Les réseaux de lecture dans les villes moyennes et leurs agglomérations

Christiane Pollin

Les réseaux de bibliothèques sont rarement organisés de façon cohérente dans les agglomérations de dimension moyenne. La demande des publics est pourtant forte et, surtout, extrêmement variée ; il faut disposer de services documentaires de niveau universitaire et de structures de proximité conviviales. Quelles réponses peut-on apporter, en matière de gestion et de services, à ces nouvelles exigences, dans un contexte d'intercommunalité et de pratiques multi-utilisatrices ?

Libraries network are seldom organized on a coherent basis in middle-sized urban areas. However, users needs are large and above all extremely diversified ; reference services of academic level and structures close to community are both to be set out. In a multiuser practices and intercommunality background, how can we comply, in management and services matters, with these new requirements ?

In den Ortschaften von mittlerer Gröβe haben selten die Bibliothekennetze entsprechende Gliederungen. Die Nachfrage des Publikums ist aber stark und höchst verschieden. Dokumentationsabteilungen von Universitätsniveau müβen ihm zur Verfügung stehen, sowie gastfreundliche Ortsbibliotheken. Mit welchen Lösungen kann man, was die Verwaltung und die Dienstpflicht betrifft, den Anforderungen der zunehmenden Gemeindeverbände und der mehrfachen Benutzungsnachfrage genügen ?

Entre la petite commune sur laquelle les bibliothèques centrales de prêt (BCP) se penchent avec sollicitude et la grande ville de tradition universitaire, la ville moyenne a su développer, en même temps qu'une qualité de vie recherchée, un type de bibliothèques efficaces et dynamiques qui pulvérisent les records de fréquentation. Si elles ont été parmi les premières à construire des équipements innovants et à les informatiser, pourront-elles poursuivre seules leur effort de performance sans associer les communes avoisinantes ?

En jetant un coup d'œil sur le décor des villes moyennes, quelques constatations s'imposent : les mutations intervenues, au cours des trois dernières décennies, dans le paysage urbain français, ont fait apparaître un mauvais ajustement entre le cadre administratif et les besoins nouveaux des citadins, avec les exigences de gestion qu'ils entraînaient.

Les populations sont venues gonfler les villes qui, faute de réserves foncières suffisantes, ont vu s'urbaniser les petites communes périphériques, d'origine souvent rurale et donc riches en terrains. Les zones industrielles ont suivi, proliféré même, à l'initiative d'élus éblouis par les rentrées fiscales que représentait cet afflux de résidents et d'entreprises.

C'est toutefois dans la ville-centre que se trouvaient, presque toujours, les principaux services éducatifs et culturels. Ces villes qui, par tradition, avaient toujours, avec plus ou moins d'activisme, entretenu des musées, théâtres, bibliothèques ou écoles de musique, ont vu affluer, en l'espace de quelques années, des publics nouveaux, grands consommateurs de services culturels, de plus en plus exigeants.

Les dépenses culturelles des villes-centres ont donc augmenté de façon exponentielle, tandis que leurs équipements étaient fréquentés, à plus de 50 %, par les habitants des communes périphériques.

Curieusement, les élus n'ont pris que tardivement conscience de ce déséquilibre, alors même qu'il y a trente ans se développaient des structures intercommunales pour faire face aux coûts d'assainissement, de traitement des ordures ménagères et de transports.

En même temps que les frontières communales se diluaient dans un tissu urbain continu que parcourent, à longueur de journée, les habitants de l'agglomération, pour rejoindre qui son travail, qui son lycée ou son hypermarché, la notion de canton prenait, dans ce nouveau paysage, une couleur délicieusement surannée.

Quel peut donc être le niveau administratif pertinent pour la gestion des équipements culturels en agglomération ? Cette question que l'on commence à voir posée dans divers points de l'Hexagone exige des approches nuancées.

Il faut distinguer, d'une part, l'action culturelle issue d'un projet destiné à promouvoir l'image d'une collectivité. Il s'agit le plus souvent de manifestations ponctuelles (festivals, spectacles vivants, etc.) qui ont pour objectif de rayonner au-delà du cadre initiateur. D'autre part, les services culturels tels que les bibliothèques et écoles de musique qui offrent des prestations régulières et de proximité.

De véritables défis

Sans revenir sur l'extraordinaire développement des bibliothèques, ces vingt dernières années, il est manifeste que leurs missions, leur place dans la cité, leurs modalités d'action se sont enrichies, diversifiées et qu'elles se trouvent confrontées à de véritables défis.

Quelles structures pour quels publics ? Devant le succès immédiat de toute nouvelle bibliothèque ouverte, quelle que soit sa localisation et quel que soit son fonds, les élus sont tentés de construire. Donc ils construisent. Et le public d'affluer, de réclamer encore plus. Et les bibliothécaires de jubiler et de réclamer toujours plus.

Jusqu'au jour où, un ou deux exercices plus tard, les secrétaires généraux, les directeurs financiers tirent la sonnette d'alarme. Une médiathèque, « intelligente » ou pas, dotée de tous les supports, de toutes les technologies de pointe, de professionnels bac + x, coûte cher ; une étude comparative des coûts de fonctionnement des différents services municipaux montre qu'en deux ou trois ans une bibliothèque égalise, en fonctionnement, le montant de son investissement. Seuls les services de restauration scolaire et les crèches ont un coût de fonctionnement encore plus élevé. Certes, le public est là, il plébiscite la réalisation par un taux d'occupation des sols record. Aucun autre équipement culturel, aujourd'hui, ne peut revendiquer une fréquentation égale à celle d'une médiathèque.

Mais quel public ? Des bébés-lecteurs à l'université du 3e âge, en passant par les collégiens, les post-bac, les étudiants « délocalisés », les chercheurs et les SDF 1, l'éventail est large. Encore reproche-t-on aux bibliothécaires d'être élitistes puisqu'on trouve toujours aussi peu de commerçants-artisans dans les statistiques...

