Les bibliothèques universitaires de 1945 à 1975
Chiffres et sources statistiques
Denis Pallier
Au cours des années 1945-1975 s'est dessinée, pour une large part, la physionomie actuelle des bibliothèques universitaires françaises. Cependant, les sources chiffrées accessibles pour cette période sont relativement éparses et fournissent des séries souvent incomplètes. Cet essai de regroupement des données disponibles, qui décrivent l'évolution du public, des moyens et des services des bibliothèques universitaires de 1945 à 1975 est un appel à recherches complémentaires, dans un secteur des bibliothèques françaises peu étudié.
From 1945 to 1975 the actual look of the French university libraries started to take shape. But for that period figured sources are rather scattered and give incomplete series. This article tries to put together available data, describing the evolution of users, means and services of the university libraries from 1945 to 1975. It calls for further investigations in a little studied area of French libraries.
« L'évolution des bibliothèques est un problème qui préoccupe toujours les responsables de ces institutions à cause des mesures à prendre dans le présent pour préparer l'avenir. Il est en effet essentiel de connaître comment la bibliothèque a atteint son état présent pour pouvoir projeter le développement à venir. L'une des bases de ce type de prévision est la statistique. Les bibliothécaires ont compris depuis longtemps que les données statistiques étaient importantes et on en trouvera la preuve dans le fait que certaines institutions disposent de données remontant au siècle passé » 1.
A ces phrases de Jean-Pierre Clavel, on pourrait ajouter que la présence de statistiques traduit une étape d'organisation et de conscience commune des bibliothèques. En France, la publication de statistiques des bibliothèques universitaires est relativement récente. Cependant la question « Comment ces bibliothèques ont-elles atteint leur état présent ? » a été posée à plusieurs reprises. Du début des années 1970 au Rapport Miquel, ce fut une interrogation fréquente. Au regroupement et à la publication régulière de statistiques depuis 1974-1975, s'oppose la relative dispersion des sources antérieures. Après avoir recherché des éléments chiffrés pour retracer l'évolution des bibliothèques universitaires de 1945 à 1975, dans les limites d'un chapitre de l'Histoire des bibliothèques françaises, il a paru utile de regrouper les tableaux chiffrés et les sources identifiées. Ces données sont très certainement à compléter par d'autres recherches, par l'accès à d'autres sources d'archives 2.
Sept séries de tableaux sont proposées : évolution de la population d'usagers potentiels ; évolution de la géographie et des mètres carrés des bibliothèques universitaires ; évolution des moyens financiers ; évolution des effectifs du personnel ; collections et évolution des acquisitions ; évolution des services quantifiables ; sources sur les bibliothèques d'instituts, laboratoires, unités d'enseignement et de recherche.
L'objet de l'étude menée était de retracer le mouvement d'un ensemble de gestion centralisée. Les données ont été regroupées, dans la majorité des cas, pour traduire cette évolution au niveau national. Lorsque des sources statistiques rendent compte de la situation par établissement, les références correspondantes sont données en note. Ont été utilisées essentiellement des statistiques validées par publication ou des documents mis en forme par l'administration centrale des bibliothèques 3.
Evolution de la population d'usagers potentiels
De 1935 à 1940, les effectifs d'étudiants avaient baissé, effet des classes creuses nées entre 1914 et 1919, puis de la guerre. On compte 55 479 étudiants en 1940 contre 87 166 en 1934. Cependant les taux de scolarisation augmentent par rapport à la population scolarisable et l'université a fait place aux étudiantes. Dès 1930, le rapport entre effectifs féminins et masculins est de 1 à 3. Il sera de 1 à 2 en 1946.
Un redressement s'était opéré de 1941 à 1945, où l'on passe de 76 485 à 97 007 étudiants. La période 1945-1975 voit une croissance considérable et constante, qui transforme le monde universitaire français (cf. tableau 1). Cependant plusieurs phases doivent être distinguées. La rentrée de 1946 se caractérise par un bond en avant (123 313 étudiants), mais de 1946 à 1956 le rythme de croissance évoque celui des années 1930. Une révolution intervient à partir de 1956 et s'amplifie dès 1963 4, sous l'effet de l'accroissement des taux de scolarisation, puis du flux démographique. Le rythme de croissance annuelle est alors le plus élevé que la France ait connu (+ 10 à 15 % par an). Il diminuera dans les années suivantes (+ 3 à + 6 % par an de 1970 à 1975).
