN lorsqu'il s'agit de domaines concernés par les achats actuels de la BN. Récemment, un comité d'experts a été nommé, chargé de superviser le programme d'acquisitions de la BDF.

Le rôle de la BN

L'autre versant de la constitution des collections de la Bibliothèque de France, est donc la participation de la Bibliothèque nationale et de son personnel. Elle est paradoxalement à la fois considérable, et relativement « à la marge » du travail de l'EPBF. Elle est considérable, d'une importance « fondatrice » (si l'on peut employer cette expression par analogie avec les pères fondateurs d'une discipline !), puisque les fonds transférés de la BN - des départements des Livres imprimés, des Périodiques et de la Phonothèque : 10 000 000 de livres, 350 000 titres de périodiques morts et vivants, 1 100 000 phonogrammes, 28 000 vidéogrammes, 25 000 documents multimédias - et qui iront dans les magasins de la BDF, vont constituer un noyau dur, qui sera toujours l'outil de travail principal de ses lecteurs du niveau recherche. Son originalité et sa force, par rapport aux autres bibliothèques, est qu'elle met à la disposition de tous, la quasi-exhaustivité de la production française grâce au dépôt légal. Les acquisitions par achat, don et échange en sont le complément, selon une politique d'accroissement qui a varié selon les époques, mais qui est relativement stable depuis environ un siècle.

Le rôle de la BN est important aussi dans la mesure où elle peut enfin acquérir, grâce au chantier acquisitions, plus de livres et périodiques dans ses pôles d'excellence, littérature et sciences humaines, pour les magasins.

En revanche, l'essentiel de la constitution du fonds encyclopédique en libre accès de la Bibliothèque de France ne relève que de la responsabilité de l'EPBF, à l'exception de quelques domaines énumérés ci-dessous. En effet, dans le cadre du chantier acquisitions, la répartition des tâches s'est précisée au cours de réunions bilatérales BN/BDF et il a été réservé à la BN les missions suivantes :
- combler les lacunes des acquisitions étrangères, dues essentiellement à la faiblesse constante des budgets, et ceci en coordination avec l'EPBF ;
- continuer à combler les lacunes des collections patrimoniales françaises (lacunes anciennes du dépôt légal) ;
- augmenter en nombre les acquisitions étrangères courantes dans les pôles d'excellence actuels de la BN, afin d'accroître les fonds en magasins ;
- constituer les fonds de la future salle de références de la BDF, par une extension des collections de l'actuelle salle des catalogues et des bibliographies de la BN ; une mission similaire nous est dévolue pour les usuels de la future salle de la Réserve ;
- constituer les fonds en libre accès de la BDF dans trois domaines, pour lesquels la BN dispose déjà d'usuels en nombre conséquent, l'histoire de France, les sciences religieuses (département 1), l'histoire de la presse (département 2).

Dans les trois premiers cas, il s'agit de missions traditionnellement remplies par la BN, et que seule l'augmentation des crédits amplifie.

La BN pouvait-elle être associée de façon plus étroite à la politique documentaire de la Bibliothèque de France ? Sans doute difficilement, pour deux raisons : une politique documentaire différente d'une part et, d'autre part, l'ampleur des collections en libre accès qui implique un volume d'achats que la BN, dans sa situation actuelle (place, personnel, moyens informatiques,...), ne pouvait assumer.

L'actuelle politique d'acquisition de la BN va donc être transformée profondément ; son organisation et ses méthodes de travail sont appelées à s'intégrer dans un organigramme fort différent, où la primauté est donnée à la notion de département et de salles thématiques. C'est le moment, nous semble-t-il, de voir comment et pourquoi est née la politique d'acquisition qu'applique actuellement la BN, comment, en fait, elle s'inscrit dans l'histoire de la constitution des collections de l'établissement.

A l'origine des acquisitions étrangères

Avant la Révolution, on peut parler d'une vraie politique d'acquisition (hors dépôt légal) encyclopédique. Selon l'état de 1791, avant l'entrée des saisies révolutionnaires, la bibliothèque possédait 302 868 ouvrages (en comptant les pièces reliées en volumes) (8), sur lesquels environ 30 000 seulement seraient arrivés en vertu du dépôt légal institué en 1537 (9). Les dons étaient nombreux : legs des frères Dupuy en 1645 de 9 223 volumes ; legs de Gaston d'Orléans en 1660 ; don d'Hippolyte de Béthune en 1662. Mais les achats étaient encore plus importants ; sous Colbert, l'achat des bibliothèques de Trichet du Fresne (10 000 volumes) et de Jacques Mental, du duc de la Vallière en 1783-1784 permettent sans doute aussi de combler les lacunes du dépôt légal : le premier catalogue rédigé par Clément ne comprend pas les grands noms de la littérature française vivante, Molière, Racine, Fénelon, alors que le deuxième les mentionne.