Comment réduire les coûts sans exclure ? Diverses solutions à la petite semaine éclosent dans les médiathèques flambant neuves qui vous remettent, à l'entrée, un inventaire à la Prévert de tous les tarifs possibles. A travers cet exemple peut se mesurer l'absence de réflexion, et même, tout simplement, de calcul. Sans se lancer dans une étude sur le contrôle de gestion et la tarification dans les bibliothèques, qui serait pourtant à faire, on note deux incohérences dans cette politique « multitarifaire ». Outre le coût de gestion d'une tarification complexe (rarement prise en compte), on n'arrive jamais à couvrir le coût réel du service. On sait qu'un lecteur inscrit revient à environ 400 F par an à la collectivité. Or, les tarifs les plus élevés relevés dans les établissements récents atteignent 250 F pour les usagers résidant à l'extérieur de la commune. On est loin du compte, tout en étant suffisamment dissuasif pour exclure une partie non négligeable du public.

Autre incohérence venant de professionnels qui clament haut et fort leur attachement à l'intégration des supports, à l'égalité de l'audio, de la vidéo et de l'écrit au service de l'information et de la diffusion de la culture, car ce sont bien eux qui le soufflent à leurs élus : l'échelle des tarifs suit l'âge d'apparition du support sur notre planète. Vous pouvez emprunter de l'imprimé pour trois fois rien, il faudra débourser un peu plus pour les disques et cassettes audio (quoiqu'on note, dans certaines villes, des prix cassés pour l'emprunt de microsillons) ; quant à la vidéo, fleuron de nos médiathèques, vous ne pourrez souvent l'emprunter que pour 48 h et le tarif d'inscription ou de « maintenance » (la location étant interdite) ne pourra guère se comparer qu'aux prix du vidéo-club voisin.

Mentionnons, pour mémoire, la surtarification des lecteurs ne résidant pas sur la commune, histoire d'alimenter avec délicatesse la traditionnelle guerre des clochers. Et l'on constate à quel point on est loin d'aborder lucidement le problème.

Si l'on est convaincu de la légitimité de la demande, qui doit en supporter le coût ? De quel(s) niveau(x) de collectivité relèvent ces publics diffus, que l'on connaît mal, faute de les étudier vraiment ? Dans le domaine de la lecture, on constate que les communes doivent répondre seules aux besoins de lecture-loisir, de proximité, de formation continue et professionnelle (c'est une demande de plus en plus forte), de documentation des collégiens, lycéens, étudiants, enseignants. Et les érudits locaux, bien que poussés dans les coins, sont toujours là.

Ce sont pourtant bien des missions qui, pour certains, relèvent du département ou de la région (enseignement secondaire, supérieur, formation). Mais les villes moyennes ne reçoivent pas de subventions de ces collectivités pour faire fonctionner leurs bibliothèques, si ce n'est à titre exceptionnel, pour des projets ponctuels. Et pourtant elles supportent, plus que les grandes, le poids des communes périphériques qui n'ont pas de tradition de politique culturelle et sont habituées à laisser ce rôle à la ville-centre. On obtient donc des agglomérations déséquilibrées, dont les infrastructures sont mal réparties géographiquement et financièrement. On pourrait imaginer, idéalement, que l'aménagement du territoire en équipements culturels fasse l'objet d'études, voire de directives, dans le cadre de schémas directeurs ou de structures intercommunales.

Un contexte nouveau

Or, les collectivités locales vivent, depuis quelques années, des bouleversements importants avec l'arrivée de compétences nouvelles plus ou moins souhaitées, qu'elles n'ont pas toujours été préparées à accueillir.

Décentralisation

Si la décentralisation culturelle a peu touché les villes habituées à gérer leurs équipements maigrement subventionnés par l'Etat, on peut regretter qu'elle n'ait pas permis de mettre en place une véritable politique nationale en matière d'équipements et de fonctionnement. Les inégalités qui existaient d'une ville à l'autre sont appelées à persister et elles se sont déjà développées rapidement en ce qui concerne les BCP.

Les observateurs s'accordent à dire que la décentralisation culturelle n'a pas vraiment eu lieu ou, tout au moins, reste à achever. Ils s'appuient pour cela sur les nombreuses accusations de jacobinisme que lancent notamment les élus locaux reprochant à l'Etat d'exercer un véritable contrôle sur les politiques culturelles à travers le système des subventions ; leur attribution n'est, en effet, accordée que lorsque les projets correspondent à ce que les élus considèrent comme une conception élitiste de la culture. Les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) sont accusées d'être « les boîtes aux lettres du ministère ».

Par ailleurs, l'essentiel du budget national consacré à la lecture ou à la musique va aux grands établissements parisiens. Et les collectivités locales seules ne peuvent assurer la création et le fonctionnement d'équipements conséquents, si ce n'est au prix d'un engagement politique qui peut, à tout moment, être remis en cause.

La Dotation globale de décentralisation est calculée selon des critères de toute évidence inadaptés, puisque certaines régions ne parviennent pas à « dépenser » leur enveloppe annuelle, alors que d'autres, confrontées à un dynamisme remarquable des collectivités locales, doivent les pénaliser en diminuant le taux de subvention accordé à leurs projets. Tel équipement sera financé à 50 % par le concours particulier dans une région pauvre en initiatives, alors que tel autre obtiendra difficilement 20 %, et devra prendre rang deux ou trois ans à l'avance.

Dans un contexte aussi étriqué, il est difficile d'exiger des collectivités locales qu'elles fassent preuve de hardiesse et de cohérence dans leurs investissements culturels. Les orientations de l'Etat se manifestant essentiellement sur le terrain de choix esthétiques et de fêtes médiatiques ponctuelles, la politique du « jeu du catalogue » a encore de beaux jours devant elle.

