Les ludothèques

par Gilles Brougère

Annie Chiarotto

Paris : Editions du Cercle de la librairie, 1991 - 245 p. ; 24 cm. - (Bibliothèques)
ISBN 2-7654-0463-1 : 190 F

Si les chiffres d'Annie Chiarotto sont exacts et l'extrapolation à partir de son échantillon pourvue de sens, il y aurait en France un peu moins de 200 000 adhérents à une ludothèque. Ce nombre n'est plus négligeable, mais permet de comprendre cependant que la ludothèque reste aujourd'hui un équipement discret, mal connu de beaucoup.

Certes la croissance est importante puisque l'on compterait aujourd'hui 850 ludothèques dont 250 ont été créées au cours des deux dernières années. Certaines régions, tout particulièrement l'Ile-de-France, connaissent d'importants rythmes de croissance. Mais il faut aussi savoir que d'autres ludothèques ferment, faute d'avoir su trouver stabilité dans la structure et financement, faute surtout de maintenir l'enthousiasme de bénévoles sur le long cours.

Cependant la ludothèque, apparue en France en 1967, n'est plus aujourd'hui confidentielle, et l'on peut prédire son développement futur. Il est donc temps de disposer des informations encore bien rares. Trois ou quatre ouvrages composent la bibliographie française sur le sujet, heureusement complétée par l'intéressante revue de l'Association des ludothèques françaises (ALF), Ludo. C'est dire combien l'ouvrage d'Annie Chiarotto est important, recensant les informations pratiques, hier encore bien difficiles à obtenir par tous ceux qui sont extérieurs au monde des ludothèques. A la fois outil de réflexion et guide pratique il comble un vide.

Mais que sont les ludothèques ? Malgré l'intitulé de la collection où paraît cet ouvrage - Collection Bibliothèques - il ne faut pas y voir une bibliothèque de jeux et jouets. Au-delà des similitudes en terme de gestion, d'organisation, d'une ludothéconomie calquée en partie sur la bibliothéconomie, il y a loin du livre au jouet, de la bibliothèque à la ludothèque. Et si les deux structures peuvent aujourd'hui être abritées dans une médiathèque, il importe de saisir la spécificité de celle-là.

Objectifs

Paradoxalement, ce qui caractérise la ludothèque c'est la grande diversité des objectifs, des équipements, des fonctionnements et des statuts. Certes, pour une part, cette diversité est liée à la nouveauté et à l'absence d'un cadre institutionnel pour son personnel, mais elle est peut-être plus fondamentalement sa raison d'être. La ludothèque est un lieu où l'on prête des jeux et jouets (dans 91 % des cas), où l'on peut jouer sur place (75 %), où l'on trouve des ateliers (21 %) ou des animations (53 %).

Elle trouve ainsi son sens principal dans les activités ouvertes de prêt et de libre jeu, sans se substituer à une garderie ou un centre de loisir qu'elle se refuse d'être. Mais quel qu'en soit l'intérêt, une ludothèque ne peut se satisfaire de ces fonctions. Elle doit répondre, dans le contexte où elle se trouve, à la question du pourquoi, pourquoi prêter des jouets, pourquoi stimuler le jeu ? Ainsi l'auteur cite par ordre décroissant de choix quatre objectifs principaux : favoriser le jeu et faire reconnaître son importance ; combattre les inégalités sociales en matière de jouets ; aider l'enfant par une éducation du choix ; favoriser l'esprit associatif, les échanges et les rencontres par l'intermédiaire du jeu.

Bien d'autres objectifs sont cités, ce qui fait de chaque projet une expérience particulière. Certains sont attachés à faire de la ludothèque un lieu de rencontre entre générations, ou au moins un moyen de rapprocher enfants et parents. Le jouet et le jeu apparaissent ainsi comme des moyens pour une fin qui est d'une autre nature. D'où la question qu'il est toujours indispensable de se poser : la ludothèque est-elle la solution la mieux adaptée, dans un contexte donné, à cette finalité ?