Une volonté d'encyclopédisme

Mais le plus symptomatique est l'ouverture sur les cultures et langues étrangères. Au XVIIIe siècle, sous l'abbé Louvois, on échange des estampes en double de la bibliothèque du roi contre des livres chez le libraire Leer de Rotterdam. Nicolas Clément, pour obtenir des livres de l'étranger, proposait « d'établir des correspondances dans les lieux où il s'en imprime le plus » ; on chargeait des diplomates de cette tâche. D'Avaux et d'Alancé en Hollande, d'Obeil en Angleterre, de la Piquetière en Suède, achetèrent beaucoup pour la bibliothèque. Au XVIIIe siècle, l'abbé Bignon va utiliser les correspondances qu'il entretenait en Europe avec des amis personnels pour faciliter ses achats, notamment de publications de sociétés savantes : Hans Sloane, dont la bibliothèque fournira le premier noyau de la British Library, lui a envoyé les Philosophical transactions de la Royal Society depuis le début ; en 1730, Delisle, astronome du roi, envoie, de Saint-Petersbourg, les Mémoires de l'Académie des sciences et des gazettes russes (8).

Même si des contraintes budgétaires ont limité les ambitions, l'objectif était pratiquement de tout acheter. Citons un courrier de l'abbé Bignon à Laugier, chargé des achats chez les libraires hollandais : « Pour nous il n'y a presque point de choix à faire ; souvent le plus mauvais livre ne laisse point de nous être nécessaire ; aussi notre grande attention se réduit à connaître tout ce qui paraît de nouveau pour faire acquisition de presque tout et notre mérite ne consiste ensuite qu'à l'avoir le plus promptement possible et le moins chèrement qu'il est possible ».

Au XIXe siècle, après l'énorme accroissement dû aux saisies de l'époque révolutionnaire, la bibliothèque affiche encore une volonté d'encyclopédisme dans ses acquisitions. L'une des sources dont nous disposons sont les registres d'inventaire des achats et dons, qui existent depuis 1833. Leur exploitation, pour l'estimation du nombre d'ouvrages achetés ou donnés est difficile, étant donné que, sous un numéro d'inventaire, peuvent se trouver un volume ou plusieurs milliers ; le record en la matière est peut-être l'acquisition 46194, en avril 1864, de « la collection de feu M. le Comte Henri de la Bédoyère sur la Révolution française, l'Empire et la Restauration, 100 000 brochures, 2 000 journaux, 4 000 gravures et caricatures, 85 dossiers d'autographes, le tout formant plus de 15 500 volumes ou cartons ». Ces registres ont reçu une numérotation en continu jusqu'en 1953 : à cette date 323 935 numéros d'acquisition (achat) ont été attribués depuis 1837, et 221 775 numéros de dons.

Les dons étrangers révèlent pour cette époque une grande diversité et une richesse certaine. Avant même la création de la Commission française d'échanges internationaux en 1877, on y trouve aussi la trace d'échanges effectués avec des bibliothèques nationales, ou d'autres institutions, le British Museum, le Smithsonian Institute, l'Université royale de Christiania...

Des crédits insuffisants

C'est à partir de la fm du XIXe siècle que l'accroissement continu de la production éditoriale dans le monde et un budget déjà insuffisant ne permettent plus à la Bibliothèque nationale de poursuivre dans la voie d'un encyclopédisme, même limité à une sélection des meilleures productions étrangères. Léopold Delisle note dans son rapport de 1891 que les crédits d'acquisition, « d'une insuffisance notoire », rendent impossible d'acquérir « tous les livres réellement utiles qui paraissent à l'étranger : le nombre en augmente chaque année dans tous les pays civilisés, et le prix s'en élève considérablement par suite de la perfection qu'on demande aujourd'hui aux ouvrages de science, d'art, d'archéologie, d'histoire naturelle, de médecine, de voyages », et que les périodiques « pour toutes les branches de la science se multiplient suivant une progression qui effraie les travailleurs autant que les bibliothécaires »(10).

La reconnaissance officielle de cet état de fait et la définition de la nouvelle politique d'acquisition interviennent au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le grand administrateur que fut Julien Cain explicite dans ses rapports successifs la ligne qui est celle suivie encore aujourd'hui.

En 1933-1934, il écrit : « La modicité des crédits d'acquisition pendant les dix années qui ont suivi la guerre... avait amené la Bibliothèque nationale, d'accord avec les bibliothèques spécialisées qui en faisaient l'achat, à renoncer à se procurer les ouvrages étrangers sur l'histoire naturelle, la chimie, la médecine, l'astronomie, les applications de l'électricité, la mécanique etc. L'achat des ouvrages d'art très spéciaux était laissé à la Bibliothèque d'art et d'archéologie ». Il note qu'« en règle générale, on achète les sources, les livres de fonds, mémoires, souvenirs, correspondances, recueils de textes et de documents, études de première main, œuvres des auteurs les plus représentatifs des divers pays, sans parler des ouvrages de référence ».

En 1945-1951, il insiste sur « l'achat d'ouvrages de références dans toutes les disciplines » et la mission des membres du service des acquisitions, appelés « lecteurs », « chacun chargé, dans un domaine linguistique ou scientifique déterminé, de signaler tout ouvrage important paru hors de France et entrant dans le programme d'accroissement de la bibliothèque : littérature et histoire de France, rayonnement de celle-ci à l'étranger, ouvrages de fond concernant les littératures étrangères, les sciences humaines, la synthèse et l'histoire des sciences exactes ».