Dans son rapport sur la décentralisation culturelle (1), René Rizzardo propose une redéfinition du rôle de l'Etat, un encouragement à l'intercommunalité et un réajustement des niveaux de compétences ; pour l'enseignement musical, il préconise le niveau départemental, afin de couvrir les zones rurales et de ne pas laisser aux communes une charge aussi lourde. Comme le constate Thierry Lemeau (2) : « Les écoles de musique dénommées conservatoires nationaux de région n'ont de nationale que la mission et de régional que le nom : ces écoles relèvent la plupart du temps des communes, ce qui soulève de graves difficultés ». L'échelon régional semble, en effet, oublié dans la décentralisation culturelle. Jusqu'à quand les villes, et surtout les villes moyennes, pourront-elles faire fonctionner à la fois un réseau de bibliothèques, un conservatoire de musique, un théâtre, un ou deux musées, une école des beaux-arts,... ?

La décentralisation aurait pu être l'occasion d'un débat sur le rayon d'action des équipements culturels, leur impact, leurs utilisateurs, leurs financements, leur répartition sur le territoire, de façon à gommer les inégalités et impulser des politiques cohérentes. Ce débat n'a pas eu lieu, il reste à faire.

Délocalisations universitaires

Autre révolution dans l'univers des villes moyennes : les délocalisations universitaires. Considérées comme une aubaine par les responsables locaux, elles apportent un plus à l'attractivité d'une ville. Outre qu'elles lui confèrent une importance flatteuse, elles sont censées garder les jeunes au pays, attirer les entreprises et revitaliser le tissu économique, raviver l'animation de cités un peu assoupies et permettre à des jeunes pas assez fortunés pour s'installer dans une ville universitaire de poursuivre leurs études.

Un peu réticentes il y a une dizaine d'années, les universités comprennent maintenant qu'elles ne peuvent accueillir, sur les lieux traditionnels, une population étudiante en constante augmentation et dont le doublement est prévu à l'horizon de l'an 2000. L'implantation d'IUT 2 et de premiers cycles dans les villes moyennes fait donc maintenant l'unanimité et les élus emploient désormais leurs talents de persuasion pour attirer les filières les plus prestigieuses et les plus porteuses de débouchés.

Pour cela, ils font valoir les ressources, les traditions et les spécificités de leurs villes. Il faut qu'étudiants et professeurs aient envie d'y vivre, que les enseignements aient un rapport avec les activités du cru. Il faut surtout que les collectivités locales fournissent les infrastructures : locaux, restauration, logements ; elles doivent s'engager à financer 50 % des investissements. C'est ce qu'exige, sans rire, le ministère de l'Education nationale qui n'en a jamais demandé autant aux grandes villes.

Il exige aussi un « environnement » minimum dont la documentation fait partie. Les maires font donc visiter leurs bibliothèques municipales et jurent qu'elles se mettront en quatre pour accueillir les futurs étudiants. Le maire de Cambrai est catégorique : « Si l'université de Lille III est venue chez moi, c'est en particulier grâce au caractère performant de ma bibliothèque-médiathèque. C'est la première chose qu'ils ont demandé à voir ».

Profitant d'une conjoncture aussi favorable (mais également en raison de la faiblesse de leurs propres crédits), les universités réclament des dotations pour acheter des livres, des créations de postes de documentalistes et d'ATOS 3. Le tout en ordre bien dispersé, avec des variantes locales des plus pittoresques, comme les modes de recrutement de ce nouveau type de personnel territorial mis à disposition de l'Etat. On notera tout de même que, sur ces dossiers, les dissensions politiques disparaissent : villes, départements, organismes intercommunaux, régions s'entendent pour remplir la corbeille. Ce qui donne une idée de l'importance que tous y attachent.

Dans ces circonstances, les bibliothèques doivent s'adapter et suivre, sinon précéder, les priorités municipales. Dans certaines villes, il a fallu réserver un espace pour la documentation universitaire et le public étudiant, assurer la logistique (acquisitions, catalogage, équipement), aménager les horaires d'ouverture.

Daniel Renoult, sous-directeur des bibliothèques universitaires au ministère de l'Education nationale et de la Culture affirme que « le ministre tiendra ses engagements en matière de création d'emplois de bibliothèques », mais lorsque l'on connaît le retard accumulé dans ce domaine depuis une quinzaine d'années, il est légitime de supposer que ces emplois iront prioritairement aux bibliothèques universitaires traditionnelles, qu'elles soient anciennes ou nouvelles. Deux choix s'offrent donc aux villes accueillant des antennes. Construire un centre de documentation en même temps que les lieux d'enseignement : c'est souvent ce que réclament, en priorité, les professeurs. Ou bien, à l'occasion d'une réorganisation, d'un agrandissement ou d'une construction nouvelle, intégrer la documentation universitaire à la bibliothèque municipale.

C'est ce dernier choix qui semble séduire les villes et les bibliothécaires, actuellement. Les conventions se multiplient entre bibliothèques universitaires et municipales : Roanne, Chambéry, Blois, Valence, entre autres, ont ainsi conçu leurs nouveaux équipements en y ajoutant cette mission supplémentaire. Avec, bien sûr, les m2 et les postes adéquats, et, en prime, la bénédiction du ministère de l'Education nationale et de la Culture qui octroie, pour les acquisitions, des crédits du Centre national des lettres et les droits d'inscription en bibliothèques universitaires des étudiants concernés. Les conventions prévoient les conditions d'accueil, les locaux, les emplois et les règles de fonctionnement.