Statuts

Pour mettre en oeuvre ces différents objectifs, les statuts sont variés, avec des ludothèques associatives, municipales, mais aussi liées à d'autres équipements ou structures, comité d'entreprise, centre social, bibliothèque, hôpital, école. Chaque ludothèque, animée par un personnel d'une grande variété quant au statut et à la formation (63 % de bénévoles, et parmi ceux qui ont une formation spécialisée, 45 % ont celle d'animateur, 17 % celle de bibliothécaire, 12 % celle d'éducateur de jeunes enfants et seuls 26 % ont suivi un stage de formation de ludothécaire) possède un projet spécifique : l'une va orienter ses efforts dans la relation à l'école et la lutte contre l'échec scolaire, l'autre agir pour l'intégration d'enfants handicapés, une autre s'installer en prison pour faciliter les relations des adultes incarcérés avec leurs enfants, ...

Jouets et jeux

C'est cet univers varié que l'ouvrage d'Annie Chiarotto nous permet de découvrir, s'appuyant sur une expérience de terrain et de responsabilité régionale au sein de l'ALF et une recherche universitaire conduite à partir de deux enquêtes par questionnaire. Une première partie, incontournable, évoque rapidement sous divers éclairages le jeu et, plus original, le jouet, matière première de l'activité en ludothèque. Il importe en effet de bien connaître le jouet d'aujourd'hui tant sous ses aspects économiques que psycho-sociaux. On peut cependant ne pas suivre l'auteur dans son évocation d'un instinct ludique ou certaines analyses concernant l'évolution du jouet. Par exemple l'abaissement de l'âge d'utilisation de nombre de jouets mériterait des remarques plus approfondies, d'autant plus que chaque ludothécaire est confronté à ce problème : doit-il aller dans ce sens, souvent conforté par l'attitude des parents, ou favoriser une découverte plus longue dans le temps, trop vite abandonnée du fait de la pression sociale ? Quoiqu'il en soit le jouet apparaît comme le vecteur d'une culture à laquelle l'enfant accède de façon originale par la manipulation ludique.

Au fil des pages le lecteur trouvera également tous les renseignements pratiques pour l'aider à construire un projet de ludothèque. Problèmes de financement et de locaux, de sélection et de gestion sont abordés en détail avec présentation d'outils et adresses ou références pour trouver des informations complémentaires. Arrêtons-nous sur les problèmes de sélection de jouets qui révèlent les choix des ludothécaires. Si certains refusent quelques types de jouets (tels les jouets guerriers) d'autres tentent d'éliminer tout préjugé et d'être à l'écoute des enfants. La classification apparaît également comme complexe malgré l'existence d'outils. Le jouet est un matériel ouvert, qui permet une diversité d'usages de la part de l'enfant, ce qui ne facilite pas la mise en catégories. Mais si la classification permet de ranger, c'est aussi un outil d'analyse qui incite le responsable à aller plus loin dans le conseil prodigué aux adhérents.

Les formations existantes sont présentées, d'autant plus que cet ouvrage paraît à un tournant, au moment où des formations universitaires, auxquelles l'auteur participe activement, sont mises en place. L'ouvrage laisse ainsi entrevoir une dynamique qui devrait à terme modifier profondément le paysage des ludothèques marqué encore fortement aujourd'hui par la faiblesse des moyens et l'importance des bénévoles. Mais il existe déjà dans diverses villes des structures qui disposent des moyens d'une politique ambitieuse de développement de l'activité ludique au sein de la cité.

Quoiqu'il en soit, l'auteur nous rappelle que ce qui donne et continuera à donner un sens à la ludothèque, c'est « le partage du jouet, mais aussi du jeu, d'un espace ludique ». Elle constitue une réponse aux modifications du mode de vie de l'enfant, dans un contexte urbain où l'espace de jeu se fait rare, la fratrie se réduit et les occasions de jeu collectif disparaissent. C'est aussi un moyen d'éducation à la consommation, d'apprentissage et, à travers le prêt, d'une autre relation à l'objet. Ne devons-nous pas admettre que notre société aura de plus en plus besoin de ludothèques ?