Il ajoute en 1952-1955 : « La bibliothèque est demeurée fidèle au programme d'accroissement défini dans le précédent rapport, programme encyclopédique, humaniste, qui tend à rassembler les œuvres les plus représentatives des littératures étrangères aussi bien que l'érudition contemporaine, et qui fait place à la synthèse scientifique et aux rapports entre les sciences exactes ou naturelles et les autres domaines de la recherche » (11).

Sciences pures et appliquées, droit et médecine et, pour une grande part, sciences économiques sont abandonnés, laissés aux bibliothèques spécialisées.

Une source permet de bien évaluer l'évolution des acquisitions, et particulièrement, des achats, le Bulletin mensuel des acquisitions étrangères, publié entre 1877 et 1951 : en 1951, le nombre de notices - environ 4 500 - n'a pas progressé par comparaison avec l'année 1878. Le tableau 2 donne à titre comparatif, pour les mêmes années, le nombre de notices publiées dans la Bibliographie de la France. A noter qu'entre 1926 et 1936, le Bulletin inclut les acquisitions des principales bibliothèques de Paris.

Après la Seconde Guerre mondiale, on n'acquérait plus à l'étranger que selon le profil défini plus haut, et, face à la nouvelle explosion éditoriale de l'après-guerre, le budget de la BN ne progressait pas au rythme souhaitable.

Pour bien mettre en évidence cette faiblesse permanente des budgets d'acquisition, le tableau 3 donne le nombre de numéros des registres d'inventaire pour les achats de 1954 à 1992, avec toujours en regard le nombre de notices de la Bibliographie de la France à titre comparatif.

L'actuelle politique d'acquisition

Ce sont donc en fait les recommandations de Julien Cain qui ont servi de base aux orientations de la politique d'acquisition du département des Entrées, puis, quand celui-ci s'est scindé en 1964 et à nouveau en 1976 et en 1984, du département des Entrées étrangères.

Cependant, si l'on trouve la définition de ce nouveau profil d'accroissement dans quelques textes internes, on ne peut pas dire qu'il ait fait l'objet de directives précises et officielles, éventuellement réactualisées ; rien qui ressemble aux « Acquisitions policy statements » de la Library of Congress, concernant une trentaine de domaines, datant pour les plus anciens des années 1950. De même, il n'y a pas eu une réelle coordination des achats avec les départements spécialisés, mais seulement un partage admis selon des grandes lignes. C'est bien évidemment une lacune importante dans les méthodes de travail, et une preuve supplémentaire de la place relativement faible réservée aux acquisitions hors dépôt légal aux XIXe et XXe siècles. L'article le plus complet sur le sujet a été écrit par Suzanne Honoré (10) et Elisabeth Vilatte a fait récemment le point sur la situation actuelle (12).

On peut parler, globalement, de quatre points forts :
- la complétude des fonds français et francophones ;
- l'enrichissement de la Réserve des Imprimés ;
- la constitution d'un fonds en langues étrangères de niveau recherche, en littérature et sciences humaines, reflétant le niveau et l'avancement des connaissances dans les pays couverts ;
- un accent particulièrement mis sur les ouvrages de références et les bibliographies, (notamment pour la salle des catalogues du département des Livres imprimés).

En 1991, la part respective des achats, des dons et des échanges était de 71 %, 12% et 17%.

Combler les lacunes du fonds patrimonial

Assurer la complétude du patrimoine documentaire publié dans le pays est bien la première mission d'une bibliothèque nationale, reconnue très généralement, notamment depuis le colloque des bibliothèques nationales de Vienne en 1958. Combler les lacunes du dépôt légal, par achat ou par don, relève du service des acquisitions et du service des dons du département des Entrées étrangères, ainsi que du département des Périodiques.

Evaluer l'importance de ces lacunes par rapport à l'édition se révèle difficile : Simone Balayé, rapportant les travaux de Robert Estivals, estime qu'elles peuvent aller jusqu'à 45 % sous l'Ancien Régime ; depuis 1789 cela avoisinerait 10 à 15 % (13). Isabelle de Conihout montre que des variations importantes ont pu intervenir en fonction de bien des facteurs, « événements politiques... mais aussi alternance entre régimes plus ou moins libéraux », et que la courbe des chiffres du dépôt légal ne correspond pas à celle des notices de la Bibliographie de la France (14).

Que ce soit par le dépouillement des catalogues de libraires d'occasion, ou de listes de propositions de dons, de particuliers ou d'organismes, la tâche est ingrate et longue, pour un faible résultat quantitatif, mais combien important qualitativement, en ce qui concerne les livres et les périodiques. Cette mission mériterait de disposer de personnel supplémentaire à la Bibliothèque de France. Sa place reste cependant à trouver, car elle n'entre pas dans le cadre d'un département thématique : serait-elle à rattacher à l'Agence bibliographique nationale, à la Réserve ?

La collecte des documents concernant la France et le domaine français publiés à l'étranger fait également partie du rôle imparti habituellement à une bibliothèque nationale. Un certain nombre d'entre elles n'acquièrent d'ailleurs par achat, don ou échange des ouvrages étrangers que suivant ce profil.