On y détecte un croisement des intentions, symptomatique du refus des ségrégations du public et des fonds ; n'est-ce pas l'esprit de la Mission lecture étudiante, à la Sous-direction des bibliothèques, que d'encourager la fréquentation de fonds de littérature générale par les étudiants trop habitués à « lire utile » ? Parallèlement, les bibliothèques publiques ne sont-elles pas confrontées à cette demande grandissante d'aide à la formation sous toutes ses formes ? La convention de Valence le précise expressément : « Cette bibliothèque universitaire sera intégrée à la médiathèque, les parties admettent qu'il s'agit d'une fonction intégrée et non séparée... ».

Pour autant, des questions se posent : n'y-a-t-il pas un risque d'exclusion des publics traditionnels ? La présence assidue des étudiants ne va-telle pas chasser le grand public ?

Les professionnels soulignent un autre danger : la secondarisation des premiers cycles. Exilés dans des villes de moindre importance, coupés des ressources de l'université, condamnés aux « turbo-profs » et privés de vraies bibliothèques universitaires, les étudiants de premiers cycles ne vont-ils pas devenir des lycéens prolongés ? Le risque est réel, mais les édiles des villes moyennes rétorquent avec force qu'ils offrent des conditions de travail plus conviviales et que la qualité de l'enseignement s'en ressent.

Il est certain que cette implication directe des collectivités locales dans la gestion des équipements para-universitaires aura des conséquences qui ne seront pas que financières, comme semblait l'espérer l'Etat en la suscitant. Il n'est pas trop tôt pour tenter de les évaluer et de les orienter dans le sens d'une optimisation des structures traditionnelles. On note avec intérêt la réflexion nouvelle qui s'instaure dans les villes qui construisent de nouvelles médiathèques et qui vont accueillir une antenne ou une université.

Il faudra, d'autre part, trouver un niveau de responsabilité territoriale plus pertinent que celui de la commune pour assurer la pérennité de telles charges. L'intérêt d'une antenne universitaire dépasse largement le cadre de la ville et touche l'ensemble des communes alentour. A La Rochelle, c'est le SIVOM 4 qui est l'interlocuteur privilégié de l'université, à Lorient c'est le district, à Chartres c'est le Syndicat intercommunal qui investit dans la construction de l'IUT, à Saint-Quentin-en-Yvelines c'est le SAN 5.

Organismes intercommunaux

Les organismes intercommunaux ne sont pas habitués à ce type de compétences, mais, là aussi, nous vivons une période de mutations. L'intercommunalité qui s'est développée depuis trente ans avec des bonheurs divers dans l'Hexagone, n'a pas réussi à unifier les 36 700 communes françaises. On sait que les autres pays européens réunis comptent moins de communes que la France à elle seule, parce qu'ils ont su, à un moment ou à un autre, les regrouper de façon volontariste.

La loi du 6 février 1992 fait apparaître deux structures nouvelles : les communautés de communes et les communautés de villes. C'est l'un des prolongements de la décentralisation avec un projet d'aménagement du territoire. Elles ont un cadre plus rigide que les SIVOM ou les districts et ont ceci d'intéressant qu'elles prévoient des compétences en matière de « construction, entretien et fonctionnement d'équipements culturels et sportifs ».

Certes, il s'agit de compétence facultative et l'on peut se dire qu'après avoir absorbé des compétences obligatoires, les élus ne se précipiteront pas sur le facultatif. A moins justement que la liberté de choix dans des domaines sensibles ne soit accueillie favorablement. Il faut enfin percevoir comme positive cette possibilité de compétences culturelles offertes par la nouvelle loi, parce qu'elle est le signe d'une maturité et de l'actualité de la réflexion. Il est vrai qu'en trente ans, les organismes intercommunaux sont passés petit à petit des réseaux d'égouts au développement économique, puis universitaire ; la culture et, en premier lieu, la lecture, devraient logiquement se situer dans la continuité de cette évolution.

On en voit les signes avant-coureurs dans l'organisation de journées ou débats sur ce thème, même s'il existe encore peu d'expériences et si celles-ci ne présentent encore aucun signe de réussite absolue.

Les agglomérations étudiées dans le cadre d'un DESS 6 offrent la démonstration de l'intérêt d'une coopération, même rudimentaire, entre les structures d'une même bassin d'habitat. Les petits équipements raccordés à un réseau, quel qu'il soit, ont des résultats bien supérieurs à ceux qui fonctionnent en autonomie complète.

La Rochelle présente l'expérience originale d'un SIVOM (devenu, tout récemment, la première « communauté de villes » française) qui investit dans la lecture publique sous des formes diverses : réseau informatique, achat de cassettes audio, bibliobus, au service des communes de l'agglomération, aide à la construction, etc. Malgré des dysfonctionnements dus, surtout, à la non-formalisation de cette action (le SIVOM n'avait officiellement pas de compétences culturelles), on note une maturité intéressante des acteurs dans le domaine de la coopération, des pratiques multi-utilisatrices d'un public très présent dans les différents équipements, et une réflexion intercommunale sur l'articulation entre lecture publique et documentation universitaire.

Rien de semblable dans le district de Lorient, où chaque petite commune veille farouchement sur l'indépendance, l'autonomie et l'auto-suffisance de sa bibliothèque municipale. La nouvelle médiathèque qui vient d'ouvrir ses portes à Lorient risque, par son succès, de les obliger à revoir leur politique isolationniste.

La comparaison est sans appel. Entre les villes périphériques de Lorient et La Rochelle, pour des communes de typologies semblables (nombre d'habitants, CSP 7, locaux et moyens en personnel), le nombre de documents prêtés par an et par habitant va :
- de 4,8 à 5,5 dans la périphérie de Lorient, avec une moyenne de 5 pour l'ensemble de l'agglomération ;
- de 7 à 9,5 dans la périphérie de La Rochelle, avec une moyenne de 8 pour l'ensemble de l'agglomération.