La croissance des effectifs étudiants a affecté également la province et Paris. Dans la première moitié du XXe siècle, la part de Paris dans la population étudiante avait peu varié (42,3 % en 1907 ; 42,8 % en 1952). On assiste ensuite à une baisse du pourcentage parisien (33,4 % en 1961-1962 ; 28,6 % en 1968-1969), puis, avec la création des universités périphériques, à une remontée : 32,8 % de la population étudiante se trouve en région parisienne en 1972-1973 ; 34,7 % en 1975-1976. Si l'expansion des effectifs s'est accompagnée, à partir de 1960, de créations d'universités à travers toute la France, ce quadrillage n'a pas résorbé les inégalités régionales de la scolarisation. On retrouve en 1975 une France divisée en deux, où la moitié Sud est beaucoup plus scolarisée (15 à 16 %). Avec un taux de scolarisation de 24 %, l'académie de Paris constitue un cas particulier 5.
Dans ces années, la répartition des étudiants entre les différentes disciplines n'a guère répondu aux objectifs de la planification. Jusqu'à une période très récente, les facultés les plus fréquentées ont été celles de droit et de médecine. Les lettres ont pris le pas au milieu des années 1950. A partir de 1956, les sciences semblent emportées par le même mouvement de croissance rapide que les lettres (36 000 étudiants en sciences en 1956, 64 000 en 1960). Mais les flux des années 1960-1970 apporteront des effectifs majoritairement au droit et sciences économiques, aux lettres et à la médecine, avec un triplement et quadruplement des inscriptions (cf. tableau 2).
La croissance du corps enseignant universitaire est aussi spectaculaire que celle des effectifs étudiants (cf. tableau 3). Au total, le public potentiel des bibliothèques universitaires est passé de 126 000 personnes en 1946 à 851 000 en 1975-1976. Qualitativement, le poids de la demande évolue avec le développement de la recherche dans l'université : création des doctorats de 3e cycle à partir de 1954, soutien contractuel du CNRS à des formations de recherches universitaires à partir de 1964, Mission de la recherche créée à l'administration centrale en 1976.
A la demande des enseignants, chercheurs et étudiants viendra s'ajouter une demande difficilement quantifiable pour la période, celle des usagers des programmes de formation continue des universités. Ces formations, prévues par la loi de 1968, sont encouragées dans un cadre d'autofinancement des universités, après la publication de la loi du 16 juillet 1971.
Evolution de la géographie et des mètres carrés
En 1945, la Direction des bibliothèques et de la lecture publique avait reçu la tutelle de vingt-trois bibliothèques universitaires. La bibliothèque de l'université de Paris comportait quatre sections : bibliothèque de la Sorbonne, commune aux facultés de lettres et de sciences, bibliothèque de la faculté de droit, bibliothèque de la faculté de médecine, bibliothèque de la faculté de pharmacie. S'y ajoutaient trois bibliothèques rattachées à l'université depuis le début du siècle : bibliothèque d'Art et d'archéologie (1918), bibliothèque Sainte-Geneviève ( 1930), bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (1934). Dans les départements fonctionnaient quatorze bibliothèques universitaires, créées dans la seconde moitié du XIXe siècle, à Aix-Marseille, Besançon, Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier, Nancy, Poitiers, Rennes et Toulouse. S'y ajoutaient la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (1871) et, hors métropole, la bibliothèque universitaire d'Alger (1887).
En 1975-1976, les bibliothèques interuniversitaires sont au nombre de quarante-sept. Hors Paris, on compte trente-huit bibliothèques (la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, neuf bibliothèques interuniversitaires, dix-neuf bibliothèques centrales d'université, neuf bibliothèques de centres universitaires). Les bibliothèques de Paris sont regroupées alors en trois bibliothèques interuniversitaires (A, B et C, qui se répartiront après 1978 en neuf bibliothèques interuniversitaires et six bibliothèques d'université). Six universités parisiennes disposent déjà d'une BU.
La géographie actuelle des bibliothèques universitaires s'est constituée pour l'essentiel dans cette période. Une étude de Jean Bleton a retracé les grandes phases du changement de visage des bibliothèques universitaires, permis par leur inscription dans les plans d'équipement du ministère de l'Education nationale à partir de 1962 6. En 1976, les bibliothèques universitaires disposent de 585 000 mètres carrés, contre peut-être 100 000 en 1945-1950, d'environ 160 bâtiments, contre 28 en 1945. Le tableau figurant en annexe, établi par la Direction des bibliothèques, énumère les mètres carrés mis en service à partir de 1955.
