Les ateliers d'écriture

par Élisabeth Blanes

Claire Boniface

avec la collab. d'Odile Pimet
Paris : Retz, 1992. - 238 p. ; 22 cm.
ISBN 2-7256-1452-x: 110 F

On entend ces temps-ci beaucoup parler des ateliers d'écriture. Ce qu'on en sait en général c'est que des personnes se réunissent pour produire de l'écrit sous la conduite d'animateurs, d'écrivains. Et puis après...

A parcourir rapidement Les ateliers d'écriture, l'ouvrage que Claire Boniface vient de publier avec la collaboration d'Odile Pimet, on pourrait penser n'avoir affaire qu'à un guide « pour s'y retrouver » - selon l'expression de l'auteur - dans ce phénomène apparu en France en 1969. Si cet ouvrage devait n'être qu'un guide, il serait déjà précieux, tant cette entreprise est à notre connaissance rare et menée ici avec exhaustivité : Claire Boniface a recensé les différents types d'ateliers existants, selon les territoires qu'ils investissent (l'école et l'université, la prison, l'hôpital, l'entreprise, le quartier), selon les objectifs que poursuivent les animateurs, la motivation qui pousse les participants, différente selon les lieux et les époques, les nombreuses associations qui les organisent.

De plus, c'est, à notre connaissance, la première tentative en France de rassembler une bibliographie, qualifiée modestement par l'auteur de « sélective », qui permet de prendre en compte la production conséquente d'articles, d'ouvrages, de travaux universitaires et d'émissions de radio consacrés auxdits ateliers, en France et à l'étranger, de 1964 à 1992.

Enfin, pour ceux qui seraient pris par le démon d'animer un atelier, ils trouveront sans doute matière à s'inspirer au fil des pages qui évoquent les consignes d'écriture de Georges Perec, de l'Oulipo ou de la Petite Fabrique de Littérature.

Un phénomène de société

Mais Claire Boniface nous donne à lire plus qu'un guide. L'ouvrage interroge un phénomène de société, qui se repère dans des paradoxes initiaux : « Duras est une star », la Fureur de lire une institution, mais existent « des rapports accablants sur l'illettrisme en France, considéré comme une pathologie culturelle majeure de notre société », et les professeurs « se plaignent de générations d'enfants arrivant au collège sans savoir lire ». Autre paradoxe, l'atelier d'écriture est une mode « après le yoga et l'analyse transactionnelle », mais cette mode a 25 ans d'âge !

Claire Boniface se défend de traiter explicitement cette suite de paradoxes, pour privilégier l'étude des démarches : qu'en est-il individuellement ? Pourquoi aller dans un atelier d'écriture ?

Les réponses sont bien différentes selon qu'on participe à l'atelier d'Elisabeth Bing, de Jean Ricardou ou d'Aleph. Certaines motivations sont attendues : besoin de s'exprimer, envie de briller aux yeux des autres, découvrir la convivialité ou retrouver une langue à soi. La palette des ateliers permet de trouver son compte, puisque les différentes tendances, longuement exposées par l'auteur en un premier temps, se dessinent à partir de deux principales « écoles » : ici on laisse une place primordiale à la spontanéité, au premier jet d'écriture, là on veut fonder une sorte de pédagogie de l'écriture. Voilà pour le schéma le plus général ; cependant, qu'il s'agisse de cultiver sa singularité, ou de retrouver son identité en faisant tomber son masque, dans l'esprit des animateurs, le but affiché est de produire de l'écrit selon des critères exigeants qui, pour les plus formalistes et les plus théoriciens des ateliers, confinent à inventer des structures d'écriture (cf. Oulipo).

Cette gamme n'est pas née en un jour. C'est comme une histoire des ateliers qui est implicitement présentée. Nous les voyons, au fil du temps, se détacher les uns des autres, le danseur d'un ballet devenant à son tour chorégraphe, autre que son maître ou contre son maître. Nous les voyons évoluer au gré de courants de pensée et mouvements sociaux qui ont fait événement - le féminisme à son apogée -, de manifestations culturelles - le Festival d'Avignon -, ou à la faveur de la prédominance à l'Université de sciences humaines comme la linguistique dans les années 70. Et à lire ainsi l'ouvrage, on trouverait en filigrane une ébauche de tableau social de l'écriture accompagnant les idées-forces du moment et leur donnant forme.

Les ateliers à l'école et à l'université

Sans doute parce que Claire Boniface est inspectrice de l'Education nationale, mais aussi parce qu'il est de nos jours indispensable de percer cette réalité qu'est l'institution scolaire et les rapports multiples à la langue qui s'y instaurent, l'auteur consacre une importante partie aux ateliers installés à l'école et à l'université. Rien d'étonnant a priori à ce que dans ce cadre l'atelier soit moins ludique et psychologique que pédagogique, à condition qu'on admette des distinctions aussi sommaires. Mais si l'on considère que l'enseignant devient souvent apprenti et que bien qu'il « sache déjà beaucoup », avant l'atelier, « il n'a pas fait ce qui ne s'apprend qu'en faisant », on concevra que les places jusque-là assignées au maître et à l'élève se trouvent bouleversées. D'autant que, un écrivain animant souvent ces ateliers, on ne sait plus bien qui induit le légendaire effet Pygmalion parfois visible chez les élèves.

Il ne peut être question de rendre compte, à l'échelle de cet article, des questions posées (l'atelier peut-il être mis au service de l'enseignement du français ? Comment se joue et se vit aussi l'articulation avec la classe de français ? L'écriture constitue-telle un détour efficace vers la lecture ?), non plus que des pistes suivies par l'auteur pour comprendre le phénomène dans sa dimension politico-historique : par exemple, sur quel fond de politique culturelle et à quelle fin les ateliers se sont-ils mis en place dans la décennie 80 ? Claire Boniface aborde la question sans complaisance, sans allégeance.

Bien sûr l'entreprise est encore trop jeune pour qu'on puisse mesurer ses effets sur un éventuel recul de l'échec scolaire, dont la difficulté à lire et à écrire constitue l'un des facteurs. Ce critère évaluateur pourra-t-il être un jour pris en compte quand on sait qu'à l'inverse des enseignants, des familles et des élèves préoccupés par ce gros problème, les écrivains, eux, s'en détournent : on est artiste et on tient légitimement à le rester.

Pourtant, quand les ateliers investissent d'autres territoires, ceux des « publics en difficulté », auxquels Claire Boniface consacre les dernières pages de son livre, l'évaluation existe : dans les stages d'insertion, dans les groupes de chômeurs de longue durée, les ghettos, les prisons et les institutions thérapeutiques, on constate qu'un changement de comportement s'opère, que l'écriture « donne des cartouches contre l'échec » ou qu'elle procède d'« une tentative de se mettre au monde » ; elle est un moyen de sortir du tragique en somme. Dans un recueil produit dans un atelier de Sète non cité, conduit par l'écrivain Jacqueline Merville *, on lit deux premiers vers d'un poème :

« Il ne fallait plus se taire

Rien ne parlera sans me parler ».

Claire Boniface annonce un prolongement de son enquête à propos des origines culturelles et du statut social des ateliers d'écriture, ainsi que de leur rapport aux pratiques de lecture ; on attend la poursuite de ce travail avec intérêt.