Le cas atypique de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines est intéressant à bien des égards. Les équipements gérés directement par le Syndicat d'agglomération nouvelle travaillent en réseau avec des résultats bien plus performants que ceux qui sont restés ou retoumés en gestion municipale. Le rôle du SAN est sans ambiguïté : assurer l'investissement et la gestion des équipements qui présentent un intérêt intercommunal, les répartir équitablement sur l'ensemble de la ville nouvelle. La tâche n'est pas simple, dans la mesure où, si la ville est nouvelle, les petites communes qui la composent ont, elles, une histoire et des revendications d'identité.

Le réseau informatique et le volontarisme des professionnels arrivent heureusement à dépasser les blocages et offrent un tableau intéressant de coopération et de réflexion sur l'adéquation des services aux attentes du public.

On trouve partout une variété de tailles d'équipements qui, tous, semblent avoir leur légitimité :
- les bibliothèques centrales éprouvent le besoin de se transformer en médiathèque, de taille conséquente, regroupant tous les supports, plus ou moins articulée avec l'antenne ou l'université. On note l'émergence d'une réflexion nouvelle, dans ce domaine, qui devrait bouleverser les clivages historiques bibliothèque universitaire / bibliothèque municipale.
- des annexes de taille moyenne (500 à 1 000 m2) offrant tous les services de lecture publique dans des quartiers de 5 000 à 10 000 habitants (type ZUP ou DSQ 8) pouvant dépasser leur vocation première de desserte de quartier ;
- des relais-lecture de taille modeste (25 à 100 m2) à offre réduite, jouant un rôle de proximité dans des quartiers souvent anciens, moins peuplés, éloignés du centre ;
- des bibliobus dont la vocation a changé, au fil du temps. Créés, à l'origine, pour desservir les populations à mobilité réduite (personnes âgées, femmes au foyer) et les comités d'entreprise, ils se retrouvent avec un public d'enfants d'âge primaire à 80-90 %. Les personnes âgées lisent, en fait, très peu (contrairement aux idées reçues), les femmes se déplacent sans problème et préfèrent le choix des bibliothèques : quant aux comités d'entreprises qui créent leurs propres bibliothèques, les bibliobus en desservent de moins en moins, faute d'intérêt. Ils jouent, par contre, un rôle important dans la décision de créer des bibliothèques.

La coexistence de ces types de structures paraît pertinente pour l'adéquation des services de lecture à la diversité des paysages urbains.

Les publics : vie et mœurs

Il existe peu d'enquêtes sérieuses sur les utilisateurs ou non-utilisateurs de bibliothèques, leurs pratiques, leur satisfaction ou leurs attentes. Le département Etudes et recherches de la Bibliothèque publique d'information reste un cas isolé, même s'il ne manque pas de susciter l'intérêt et de servir de modèle.

Les bibliothécaires se désintéresseraient-ils de leurs publics ? Ce n'est sûrement pas le cas, mais il est vrai que les bibliothèques françaises ont toujours eu tendance à adopter une « démarche-produit », pour utiliser le vocabulaire du secteur commercial, plutôt qu'une « démarche-marketing ». Autrement dit, on propose un certain nombre de services sans chercher à savoir si cela convient aux publics : c'est à eux de s'y adapter.

Horaires d'ouverture, accueil, collections, animations sont souvent élaborés à partir de l'idée subjective que les bibliothécaires se font de leur public, sur lequel ils portent un jugement surréaliste. On entend ainsi parler de « grand public » sans savoir exactement ce que cela recouvre.

Au cours des entretiens menés dans les agglomérations étudiées, les professionnels ont donné de la typologie de leurs lecteurs ou de leurs pratiques une image en contradiction avec les données réelles.

Une enquête, menée à La Rochelle en 1991 (3), apporte des enseignements qui font tomber quelques idées reçues :
- l'importance des déplacements à l'intérieur de la ville (l'enquête n'aborde pas la fréquentation des autres équipements de l'agglomération) : 32 % utilisent de 2 à 4 services en fonction de leurs besoins ;
- la forte motivation des lecteurs en provenance d'autres communes, surreprésentés dans les réponses au questionnaire ;
- la consultation du catalogue à domicile sur minitel n'est quasiment pas utilisée, malgré l'ancienneté de ce service et l'importante campagne d'information qui lui a été consacrée pendant deux ans ;
- la principale qualité attendue du personnel est l'accueil (53,7 %), suivie, loin derrière, par la compétence (25,7 %) ;
- le premier motif de satisfaction est celui de la proximité du domicile (ou de la possibilité de se garer facilement) ;
- les lecteurs venant d'autres communes fréquentent principalement les équipements les plus importants.

D'une manière générale, les réponses des lecteurs à cette enquête ainsi que leurs remarques personnelles, accréditent l'idée que les demandes les plus fortes concernent des équipements de proximité pour la lecture-loisir, avec accès facile, en même temps que des structures plus riches offrant un choix documentaire diversifié de qualité et pour lesquelles les lecteurs motivés sont prêts à faire plusieurs dizaines de kilomètres (8 % viennent de plus loin que l'agglomération).

Le SAN de Saint-Quentin-en-Yvelines a fait appel à l'Agence Rhônes-Alpes de services aux entreprises culturelles pour réaliser en 1989, une étude sur les attentes des habitants en matière de médiathèque publique (4).

Les résultats les plus édifiants de cette enquête ont inspiré les bibliothécaires du réseau du SAN pour élaborer le projet de médiathèque, notamment dans l'abandon de l'artothèque qui ne semble pas tenter le public. On pourrait objecter qu'ils ne peuvent désirer ce qu'ils ne connaissent pas encore, mais il se trouve que les lecteurs de La Rochelle marquent le même désintérêt pour l'emprunt d'estampes, alors qu'une artothèque est ouverte en centre-ville.