Etant donné que la production concernant la France est abondante, une sélection est effectuée. On retient les ouvrages relatifs à la France, à son action, à celle des Français, les ouvrages publiés à l'étranger par des chercheurs et écrivains français, les ouvrages de niveau universitaire ou recherche, publiés en français dans les pays francophones. Pour les pays francophones, le choix est fait selon le profil habituel des acquisitions, littérature et sciences humaines, avec la seule exception de la production totale de l'île Maurice qui vient en don, à la BN, suite à un accord passé entre les deux pays, et à une loi mauricienne attribuant à la BN un exemplaire de son dépôt légal. Pour l'Afrique également, nous acquérons plus largement, étant donné la nature de la production : par exemple, des manuels d'alphabétisation ou techniques peuvent être d'un grand intérêt pour les africanistes. Il n'y a pas exhaustivité non plus, loin de là, en ce qui concerne les traductions en différentes langues d'auteurs français (étant donné la masse représentée), sauf quelques exceptions (qualité d'écrivain du traducteur, traductions importantes littérairement).

Enrichir la Réserve des Imprimés

L'accroissement du fonds précieux de la bibliothèque, actuellement de la Réserve des Imprimés, a été une préoccupation constante de ses responsables. Même si la notion de réserve dans les bibliothèques françaises ne remonte qu'au XIXe siècle, la recherche d'ouvrages rares d'un point de vue bibliophilique commence au XVIIIe siècle à la Bibliothèque du Roi. Dans un mémoire de 1790, cité par Simone Balayé, on lit que, de 1784 à 1789, « il a été dépensé pour les ouvrages étrangers 110 700 livres, et pour les livres rares, monuments typographigues, ouvrages portant des marginalia de gens connus 121 858 livres ». Actuellement, les acquisitions de la Réserve sont de la responsabilité des spécialistes qui y travaillent, le budget étant géré par le service des acquisitions du département des Entrées étrangères. Ce budget est très certainement insuffisant par rapport aux objectifs : il représentait 35 % du budget total du service des acquisitions en 1989, année où des crédits exceptionnels hors dotation d'un montant de 1 420 000 F ont été ajoutés pour l'achat d'Alcools et des Méditations esthétiques d'Apollinaire, mais seulement 11 % en 1991, première année de mise en œuvre du chantier acquisitions. La BN peut bénéficier aussi des dations en paiement des droits de succession, ou de l'impôt sur les grandes fortunes. Les dons et legs sont une autre source essentielle d'accroissement. En moyenne, ce sont environ 500 monographies qui sont acquises annuellement dont 50 % par achat 25 % par dépôt légal, 25 % par don (15).

Constituer un fonds en langues étrangères

Le troisième axe de la politique actuelle d'acquisition du département des Entrées étrangères est la constitution d'un fonds en langues étrangères du niveau recherche, en littérature et sciences humaines, reflétant l'avancement des connaissances de tous les pays où l'on achète, dont on peut recevoir en outre dons et échanges. Ce profil des acquisitions de la production imprimée (livres et périodiques), tel qu'il avait été redéfini après la Première Guerre mondiale, recouvre philosophie, théologie, sociologie, ethnologie, linguistique, philologie, art, littérature, histoire, géographie humaine, histoire du droit, histoire des sciences, et des domaines à la frontière (psychologie, sciences économiques et sociales) où ne sont achetés que les ouvrages de synthèse. Sont exclus la vulgarisation, la littérature enfantine, les manuels scolaires, et en général les traductions et anthologies. Les achats effectués au département des Entrées étrangères tiennent aussi compte, dans une certaine mesure, des accroissements des départements spécialisés de la Bibliothèque nationale, auxquels peuvent être laissés les acquisitions de tout un domaine (par exemple la musique, au département de la Musique, la numismatique au département des Médailles,...). Les notices des ouvrages acquis par les départements spécialisés entrent dans la base BN-OPALE.

Ouvrages et périodiques sont acquis dans un grand nombre de pays (111 en 1991). Cest la notion de secteur combinant pays et langue qui structure l'organisation du service des acquisitions et celui des Langues slaves et orientales, avec, en général, un spécialiste par pays ou groupe de pays : allemand (Allemagne, Autriche) ; italien ; anglais (Royaume Uni, Australie, Nouvelle-Zélande) ;a m é r i c a i n (Etats-Unis, Canada) ; espagnol, portugais (Espagne, Portugal, Amérique centrale et Amérique du Sud) ; Afrique au Sud du Sahara ; Pays-Bas, Belgique, Suisse, Québec. Dans les langues d'usage moins courant dans notre pays, le spécialiste est en charge à la fois du choix, de l'acquisition et du catalogage (langues actuellement couvertes : bulgare, grec, hongrois, polonais, roumain, scandinave et finnois, russe, serbo-croate, tchèque et slovaque, arabe, arménien, chinois, coréen, hébreu, hindi, persan, turc, vietnamien).

Ces acquisitions dans ces « langues moins courantes » sont une tradition ancienne à la BN (dès la Bibliothèque du Roi). De ce fait certains fonds - arabe, hébreu, russe notamment - sont particulièrement importants et souvent consultés par des chercheurs du monde entier ; il ne faut pas oublier également les publications dans leur langue, en France ou dans d'autres pays, des émigrés russes, polonais, vietnamiens par exemple. Ces collections se sont développées de façon inégale selon les pays, exclusivement par échange avec les pays de l'Est jusqu'à leur ouverture, mais l'achat est déjà, et va le devenir encore plus, le mode d'accroissement usuel.