A partir du budget de 1949, la Direction des bibliothèques avait disposé de crédits (limités) de construction et d'aménagement. Ce tableau ne rend pas compte des rares constructions neuves ouvertes avant 1955 (telle la section de médecine de Lille, en 1954). Il ne fait pas non plus apparaître des opérations d'aménagement ou reconstruction, antérieures ou postérieures à 1955, dont certaines ont été très significatives (bibliothèque centrale de Clermont-Ferrand, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg 7).
Pour la période 1955-1975, deux faits méritent d'être notés. Par comparaison avec les dates de mise en fonctionnement des nouveaux enseignements, il apparaît que, malgré les efforts de la Direction des bibliothèques et des bibliothécaires, la construction des bibliothèques universitaires est, dans plusieurs cas, intervenue avec un retard peu favorable à l'organisation de la fonction documentaire. A cela de multiples raisons : absence de terrains, difficulté d'approbation du plan-masse, modification des programmes initiaux, décalage dans l'ouverture des crédits accordés aux facultés et aux bibliothèques, absence de priorité pour la bibliothèque, à la différence des usages allemand et anglo-saxon. En second lieu, il a été, de toute évidence, plus difficile de construire en région parisienne. De 1955 à 1975, Paris et l'Ile-de-France ne bénéficient que de 20 % des mètres carrés ouverts.
Evolution des moyens financiers
Recettes de fonctionnement
Avant les enquêtes statistiques générales auprès des bibliothèques universitaires (ESGBU) de 1974 et 1975 8, on ne trouve pas d'identification officielle de l'ensemble des recettes ordinaires de fonctionnement des bibliothèques universitaires et de la répartition des dépenses courantes 9. De 1945 à 1975, ces recettes reposent essentiellement sur la subvention de l'Etat, rétablie dès la création de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique en 1945, et sur les droits de bibliothèques, payés par les étudiants parmi les droits universitaires. Viennent en complément des recettes propres aux bibliothèques (notamment les recettes de photocopie, dans les années 1970) et d'éventuelles subventions des collectivités locales.
On peut reconstituer l'évolution de la subvention de l'Etat, d'après les budgets du ministère de l'Education nationale, d'après des dossiers budgétaires versés aux Archives nationales 10, des documents internes à la Direction des bibliothèques 11 et des données rassemblées dans le rapport Les Bibliothèques en France, en 1981 12. Pour rendre compte de l'évolution réelle de cette subvention, on a donné sa valeur en francs courants et sa valeur en francs constants (valeur 1990, suivant un tableau de l'Institut national de la consommation), rapportée au nombre d'étudiants par année universitaire (cf. tableau 4).
L'évolution de la seconde ressource majeure, le droit de bibliothèque versé par les étudiants, a été la suivante :
- Décret du 29 avril 1943 : 200 F
- Décret du 5 octobre 1949 : 600 F (puis six nouveaux francs)
- Arrêté du 28 août 1969 : 15 F - Arrêté du 27 août 1982 : 24 F.
Suivant une enquête de l'Association des bibliothécaires français sur la situation des bibliothèques universitaires de province, qui rassemble des données pour la période 1969-1972, la subvention de l'Etat représentait 81 % des ressources de ces bibliothèques. Les ressources ordinaires des bibliothèques considérées reposaient à 98 % sur la somme de la subvention de l'Etat et des droits d'étudiants 13. Pour l'ensemble des bibliothèques, les ressources apportées par les droits de bibliothèque étaient évaluées à 7,5 millions de francs en 1975, puis à 9,8 millions en 1976, ce qui suppose 20 % d'étudiants exemptés. En 1976, pour l'ensemble des bibliothèques universitaires, subvention d'Etat plus droits d'étudiants constituaient 94 % des recettes 14.
Ces ressources servent à payer les achats de documents, les frais de fonctionnement propres à la bibliothèque (matériel, papeterie, postes et télécommunications, déplacements...), l'entretien des locaux et du matériel. Dans les années 1970, les dépenses incompressibles liées au fonctionnement de locaux plus étendus amputent les crédits documentaires. En province, les dépenses documentaires ne représentent plus que 55 % du total dès 1972 (63 % en 1969) 15.