Autre point commun avec La Rochelle : la consultation du catalogue sur minitel avec possibilité de réservation semble sans intérêt à 83 % de l'ensemble de la population.

La première qualité attendue de la future médiathèque est d'être accueillante. La proximité du domicile est aussi très importante pour 39 % des personnes interrogées.

Une indication intéressante dans l'enquête de notoriété : les habitants mémorisent mal les noms de baptême des équipements (Georges Brassens, Jean Jaurès, Anatole France,...), leur préférant le nom du quartier ou de la commune.

Les habitants de Saint-Quentin-en-Yvelines, d'un niveau socioprofessionnel et de formation plus élevé que la moyenne nationale, attendent des services plus diversifiés que ceux qui existent actuellement puisqu'ils mettent au même niveau, les livres et le laboratoire de langues. Quant à l'environnement de la médiathèque, c'est encore la convivialité et le confort qui sont le plus souhaités à travers ces trois fortes demandes : la qualité de l'accueil, la proximité du domicile, et... la halte-garderie (35 % des personnes interrogées).

L'intérêt de ces enquêtes peut être déterminant au moment d'un choix d'investissement ou de réorganisation d'un équipement ou d'un réseau. Si cette pratique se généralisait, il serait possible de tirer des enseignements à partir des points de recoupements ou, au contraire, en analysant les divergences. Cela éviterait peut-être la persévérance dans certaines erreurs et cela permettrait, surtout, d'adapter enfin les services de lecture à la demande des publics.

Les élus : du discours à la réalité et inversement

La place de la culture dans l'image des collectivités territoriales a changé. Elle est devenue l'élément moteur d'une affirmation d'identité découverte avec la décentralisation. Le vice-président du SAN de Saint-Quentin-en-Yvelines chargé des affaires culturelles affirme sans détour : « Le pari culturel a pris la place du pari économique pour asseoir l'identité de la ville nouvelle ».

L'investissement dans la culture est devenu rentable à bien des égards. Il renvoie aux électeurs, et notamment aux leaders d'opinion des classes favorisées, une image gratifiante de qualité de vie, de loisirs intelligents qui donne à la collectivité un caractère d'exception. Il faut maintenant que les électeurs soient fiers de dire qu'ils habitent la commune de X, comme on doit être fier de rouler dans une voiture en série limitée...

Il existe donc une ambiguïté dans le volontarisme des élus en matière culturelle. Certains vont privilégier le « coup médiatique », qu'il s'agisse de construction ou d'action ponctuelle, pour exporter leur image au-delà des frontières de la commune. Qu'importent les dysfonctionnements d'un équipement, si on le cite en exemple dans la France entière en raison de la notoriété de son architecte international. Qu'importe la conception douteuse d'une exposition, si des affiches l'annoncent sur les Champs-Elysées. Qu'importe la colère des commerçants de La Rochelle envahie par une faune parasite, si les Francofolies font la Une de tous les médias : les stratégies électorales ont changé.

Rentabilité aussi dans le domaine économique. Cette image acquise souvent à grands frais va servir à attirer les investisseurs et les entreprises. La plupart des villes ont des ZI, des ZAC 9 ou, beaucoup plus mode, des « jardins d'entreprises » dans lesquels les élus souhaitent voir s'implanter des sociétés à haut rendement fiscal, c'est-à-dire, le plus souvent, à fort taux d'encadrement de niveau supérieur. Ce sera d'autant plus aisé qu'existeront sur place (dans la ville ou dans l'agglomération) tous les équipements culturels et de loisirs qui permettront à ces cadres d'installer leur famille dans les meilleures conditions.

C'est dans ce contexte d'enjeux économiques d'importance souvent vitale, et dont n'ont pas toujours conscience les professionnels qui vivent encore sur un malentendu, que prospère le « jeu du catalogue » : festivals, médiathèques, écomusées, expositions, etc.

C'est surtout vrai dans les villes grandes et moyennes. Les petites villes et, en particulier, les villes périphériques d'agglomération vont développer une stratégie différente. L'environnement de prestige étant assuré par la ville-centre, l'enjeu va être pour elles d'affirmer leur différence par des actions de terrain dirigées vers les populations locales.

Selon que les bibliothèques sont considérées comme des services de proximité ou des équipements-phares images de la collectivité, elles sont plus ou moins revendiquées par les élus. Lorsque l'organisme intercommunal a des compétences étendues, les communes ont le sentiment d'être dépossédées de leurs responsabilités. Les élus investissent alors au maximum dans les domaines qui ne sont pas gérés dans le cadre intercommunal.

Peut-on en conclure que plus l'image des bibliothèques est positive, plus il sera difficile de leur faire dépasser les frontières communales ? Peut-être pas. S'il est vrai qu'il y a, depuis une dizaine d'années, un surinvestissement des élus dans l'image culturelle, ils sont de plus en plus conscients des problèmes de coût et de l'origine extérieure des utilisateurs.

On retrouve alors la rivalité ville-centre / villes périphériques. La première veut faire reconnaître la vocation intercommunale de ses services culturels pour en partager les charges. Les secondes ne veulent pas payer pour un service qui n'est pas implanté sur leur commune.

Le discours des élus sur la coopération intercommunale est frappant de subjectivité, alors qu'il s'appuie sur des faits éminemment objectifs. Tous se déclarent de fervents partisans de l'intérêt communautaire et de la solidarité villes riches / villes pauvres. Les inconvénients de l'intercommunalité ne sont avancés que par les élus de la périphérie : coût de gestion de la structure intercommunale (« des technocrates irresponsables »), priorités contestables imposées par la ville-centre majoritaire au comité de gestion, perte d'identité.