Cependant, le manque de libraires, ou leur incapacité à exporter, rendent les achats très difficiles dans les pays de l'ancienne URSS, certains pays d'Extrême-Orient, ou en Afrique.

Dans ces domaines plus encore que dans d'autres, la notion de réseau de bibliothèques et de politique d'acquisition partagée est indispensable. La Bibliothèque nationale et les autres bibliothèques spécialisées françaises sont loin d'atteindre l'efficacité des bibliothèques anglo-saxonnes qui peuvent envoyer ou avoir aisément des « missionnaires » qui achètent sur place la littérature, l'exemple le plus connu et le plus efficace étant celui des Offices de la Library of Congress en Afrique, en Inde, en Thailande. Malgré tous nos efforts, malgré l'utilisation par exemple de libraires spécialisés de Grande-Bretagne ou des Etats-Unis, nos collections, comme celles des bibliothèques spécialisées françaises dans ces domaines, sont de moins en moins en mesure de répondre aux besoins des chercheurs.

L'une des missions de la BN est aussi, nous semble-t-il, d'avoir un programme d'achat documentaire particulièrement développé dans les pays anciennement colonisés par la France, et parfois encore d'expression française, et pour lesquels la BN conserve des fonds importants qui peuvent avoir disparu ou n'être pas restés dans ces pays. Cette richesse documentaire permet à la BN de les aider à sauvegarder ou retrouver leur patrimoine : envoi au Vietnam de tous les ouvrages du dépôt légal indochinois de 1922 à 1954 sous forme de microfiches ; participation du service des Publications officielles à la BIEF (Banque internationale des Etats francophones).

Mais les spécialistes manquent à la BN pour le Cambodge et le Laos, encore francophones. De ce fait, la rare documentation qui existe nous échappe et il est plus difficile de renouer des liens entre les deux bibliothèques nationales. De plus, il ne sera pas aisé de sauvegarder un minimum de francophonie, face à la politique offensive des pays anglophones dans ces régions.

Pour conclure sur ce sujet, notre préoccupation est que la Bibliothèque de France continue et même développe cet acquis de la BN dans la couverture documentaire de ces langues d'un usage moins courant ; un profil particulier devra sans doute être défini selon les secteurs et leur « poids » dans les collections anciennes de la BN ; mais une présence forte est indispensable, gage de l'ouverture de la BDF à toutes les cultures du monde autrement qu'au travers d'études ou de traductions dans les grandes langues européennes.

Etant donné le principe d'acquisition par pays, l'élément d'évaluation que nous utilisons est le pourcentage de la production nationale acquise ; elle est actuellement de 2 à 10 % selon les pays (la nature de la production éditoriale est en effet variable d'un pays à l'autre) ; le chiffre idéal serait pour nous de 5 à 15 %, en ne prenant en compte évidemment que nos pôles d'excellence.

A la Bibliothèque de France, l'organisation sera radicalement différente puisqu'elle privilégie l'approche par discipline scientifique. Les actuels acquéreurs de la BN s'inséreront dans l'un des départements thématiques de la BDF : ils ont plutôt vocation à rejoindre les départements D1 (histoire et sciences humaines) et D4 (littérature, linguistique et art). Il serait souhaitable cependant que leurs méthodes et acquis qui ont fait leur preuve depuis longtemps, dans la connaissance des productions éditoriales nationales notamment, soient pris en compte. Certains secteurs linguistiques, comme ceux de langues d'un usage peu fréquent devraient d'autre part garder une organisation similaire à celle existant actuellement à la BN et ne pas éclater entre les départements thématiques.

Il est intéressant de noter qu'à la British Library, dans le département Humanities and Social Sciences, l'organisation est basée, comme à la BN, sur les secteurs linguistiques, et que le récent rapport proposant une révision de la politique d'acquisition, a suggéré qu'il y ait des coordinateurs pour certains domaines thématiques (16).

La salle des catalogues

Avant de voir le bilan de deux années du chantier acquisitions, nous terminerons notre revue des points forts de l'actuelle politique d'acquisition par l'accent mis sur les ouvrages de référence, dans les salles de travail des Imprimés et des Périodiques, et particulièrement dans la salle des catalogues. Rappelons d'abord que la création du service des catalogues et bibliographies est due à Julien Cain, en 1934. Thérèse Kleindienst évoque la confidence qu'il lui fit un jour : « Si on voulait un jour donner mon nom à une salle de la Bibliothèque nationale, j'aimerais que ce fût celle-là »(17). Depuis, les collections bibliographiques n'ont cessé de croître et la salle des catalogues offre actuellement 15 000 ouvrages en libre accès. D'autre part, un budget d'achat trop faible, des locaux saturés, ne permettaient jusqu'à présent que des accroissements insuffisants pour les ouvrages de référence des salles de travail des Imprimés (y compris de la Réserve) et des Périodiques.