Premier équipement
Au bénéfice des constructions en cours ou prévues, la Direction des bibliothèques a obtenu, à partir de 1962, des crédits d'équipement, pour l'acquisition du fonds initial de livres et de périodiques notamment. On s'est efforcé de reconstituer l'évolution de ces crédits (cf. tableau 5), en s'appuyant sur des dossiers budgétaires versés aux Archives nationales 16, sur des tableaux internes de la Direction (1965-1975), et sur les données rassemblées dans le rapport Les Bibliothèques en France 17.
D'après les rapports préparatoires au VIe Plan, ces crédits ont été utilisés, en moyenne, à 30 % pour l'équipement en documents et à 70 % pour l'équipement mobilier des mètres carrés mis en service. Ces rapports préconisaient de modifier le principe suivant lequel toute bibliothèque nouvelle bénéficiait d'un crédit global pour le mobilier, le matériel et les livres, égal à 35 % des crédits engagés pour la construction, de manière à dissocier et relever les crédits d'équipement documentaire 18.
Evolution des effectifs du personnel
Les statistiques publiées avant 1974 n'évoquent qu'incidemment et globalement l'évolution des moyens en personnel des bibliothèques universitaires 19 L'effectif de titulaires trouvé en 1945 par la Direction des bibliothèques était inadapté aux besoins des enseignements supérieurs : 198 emplois, toutes catégories confondues, 113 à Paris, 85 dans les départements, dont 22 à Strasbourg. Il n'existait alors dans les bibliothèques universitaires ni personnel administratif, ni personnel ouvrier titulaire.
Pour fournir des jalons dans l'évolution des effectifs (cf. tableaux 6,7, 8,), on a eu recours aux budgets du ministère de l'Education nationale, qui distinguent, de 1945 à 1950, personnel des bibliothèques universitaires, personnel de la Bibliothèque nationale, personnel de la Lecture publique ; au dossier rétrospectif du Bureau chargé de la gestion des personnels de bibliothèques (années 1961, 1964, 1968), aux tableaux d'ancienneté et aux données rassemblées dans le rapport Les Bibliothèques en France, pour les années 1970 et suivantes 20.
Collections et évolution des acquisitions
L'évaluation des collections conservées par les bibliothèques a été une préoccupation de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique, tant dans les enquêtes statistiques auprès des établissements de sa tutelle que lors de l'élaboration des répertoires successifs des bibliothèques 21.
Cependant peu de chiffres globaux ont été avancés en ce qui concerne les collections des bibliothèques universitaires. Dans le cadre de la publication de l'UNESCO Faits et chiffres, ces collections sont évaluées, au titre de l'année 1951, à 13 191 000 volumes 22. Plus réaliste semble le chiffre proposé en 1964 par Paul Poindron : 9 500 000 volumes 23. Il faudra attendre vingt années pour que l'Enquête statistique générale auprès des bibliothèques universitaires de 1976 officialise des statistiques globales : 412 500 mètres linéaires de livres, thèses et mémoires, soit 14,4 millions de volumes environ, et 241 000 mètres linéaires de périodiques 24.
En revanche, les statistiques des acquisitions courantes des bibliothèques universitaires ont fait l'objet de publications. A partir de 1953, la Direction des bibliothèques procure ces statistiques, en soulignant au départ, avec beaucoup de prudence, les différences et incertitudes dans le mode de calcul. Des tableaux détaillés, bibliothèque par bibliothèque, sont fournis, sur un même modèle, pour 1953, 1955 et 1960. Sous réserve du parallélisme des calculs, on peut en tirer les tableaux récapitulatifs suivants (cf. tableaux 9, 10, 11), prolongés par les statistiques d'ensemble des ESGBU 1974 et 1975 25.
De l'ensemble de ces chiffres, il ressort que, de 1954 à 1960, alors que la population universitaire augmentait d'un tiers, les entrées de documents augmentaient de moitié (+ 49 % pour les titres de périodiques, + 47 % pour les monographies). La part des achats, que l'on peut calculer pour les monographies, croissait de 53 à 73 %, niveau assez comparable à celui que l'on constate dans l'ESGBU 1975 (tableau 17 : 69 % de documents entrés par achat). Mais, de 1960 à 1975, tandis que la population d'usagers potentiels quadruplait, les entrées d'ouvrages et de périodiques ont seulement doublé.