Un responsable administratif de SIVOM déclare : « Les maires préfèrent un outil, même coûteux, dont il maîtrisent les dépenses qu'un outil SIVOM qu'ils ne maîtrisent pas ».

Toute l'ambiguïté de la situation intercommunale en agglomération tient au pari impossible imposé aux élus : offrir à des administrés de plus en plus exigeants des services de haut niveau, tout en maîtrisant la fiscalité directe. Le surdimensionnement de ces services par rapport à l'entité communale, surtout pour les villes moyennes, entraîne des coûts qui ne peuvent être engagés que s'ils ont des chances d'être rentabilisés en terme d'image ou de développement.

La décentralisation a fait naître, chez les élus, l'énorme espoir, longtemps refoulé, de pouvoir agir enfin hors de la tutelle de l'Etat. Outre que celle-ci est toujours bien là, l'intercommunalité, incontournable, vient retirer des pans d'autonomie toujours plus grands. Reste la tentation de s'accrocher à ce qui peut conserver l'illusion : la culture par exemple.

Les professionnels : un tableau contrasté

On retrouve, chez certains professionnels, la même crainte de perdre son autonomie dans la coopération. C'est souvent le syndrome du bibliothécaire d'annexe, mais on peut le retrouver dans les petites villes de banlieue. C'est le résultat de la mode fâcheuse qui a consisté à juxtaposer des équipements indépendants les uns des autres sans souci de cohérence ; la prise de conscience de la nécessité d'un travail en réseau a amené des restructurations avec la mise en place de liens et d'échanges, pas toujours bien vécus.

On trouve, chez les professionnels frileux, une absence de curiosité pour ce qui se passe ailleurs ; peu sûrs de leurs compétences, ils craignent d'être confrontés à celles des autres : « Les réunions sont intimidantes ». Ils parlent de leurs collègues en termes de comparaison et de concurrence ; faire connaître les ressources des établissements proches équivaut à « perdre » son public.

D'une manière générale, fort heureusement, le discours des bibliothécaires est plus ouvert, même s'il l'est, dans certains cas, plus en théorie que dans la pratique. On note, tout de même, que les structures de coopération locales et les réseaux favorisent la maturité de leurs acteurs. Tous ceux qui ont, de près ou de loin, participé à des actions professionnelles communes, y voient beaucoup plus d'avantages que d'inconvénients. La réflexion la plus avancée a été constatée à Saint-Quentin-en-Yvelines où il y a toujours eu travail en commun entre les structures du SAN. Par voie de conséquence, les professionnelles des petites bibliothèques municipales voisines se sont raccrochées à ces réseaux (dont le réseau informatique n'est pas le moindre), dans lesquels elles se sentent bien accueillies et où elles trouvent des aides logistiques précieuses. La possibilité d'envoyer leurs lecteurs vers d'autres équipements, pour satisfaire leurs demandes, leur paraît être un « plus » pour l'image de leur propre service.

A La Rochelle, où le réseau informatique a également fait percevoir les avantages de la coopération, les bibliothécaires les plus motivés vont eux-mêmes chercher les livres demandés dans les autres équipements de l'agglomération.

En ce qui concerne les politiques d'acquisitions, le volontarisme est beaucoup plus nuancé. Il est vrai qu'il s'agit là du domaine de compétence par excellence du bibliothécaire. Difficile de remettre en question l'autonomie de chacun dans les choix qu'il fait pour sa section. Seul le réseau de Saint-Quentin-en-Yvelines a une politique d'acquisitions concertée. C'est dans le secteur Jeunesse que la concertation est la plus fréquente et la plus assidue. Est-ce en raison d'une formation reconnue ? Grâce à la spécialisation Jeunesse du CAFB 10, les professionnels ont officiellement une compétence égale et ne sont pas en concurrence.

En ce qui concerne l'animation, on retrouve le clivage entre ceux qui revendiquent la « spécificité » de leur établissement et donc l'image qu'ils souhaitent en donner à travers l'animation, et ceux qui ont eu l'occasion d'expérimenter l'action commune et la synergie dont tous bénéficient. En fait, les deux positions ne semblent pas incompatibles, mais profitons-en pour relever, au passage, que l'animation en bibliothèques est bien reconnue comme outil de communication et que les professionnels ne comptent plus sur elle pour attirer de nouveaux lecteurs, comme cela a longtemps été le cas.

Quant aux agences de coopération régionale, elles sont singulièrement absentes du sujet qui nous intéresse et n'ont été citées positivement que pour les prêts d'exposition consentis en Bretagne. Sinon, elles font plutôt l'objet de critiques ou, au mieux, d'indifférence. La gadgétisation de certaines, l'éparpillement des prestations plaquées sans concertation, le « gaspillage » des opérations de prestige provoquent des critiques sévères.

Les petites bibliothèques, qui sont le plus demandeuses en matière de coopération, s'adressent beaucoup plus facilement à l'échelon local ou départemental. Certaines BCP font un travail remarquable dans le domaine de la coopération parce qu'elles sont en contact direct avec les acteurs concernés. L'avenir de la coopération en bibliothèques est sûrement davantage du côté des agglomérations, pour les zones urbaines, et des BCP, pour les zones rurales, que des agences régionales.

Quant aux actions d'envergure qui nécessitent des investissements lourds et coûteux, c'est à l'échelon national qu'elles doivent être traitées : catalogues de fonds anciens ou spécialisés, campagnes de microfilmage ou de restauration, etc.

Quel peut être, sinon, le rôle de l'Etat pour parachever cette étrange décentralisation ? Les professionnels en attendent, avant tout, une autorité en matière de compétences, un garant du professionnalisme et un moteur en matière de réflexion. La disparition annoncée des inspecteurs de bibliothèques est, à cet égard, plutôt inquiétante.