Un bilan

Bien qu'en augmentation régulière depuis 1981, le budget annuel de la BN affecté aux acquisitions du département des Entrées étrangères n'est toujours pas en mesure de remplir les objectifs d'accroissement des collections. Rappelons les chiffres, hors crédits exceptionnels certaines années : 1989 (6,33 MF) ; 1990 (6,33 MF) ; 1991 (6,7 MF) ; 1992 (6,7 MF). Les crédits alloués par la BDF sont donc venus redresser partiellement la situation, mais dans le contexte tout nouveau de la constitution de ses propres collections. Le tableau 5, comparant les années 1989 et 1991, montre bien le saut quantitatif.

Où en sommes-nous après deux années d'application de la convention ? Nous avons d'abord élaboré un plan d'utilisation annuel de ces crédits, en prenant en compte, en accord avec tous les services concernés, tous les aspects liés à l'accroissement des collections. En effet, si l'accroissement par achat des collections en magasins, en toutes langues, selon le profil traditionnel de la BN est de la responsabilité exclusive du service des acquisitions du département des Entrées étrangères, ce service a la gestion des commandes que lui envoient certains services des départements des Livres imprimés et des Périodiques, et du service des Publications officielles étrangères.

Une part du crédit (environ la moitié, fin 1992) a été affectée aux moyens en personnel nécessaires au traitement de ce supplément d'accroissement à toutes les étapes : aide à la sélection des documents, gestion des factures, catalogage, maintenance des fichiers d'autorité. Au 31 décembre 1992, 40 personnes avaient été recrutées (11,5 de niveau A ; 19 de niveau B ; 8,5 de niveau C). Elles sont réparties entre le département des Entrées étrangères, le département des Périodiques, le département des Livres imprimés, le Centre de coordination bibliographique et technique (CCBT), le service des Publications officielles, et le service financier.

A été rattaché à ce chantier, pour la dépense en personnel seulement, le recrutement de 5,5 agents de niveau A, avec, pour objectif, l'établissement des procédures d'échange des bandes des fichiers d'autorité (et les contrôles de cohérence) entre le GEAC 9000 de l'EPBF et la base BN-OPALE, afin qu'à terme les deux bases puissent fusionner sans problèmes. Ces agents travaillent au CCBT et à la DIO (Direction informatique).

L'objectif documentaire a été tenu jusqu'à présent. Il était de doubler les achats, d'accroître progressivement les abonnements de périodiques, de mettre à la disposition des lecteurs et du personnel un nombre appréciable de CD-ROM.

Doublement des achats

Cependant, des choix ont dû être faits, étant donné l'ampleur des objectifs.

Il fallait privilégier d'abord les achats nécessaires aux services qui participent à la constitution des fonds en libre accès de la Bibliothèque de France pour les secteurs suivants : salle de recherches bibliographiques, histoire de France, sciences religieuses, usuels de la Réserve (département des Livres imprimés), histoire de la presse (département des Périodiques), les collections existantes de la BN en constituant un solide noyau. Les conservateurs responsables de ces secteurs travaillent en relation avec l'EPBF, surtout pour déterminer la place de leurs collections dans les espaces en libre accès de la Bibliothèque de France, et préparer la nouvelle cotation, basée sur la classification Dewey.

Pour les périodiques, le bilan est très positif. Les deux premières années de l'application du plan, le rythme prévu d'accroissement a été tenu : 500 nouveaux abonnements en 1991, 400 en 1992, ce qui porte le nombre total des périodiques étrangers que reçoit la BN à un chiffre jamais atteint, 8 173 au 30 juin 1992 (à comparer avec les 5 900 abonnements qui sont l'objectif de l'EPBF à l'horizon 1994). Le tableau 6, établi par le département des Périodiques et comparant les années 1982, 1988 et 1992, est éloquent

Lorsqu'on connaît l'importance des périodiques pour les chercheurs, ce début de mise à niveau de nos collections dans les domaines littérature et sciences humaines est très encourageant. Pour le choix des nouveaux titres, des collections anciennes à compléter, le personnel du service des Périodiques étrangers travaille en étroite coopération avec le secteur des acquisitions de l'EPBF : certains titres ne seront achetés qu'en un exemplaire, par la Bibliothèque nationale, alors que, pour d'autres, l'EPBF décidera d'en acheter une autre collection, en double, pour le libre accès. En 1991, trois domaines avaient été définis comme prioritaires : la philosophie, les sciences politiques, la sociologie. Selon un premier bilan fait par Marie-Colette Thévenot, responsable du service des Périodiques étrangers, le pourcentage reçu par rapport à la production recensée dans l'Ulrich's international periodicals directory lors de l'évaluation préalable des fonds, a évolué de façon significative passant de 9 à 20 % en sciences politiques, de 17 à 30 % en sociologie, de 38 à 50 % en philosophie.

Les achats destinés au fonds des magasins, toujours dans les traditionnels points forts de la BN, sont faits sans qu'il y ait concertation avec l'EPBF, sauf pour certains types de collections (cf. infra). Nous savons certes qu'il y a un certain doublonnage, mais il était inévitable, étant donné le type d'ouvrages qui sera mis en libre accès à la Bibliothèque de France (corpus de textes, ouvrages de synthèse), alors qu'il constitue aussi l'un des axes de la politique traditionnelle de la BN. Nous ne pouvions priver les lecteurs actuels de la BN de ces ouvrages. Certains d'entre eux méritent aussi de figurer en double. La situation se normalisera lorsque les équipes fusionneront à la Bibliothèque de France et que sera définie une politique en la matière. Par contre les achats de collections importantes, très onéreuses, surtout des collections de microfiches thématiques, sont signalées à l'EPBF ; elles constituent des sources, parfois uniques, dans certains domaines de la recherche, complétant souvent des séries que nous possédions déjà. Citons, entre autres, les publications officielles contemporaines de pays africains (IDC 1), les archives de la « Paris Evangelical Missionary Society » (IDC), le Catalogue général des livres imprimés de la Biblioteca nacional de Madrid (Chadwyck), toutes les séries des archives biographiques d'un grand nombre de pays (Saur), les Hearings du Congrès et du Sénat des Etats-Unis depuis 1830 (CIS), les collections de l'« US State Department » sur l'Indochine et la guerre du Vietnam à partir de 1945 (CIS 2).

Les achats de publications officielles ont fait l'objet d'un développement spectaculaire, d'un commun accord entre le service des Publications officielles de la Bibliothèque nationale et les services d'acquisition de l'EPBF. Danièle Duclos-Faure, responsable du service des Publications officielles, en a récemment dressé un bilan. Afin d'éviter un double travail et d'assurer une couverture géographique cohérente, « un partage a été fait selon la typologie des documents : le service des Publications officielles achetant les publications officielles, l'EPBF achetant les documents secondaires (codes, études de synthèse) ainsi que la jurisprudence ». Une évaluation des fonds existants a commencé par les Etats-Unis, les fonds francophones d'Afrique et du Maghreb, ainsi que la Grande-Bretagne. Les échanges, qui avaient été la source majoritaire de ce type de documents jusqu'à présent, étant de plus en plus difficiles à mettre en ceuvre, des achats ont été décidés : acquisitions rétrospectives de masse pour les Etats-Unis, achats de séries récentes, ciblées en économie pour l'Afrique, acquisitions courantes pour la Grande-Bretagne.

Achat de CD-ROM

Nous avons pu également développer considérablement l'achat de CD-ROM. Il est inutile de rappeler l'intérêt de ce nouveau support 3. Le besoin était double dès le départ : pour le public de la salle des catalogues et pour un usage interne des services. Des lecteurs monopostes fonctionnaient déjà, à la salle des catalogues, et dans plusieurs départements avec un nombre restreint de CD-ROM.

L'accélérateur a été la mise en chantier d'un système informatisé d'acquisition au département des Entrées étrangères ; en effet, l'un de ses objectifs était de récupérer des notices bibliographiques pour les commandes, et après tests et études, on a considéré que les CD-ROM étaient la source la plus fonctionnelle. Cependant, la base de données américaine en ligne RLIN 4 est aussi utilisée, depuis peu, en complément, pour récupérer des notices. Un serveur de CD-ROM a été acheté (sur le budget de la Bibliothèque nationale) : un réseau NOVELL, version 3.11, avec deux CD 314 de Meridian Data, d'une capacité de 14 disques chacun. Le réseau dessert actuellement la salle des catalogues, le service des acquisitions du département des Entrées étrangères, et le département des Périodiques. Il n'a pas encore été étendu à d'autres services et départements pourtant très demandeurs. Les deux armoires contiennent 28 disques (12 titres, certains représentant plusieurs disques, comme le CD-MARC) ; dans le courant de l'année 1993, deux armoires supplémentaires seront ajoutées. Les CD-ROM qui ne peuvent être mis sur le réseau, faute de place, sont conservés à la salle des catalogues, où ils sont consultables, à la demande, sur des lecteurs monopostes. Début janvier 1993, 35 titres étaient ainsi à la disposition des lecteurs de la Bibliothèque nationale (cf. encadré).

Achats rétrospectifs étrangers

Le dernier secteur à avoir profité du chantier acquisitions est celui des achats rétrospectifs étrangers. C'est une tâche immense et malaisée. Il fallait délimiter les périodes les plus pénalisantes pour les chercheurs (années 60-80), choisir les secteurs prioritaires, ou les plus lacunaires, bâtir une méthode de travail. Cette fonction n'avait pu être assurée jusqu'à présent pour le secteur étranger ; en revanche, un conservateur a toujours été attaché à la recherche rétrospective des lacunes des collections françaises, pour les livres (au département des Entrées étrangères), et pour les périodiques (au département des Périodiques). Les domaines à défricher ont été fixés en commun avec l'EPBF. Paulette Pérec, qui a pris en charge le nouveau secteur, a pu acheter 786 ouvrages en 1991 et 853 en 1992. L'expérience de ces deux années montre que la méthode est très fructueuse, mais que cette mission nécessiterait des moyens en personnel renforcés.

Il ne faut pas se cacher cependant que doubler, en une année, un budget d'acquisitions ne va pas sans poser de problèmes. Le personnel a été recruté sur contrat et réparti entre tous les services concernés par l'accroissement des achats de documents. Même si certains possédaient un diplôme professionnel, leur formation, dans plusieurs secteurs et celui du catalogage en particulier, a nécessité beaucoup de temps, et mobilisé également les collègues qui leur ont servi de tuteur. Le service des acquisitions, non informatisé, a réussi à gérer manuellement l'accroissement des commandes de ses propres acquéreurs, et de celles provenant des autres départements, Imprimés et Périodiques, qui ont, comme nous l'avons vu, en charge une part de la constitution des fonds en libre accès de la Bibliothèque de France. Mais ce service développait, dans le même temps, en interne, avec le département Informatique, un système informatisé d'acquisitions, qui a représenté une importante charge de travail.

Ce bilan du chantier acquisitions est très positif pour la BN (18). Il a permis d'acheter de nouveaux types de documents et de commencer à combler les lacunes de nos collections. Sans cet accroissement important, les projets de serveurs de CD-ROM, de déchargement de notices, d'informatisation des acquisitions, n'auraient pas vu le jour aussi rapidement. Ont été acquis sur le seul chantier acquisitions en 1991 et 1992 : 30 407 monographies, 900 nouveaux titres de périodiques et un grand nombre de spécimens (le tout ayant donné lieu à près de 4 000 lignes de facturation), environ 100 000 microfiches, et 120 disques de CD-ROM.

En conclusion

Le chantier acquisitions n'est cependant qu'une pièce de la politique documentaire générale de la Bibliothèque de France. En rupture avec l'actuelle politique d'acquisition de la Bibliothèque nationale, reprenant l'idéal encyclopédique qui fut celui de la Bibliothèque nationale jusqu'à la fm du XIXe siècle, la Bibliothèque de France renoue aussi avec l'idéal d'ouverture à un large public, qu'eut la BN avec la salle « B », inaugurée en 1878, et fermée en 1935, son succès ayant décliné faute de crédits pour actualiser ses collections. Le dernier glorieux rejeton de cette politique d'ouverture étant la « Bibliothèque des Halles », sortie du giron de la BN, pour naître en 1977 en tant que Bibliothèque publique d'information (19).

Depuis les premières réflexions et les diverses solutions apportées au problème de l'acquisition de la production étrangère dans les bibliothèques nationales dans les années soixante, le paysage est devenu plus complexe : accélération de l'explosion documentaire, possibilités nouvelles et pour certaines encore inconnues qu'apportent l'électronique, l'informatique et les nouvelles technologies de communication, spécialisation de plus en plus grande des domaines documentaires, nécessité de la coopération nationale et internationale pour diminuer les coûts croissants d'acquisition, de traitement, et de stockage.

La Bibliothèque de France reconnaît « qu'on ne peut plus rassembler tous les niveaux du savoir dans un même établissement », et propose un encyclopédisme qui se veut mesuré en incluant cependant les sciences et techniques ainsi que le droit, non couverts jusqu'à présent à la BN, réunissant « collections de référence et outils de travail au sens large... français et étrangers », « en partenariat avec les autres bibliothèques spécialisées de façon plus formalisée qu'autrefois dans le cadre de plans de développement des collections ».

Les grandes bibliothèques nationales qui ont gardé une vocation encyclopédique explorent diverses voies : sélection accrue à la British Library (16) ; « The library without walls » à la Library of Congress, qui délivre documents et services sous forme électronique à l'extérieur de la bibliothèque, (déjà opérationnel pour l'American Memory et les services juridiques et scientifiques) (20), idée que l'on retrouve dans la future Kansai Library du Japon.

Avec le formidable essor des bases de données textuelles, notamment sur CD-ROM, les progrès continuels de la télématique, l'avenir des grandes bibliothèques nationales sera-t-il proche du scénario décrit par Denis Varloot, et des souhaits exprimés par Kenneth E. Dowlin dans le colloque déjà cité, la majorité des documents et informations notamment scientifiques et techniques devenant accessible de son domicile ou de son bureau,... et de la bibliothèque aussi, dans le cadre de réseaux « domestiques ou régionaux » mis en œuvre dans une démarche coopérative ? Dans l'article prospectif de Michel Melot, « les progrès des transports et des télécommunications laissent penser que les très grandes bibliothèques seront en fait des bassins documentaires, des nébuleuses ou, à tout le moins, des constellations » (21). Il est donc bien probable que la politique documentaire des grandes bibliothèques nationales connaîtra des évolutions encore imprévisibles aujourd'hui.

Février 1993

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Tableau 1 - Bibliothèque nationale / British Library, comparaison des acquisitions

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Tableau 2 - Acquisitions étrangères de 1877 à 1951

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Tableau 3 - Acquisitions par achats de 1954 à 1992

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Tableau 4 - Profil des accroissements (achats et dons) selon les classes de la CDU (en pourcentage)

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Tableau 5 - Budget du Service des acquisitions, comparaison 1989-1991

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Tableau 6 - Périodiques étrangers régulièrement reçus à la Bibliothèque nationale

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Les CD-ROM de la BN

  1. (retour)↑  IDC : Inter Documentation Company.
  2. (retour)↑  CIS : Congressional information Service.
  3. (retour)↑  De nombreux articles dans le Bulletin des bibliothèques de France l'ont abordé. Je pense en particulier aux excellentes contributions de François LAPELERIE.
  4. (retour)↑  RLIN : Research Libraries Information Network.