Evolution des services quantifiables
Service public
Le souci d'évaluer les services offerts est visible dans le cadre de rapport annuel proposé aux bibliothèques universitaires par la Direction des bibliothèques et de la lecture publique. Les composantes du service public y sont énumérées : horaires d'ouverture, périodes de fermeture, fréquentation de la bibliothèque par les différentes catégories d'usagers, lecture sur place, nombre de volumes communiqués, prêt à domicile, volumes déposés dans les instituts 26. Ces données tiennent en conséquence une grande place dans les statistiques publiées à partir de 1953-1954, pour répondre à la demande exprimée par les directeurs de bibliothèques universitaires aux journées de 1952. Toutefois ne sont retenus que les éléments exploitables. Ils sont présentés avec prudence, parfois sans totaux. Sont soulignés les problèmes d'unification des chiffres, le poids des circonstances (bibliothèques sinistrées) et l'insuffisance générale des locaux. Dans les premiers tableaux statistiques du service public, l'unité est la bibliothèque universitaire. Les sections par discipline ne sont pas identifiées, lorsqu'elles existent. En revanche, les commentaires écrits rendent compte des évolutions notables dans ces sections, principalement le développement de l'activité des sections médicales.
Au-delà des données publiées pour 1953-1960 27, on ne dispose pour les années d'expansion qui vont suivre que de quelques chiffres, issus des statistiques publiées par l'UNESCO. Après 1974, les enquêtes statistiques générales sont d'abord axées sur l'identification des moyens de fonctionnement des bibliothèques universitaires. Les statistiques du service public réapparaissent progressivement. On a signalé les premiers points de comparaison avec les statistiques antérieures (cf. tableaux 12 et 13).
Pendant ces années, les bibliothèques universitaires de Paris sont constamment débordées. Dans les départements, le pourcentage d'étudiants qui fréquentent les bibliothèques universitaires reste stable pendant toute la période (37 %). Il comporte d'importantes variations de bibliothèque à bibliothèque (de 33 à 47 % en 1953-1954).
Lorsque les statistiques seront collectées à nouveau, le pourcentage de référence sera celui des étudiants inscrits au prêt à domicile. Ce pourcentage est évalué à 52 % dans l'ESGBU 1976, à 39 % en 1977, à 50 % en 1980 28
Calculable pour les bibliothèques universitaires des départements, le pourcentage d'enseignants usagers est élevé : 72 % pour les années 1953-1955. Les lecteurs autorisés représentent 10,9 % des usagers en 1953-1954, 8,8 % en 1954-1955, 8,3 % en 1959-1960, avec une évolution diverse selon les lieux. Ces lecteurs non universitaires n'apparaissent à nouveau dans les statistiques publiées qu'en 1983 29 (cf. tableaux 14, 15). Les « autres lecteurs » représentent alors 8,7 % des usagers inscrits.
Dans les années 1950, on constate, à travers les tableaux détaillés par établissements, qu'à de rares exceptions près, les bibliothèques qui se distinguent par leurs statistiques de communication ne se distinguent pas par leur prêt à domicile et réciproquement. Si des bibliothèques comme celles de Lyon, puis Lille, organisent un service de prêt séparé, avec des horaires adaptés, le prêt à domicile n'est la fonction dominante, en 1959-1960, qu'à Grenoble, Lille ou Strasbourg. A Paris, les statistiques de communication de la bibliothèque Sainte-Geneviève pèsent d'un poids considérable (1 260 000 en 1954-1955, 886 000 en 1959-1960).
Entre 1949-1950 et 1953-1954, dans les départements, les communications et le prêt à domicile avaient augmenté respectivement de 24 et 25 % 30. On constate ensuite une forte croissance du prêt, plus marquée dans les départements qu'à Paris. 90 % des communications, 80 % des prêts à domicile sont faits aux étudiants.
Lorsque les enquêtes statistiques seront reprises, après 1974, des chiffres seront publiés, à partir de l'ESGBU 1977 pour le prêt à domicile, à partir de l'ESGBU 1983-1984 31 pour le prêt et la communication (cf. tableau 16). Ils traduisent l'évolution des deux fonctions et la primauté acquise par le prêt à domicile. Mais les chiffres de communication des années 1980 et ceux des années 1950 sont difficilement comparables. Les possibilités de consultation de documents en libre accès ont probablement décuplé entre 1960 et 1975. En 1977 ces documents représentent 15,8 % des collections des bibliothèques universitaires.
Prêt interbibliothéques
Institution créée en 1886, le prêt interuniversitaire repose en 1945 sur de solides traditions. Son développement fera l'objet d'une attention particulière de la Direction des bibliothèques de 1948 à 1955 : suivi statistique, examen aux journées des bibliothèques universitaires de 1949, enquête de 1953 et Instructions du 11 octobre 1954, développement des catalogues collectifs (Catalogue collectif des ouvrages étrangers en 1952, Listes départementales de périodiques et Inventaire permanent des périodiques étrangers en cours en 1953), aide du Service central des prêts 32.
Les statistiques publiées permettent d'identifier quelques phases du développement d'une fonction promise à un bel avenir 33 (cf. tableaux 17 et 18).
La croissance du prêt dans les années 1950 est liée à l'intensification de la recherche et au développement des BU, de plus en plus prêteuses, au bénéfice des bibliothèques municipales ou d'un prêt international encore limité (389 volumes prêtés en 1953-1954, 108 empruntés).
Après une longue interruption du suivi statistique, les chiffres de 1975 traduisent un triple changement. Conséquence du développement de la population universitaire et de la création de jeunes BU, le volume du prêt a augmenté fortement. Mais la situation documentaire s'est inversée, les BU sont devenues emprunteuses. Enfin, la nature des documents a changé. En 1955, seules quelques BU peuvent répondre aux demandes de microfilms ou de photocopies, telle la bibliothèque de la faculté de médecine (3 362 microfilms et articles de périodiques, 2 843 microfilms de thèses et 1 804 photocopies). En 1975, la photocopie est à 70 % un substitut du prêt 34.
On doit souligner cependant des constantes. Le prêt entre bibliothèques en France est avant tout un service universitaire. Les BU asssurent 68 % de ce prêt, 75 % des emprunts en 1962 ; 77 % des prêts, 94 % des emprunts en 1975 35. La part des bibliothèques médicales dans le mouvement du prêt inter, soulignée sinon quantifiée dès les années 1950, est évaluable à 50 % en 1975 36. Des deux bibliothèques qui jouaient un rôle dominant dans le réseau en 1950, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg et bibliothèque de la faculté de médecine, la seconde conserve un poids considérable.
Bibliothèques d'instituts, laboratoires...
Ce point est abordé pour mémoire. Une des caractéristiques de l'organisation documentaire des universités françaises est en effet l'absence de données statistiques fiables décrivant l'ensemble des moyens, collections et services des bibliothèques d'instituts, laboratoires et unités d'enseignement et de recherche 37.
Pour fournir une base de réflexion, des enquêtes nationales ont été tentées par la Direction des bibliothèques, en 1955, puis en 1976 38. Le tableau 19, esquissé d'après les réponses les plus cohérentes, montre le mouvement constaté.
Il faudra attendre l'enquête menée en 1980, sur un échantillon de dix-sept universités, par l'Inspection générale des bibliothèques et l'Inspection générale de l'administration, pour apprécier par extrapolation l'importance du double système documentaire dans l'université française 39.
A titre de synthèse, le tableau 20 esquisse, à partir de quelques-unes des séries de chiffres rassemblées, une comparaison entre l'évolution du public, des services et des moyens des bibliothèques universitaires, au cours de la période considérée. Cependant, cet ensemble doit être mis à son échelle, en soulignant deux faits majeurs. Tout d'abord, les moyens identifiés en 1945 étaient très faibles, et on doit parler sur ces bases, au cours des années 1950, de consolidation plus que de développement. En second lieu, la croissance du public potentiel a été considérable. Si l'on applique ce dénominateur aux effectifs et aux mètres carrés disponibles, on constate un ratio par étudiant comparable en 1955 et en 1975 (cf. tableau 21). L'études des acquisitions, sous cet angle, conduirait à des résultats du même ordre, sans rattrapage par rapport aux modèles étrangers. Dès lors, l'évolution des bibliothèques universitaires semble avoir été essentiellement qualitative : meilleur encadrement, personnels mieux formés, locaux adaptés, diversification et accroissement des services.
Février 1992