Si les élus locaux sont allergiques au contrôle de l'Etat exercé par les services déconcentrés avec une vigilance tatillonne, ils ont toujours bien accueilli les conseils apportés par les inspecteurs généraux des bibliothèques. Combien de bibliothécaires ont vu des situations se débloquer, des projets lancés et des conflits résolus grâce à l'intervention d'un inspecteur ? Une association professionnelle, si puissante et représentative soit-elle, n'aura jamais cette même influence.

On attend enfin de l'Etat qu'il se soucie davantage de la couverture du territoire en équipements de lecture publique, avant de laisser le soin à chaque collectivité territoriale de choisir le « mode d'action local ». Comme le relève avec pertinence Anne-Marie Bertrand (5), on ne trouve guère, à l'échelon de la Direction du livre, de propositions d'aménagement du territoire, ni de remise en cause du niveau de territorialité. La coopération a toujours été traitée en terme d'« outils » et les propositions restent très techniques. Trouvera-t-on un jour des outils adaptés si l'on ne fait pas les frais d'un débat d'objectifs ?

La coopération pour quoi faire ?

Vers des solutions consensuelles

La naissance, de plus en plus fréquente, de projets d'intérêt communautaire forts qui mobilisent élus et professionnels de plusieurs communes, pour promouvoir une image ou asseoir une identité, laisse entrevoir une marginalisation progressive des querelles de clochers au profit d'une politique de contractualisation qui ménage les intérêts de tous. Si la gestion d'un réseau de bibliothèques dans une agglomération ne peut se faire, comme en zone rurale, à l'aide de simples conventions, on peut imaginer des démarches du type charte intercommunale, en attendant que les districts et communautés de villes trouvent leur rôle et leur place exacts dans ce domaine, comme ils les ont trouvés dans d'autres.

Le cas de Chartres et de son agglomération permettra peut-être d'expérimenter un réseau intercommunal, dans la mesure où la pénurie d'équipements dans la périphérie va être l'occasion de propositions ex nihilo.

La situation y est extrême : ville de 42 000 habitants, au centre d'une agglomération dense de 90 000 habitants, Chartres est seule à proposer des bibliothèques à une population de catégories socio-professionnelles élevées, avec une antenne universitaire qui doit accueillir, à terme, 5 000 étudiants.

Chartres consacre 15 % de son budget à la culture et 125 F par an et par habitant à la lecture publique ; ses bibliothèques prêtent 470 000 documents par an à 18 000 lecteurs actifs dont 48 % n'habitent pas la commune.

La construction d'une médiathèque est l'occasion de lancer un projet de réseau sur l'agglomération, dans le cadre du district qui reconnaît l'aspect intercommunal d'un tel équipement.

Conçu et présenté en collaboration avec la BCP d'Eure-et-Loir, un « schéma d'aménagement de l'agglomération chartraine en équipements de lecture » proposera autour de la médiathèque, cœur de réseau appelé à répondre aux demandes les plus spécifiques (universitaires, formation professionnelle, etc.) un maillage des quartiers en équipements de proximité destinés à répondre aux besoins de lecture publique.

Appuyé sur le district pour la conception et l'investissement, ce schéma fera des propositions de coopération professionnelle (catalogue commun, politique d'acquisitions,...) tout en laissant aux collectivités le choix d'une politique d'animation de leurs équipements.

Le pari n'est pas gagné d'avance. Pourra-t-on dépasser les enjeux de pouvoir qui se focalisent sur le désir d'autonomie absolue ? L'argument économique devrait être déterminant.

Le coût des équipements culturels ne peut continuer à être réparti de manière aussi inégalitaire. Les bibliothèques qui travaillent en coordination ont de meilleurs résultats que celles qui sont isolées. La politique de réseau permet une optimisation des moyens en même temps qu'une amélioration du service rendu.

Il paraît évident que si l'Etat use de ses fonctions régaliennes pour encourager l'intercommunalité, ce n'est pas, comme le pensent certains, pour rétrécir le champ d'autonomie des élus, mais bien pour mettre fin à des gaspillages et des endettements inquiétants.

La Direction du livre et de la lecture, de son côté, invite les DRAC à subventionner, en priorité, les projets intercommunaux ainsi que les informatisations en réseau. Les crédits d'acquisitions du Centre national des lettres seront bonifiés en cas d'intercommunalité.

Il existe donc des moyens concrets pour réduire les coûts d'investissement. Quant aux coûts de fonctionnement, il reste à trouver des formules de gestion qui répartissent les charges équitablement et trouvent des financements appropriés, tout en garantissant l'accès de tous à la lecture et à l'information.

Toutes les collectivités territoriales sont confrontées à ces enjeux. Ce sont les villes moyennes qui prennent de plein fouet les grandes mutations des pratiques culturelles de leurs habitants. Gageons qu'elles seront à la hauteur du défi et que c'est d'elles que viendront les innovations qui marqueront le tournant du XXI' siècle.

Décembre 1992

  1. (retour)↑  SDF : Sans domicile fixe.
  2. (retour)↑  IUT : Institut universitaire de technologie.
  3. (retour)↑  ATOS : Administratif, technicien, ouvrier et de service.
  4. (retour)↑  SIVOM : Syndicat intercommunal à vocation multiple.
  5. (retour)↑  SAN : Syndicat d'agglomération nouvelle.
  6. (retour)↑  Christiane POLLIN, Quels réseaux de lecture pour les agglomérations moyennes ?, DESS Direction des projets culturels, ENSSIB, 1992.
  7. (retour)↑  CSP : Catégorie socio-professionnelle.
  8. (retour)↑  ZUP : Zone à urbaniser en priorité
    DSQ : Développement social des quartiers.
  9. (retour)↑  ZI : Zone industrielle
    ZAC : Zone d'aménagement concerté.
  10. (retour)↑  CAFB : Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire.