La lecture

processus, apprentissage, troubles

par Liliane Sprenger-Charolles
éd. par Pierre Lecocq.
Lille : Presses universitaires, 1992.- 264 p. ; 24 cm. -(Psychologie cognitive ; ISSN 0295-2BX)
ISBN 2-85939-403-6 : 130 F.

Cet ouvrage réunit l'ensemble des conférences présentées lors du colloque européen sur la lecture organisé à l'université de Lille, en mars 1990, à l'initiative de la Société française de psychologie.

La compréhension adulte

Il faudrait peut-être préciser d'emblée que ce livre n'est pas d'un accès facile : il ne s'agit pas d'un ouvrage de vulgarisation. Pourtant, si on veut s'informer sur l'état actuel de la recherche dans le domaine, c'est un livre incontoumable pour les professionnels des différentes disciplines intéressées par la lecture et son acquisition : psychologues, orthophonistes, pédagogues mais également bibliothécaires.

La première partie de l'ouvrage porte sur le lecteur adulte. Sont examinées tout d'abord les activités sensorielles et motrices mises en œuvres par le lecteur voyant (K. O'Regan) et par le lecteur non voyant lisant en braille (P. Mousty,...). On peut, plus particulièrement, signaler que dans le chapitre consacré à la vision, K. O'Regan montre que, contrairement à une idée reçue, l'acuité visuelle fine n'est possible que dans une toute petite zone de la rétine (la fovéa) et, même à l'intérieur de cette zone, cette acuité diminue considérablement du centre à la périphérie. Il souligne également que la qualité de l'information recueillie n'est pas liée à la taille des caractères choisis et soulève les problèmes, tant d'ordre conceptuel que méthodologique, posés par la définition de l'empan visuel.

Deux autres articles sont centrés sur la reconnaissance des mots au cours de la lecture en français (J. Segui) et dans différents systèmes d'écriture (R. Peereman). Dans le second texte, sont présentées des recherches comparatives sur la lecture dans des écritures « logographiques » (encore appelées idéographiques) et phonographiques de type syllabique ou alphabétique. L'objectif de ces études est d'évaluer l'incidence des systèmes d'écriture sur les procédures de lecture.

Des synthèses sur la compréhension (M. Fayol) et sur les dyslexies acquises (H. Kremin) complètent cette partie. On retiendra de la première contribution la présentation très détaillée de différents résultats d'expériences portant sur le rôle du texte et du lecteur dans le processus de compréhension. L'article se termine sur un questionnement à propos de la spécificité de la compréhension en lecture : est-ce qu'on peut ne pas comprendre un texte qu'on lit tout en étant capable de le comprendre à l'oral ? Si certains sujets ont des difficultés spécifiques de compréhension en lecture, peut-on dire alors qu'il s'agit vraiment de problèmes de compréhension ?

Très loin des idées reçues

Le second volet de l'ouvrage est consacré à l'apprentissage de la lecture. Il comporte une synthèse de recherches (P. Lecoq), un article sur l'influence des méthodes d'apprentissage sur l'acquisition de la lecture (A. Content,...), la présentation d'une méthodologie d'évaluation diagnostique (D. Zagar), un texte sur la lecture chez l'enfant sourd (J. Alegria) et une étude de cas d'un enfant dyslexique (M. Snowling,...).

Dans son article de synthèse, Pierre Lecocq insiste sur le rôle de la conscience phonologique et des capacités mnésiques dans l'acquisition de la lecture. Il montre, à partir des résultats de nombreux travaux (dont certains ont été menés dans son propre laboratoire), que la conscience phonologique, c'est-à-dire la capacité à saisir que l'oral est segmenté en unités non signifiantes (syllabes, phonèmes), unités qui sont la base des transcriptions graphiques utilisées par les écritures phonocentrées (de type syllabique ou alphabétique), est étroitement liée à l'apprentissage de la lecture. Il montre en outre que des entraînements portant sur cette capacité ont un effet en retour sur l'apprentissage de la lecture. Pierre Lecocq réexamine également la question des relations entre identification des mots et compréhension et signale que cette dernière dépend très largement de l'automatisation des mécanismes d'identification des mots.

L'article de Content et Leybaert permet quant à lui de voir que l'incidence des méthodes sur l'acquisition de la lecture a souvent été surévaluée : des modalités identiques de traitement de l'information seraient mises en œuvre par tous les enfants, quelles que soient les pédagogies utilisées. En effet, les résultats obtenus en seconde année du primaire par des enfant s ayant appris à lire soit avec une méthode globale soit avec une méthode phonique sont similaires. Ces résultats montrent surtout que la prise en compte des relations graphie-phonie joue un rôle central dans les débuts de l'acquisition de la lecture.

L'importance de l'oral dans l'apprentissage de la lecture ressort également de la recherche présentée par Snowling et Hulme.

Ces auteurs ont examiné les causes possibles des dyslexies, c'est-à-dire des difficultés spécifiques d'apprentissage de la lecture rencontrées par des enfants ne présentant aucun déficit sensoriel, moteur, intellectuel ou socioculturel majeur. Il ressort de leur recherche qu'une des déficiences de base de ces sujets serait dans leur incapacité à effectuer certaines opérations cognitives ayant trait aux aspects sonores du langage. Les problèmes des dyslexies seraient donc bien antérieurs à l'apprentissage de la lecture : ils pourraient remonter à la période où l'enfant acquiert sa langue et en construit les représentations phonologiques caractéristiques.

En conclusion, on peut dire que cet ouvrage nous conduit très loin des idées « reçues », et largement diffusées, sur la lecture et son acquisition. Mais il faut reconnaître que la plupart des travaux publiés en France jusqu'à ces dernières années sur la question n'étaient que des textes d'opinion étayés, au mieux, par quelques anecdotes. Or la recherche exige une confrontation systématique entre idées - ou plutôt hypothèses - et résultats d'observation.