L'université cachée
dix ans de débats au Centre Georges Pompidou
Annie Benveniste
Joël Roman
Depuis son ouverture, en 1977, le Centre Georges Pompidou, à Paris, n'a point cessé de susciter d'abondants écrits. Aux ouvrages et articles souvent polémiques parus dans les premières années de fonctionnement de Beaubourg, ont succédé des études beaucoup plus mesurées, les unes globales, les autres ponctuelles, consacrées à telle structure particulière faisant partie de l'institution (le musée, la bibliothèque....), ou à tel type d'activités (les expositions en particulier).
Une décennie de paroles
Abordant un sujet encore inédit, Annie Benveniste et Joël Roman se proposent d'établir, dans l'Université cachée, le bilan, à la fois sociologique et philosophique, de « dix ans de débats au Centre Georges Pompidou », organisés par la Bibliothèque publique d'information (BPI), bien sûr, mais aussi par le Musée national d'art moderne (MNAM), ou encore par le Centre de création industrielle (CCI), sans parler d'autres organismes ou services, plus marginaux peut-être, mais à peine moins actifs dans ce domaine. Rencontres, conférences, colloques, loin de représenter un aspect mineur dans le fonctionnement complexe de Beaubourg, constituent, en réalité, une sorte d'école parallèle ; plus encore, ils jouent « ainsi le rôle d'une immense université de formation permanente », à laquelle fait allusion le titre même de l'ouvrage.
L'histoire immédiate
Cette décennie de paroles, d'idées échangées, confrontées, les auteurs l'envisagent d'abord sous l'angle de l'histoire, fût-elle « immédiate », en distinguant, dans le premier chapitre, trois périodes auxquelles l'évolution des débats peut être réduite. La première (1978-1982) est celle de la mise en place de ce genre de manifestations, à l'initiative de la « Revue parlée », du CCI et de la BPI (et plus particulièrement de sa Salle d'actualité). La seconde période (1982-1985) est marquée par un accroissement des débats, le point culminant - les auteurs parlent à ce sujet d'« explosion » - se situant en 1983 ; multiplicité de rencontres diverses qui « peut être considérée comme l'aboutissement de l'utopie du Centre (...) fondée sur la croyance que la parole publique est créatrice de vérité ». Quant à la troisième période (1985-1989), « elle correspond à un double processus de spécialisation de chaque instance et d'organisation des rencontres qui tendront de plus en plus à prendre la forme de cycles ». Il convenait, en somme, d'ordonner quelque peu le « foisonnement », d'introduire une certaine unité à l'intérieur de la diversité.
L'approche chronologique est complétée, dans un second chapitre, par un examen de nature typologique. Ces réunions, si nombreuses et si variées, qu'elles formes empruntent-elles ?
Certains débats sont précisément plutôt « informels », liés en général à l'actualité culturelle ou politique, tandis qu'une seconde catégorie de rencontres s'apparente davantage à la conférence, visant avant toute chose la transmission des connaissances.
Débat informel, conférence : une distinction à laquelle Annie Benveniste et Joël Roman ne s'arrêtent point, puisqu'ils présentent, très subtilement, relevant de l'une ou de l'autre catégorie, des modèles aussi différents que le « débat-spectacle », consacré à des auteurs français ou étrangers ou encore à certains groupes sociaux représentatifs de « cultures » minoritaires ; le « débat-actualité », emblématique, aux yeux des auteurs, de l'« idéologie qui préside la création de Beaubourg », selon laquelle « l'accès à la culture est conçu comme spontané, sans médiation », tout comme le sont les réunions organisées autour d'un thème présent dans l'air du temps ; le « débat-colloque », qui rend possible un approfondissement des sujets abordés grâce à la répartition des séances au long de « cycles » ; ou encore la conférence ou table-ronde, laquelle « a lieu entre spécialistes qui, à un moment donné, échangent en public le fruit de leur recherches ». Ce sont, bien sûr, les deux dernières catégories citées qui traduisent l'« orientation de plus en plus affirmée du Centre vers une structure para-universi-taire ».
Les acteurs
A cette tendance, les différents acteurs de l'« université cachée » ne sont naturellement pas étrangers. Le troisième chapitre du livre leur est consacré. Annie Benveniste et Joël Roman passent rapidement sur les organisateurs, qu'ils soient véritablement à l'origine des manifestations ou qu'ils agissent en responsables de la structure d'accueil, pour consacrer de plus longs développements aux animateurs. Ces derniers, qui appartiennent souvent au monde du journalisme ou à l'université, peuvent, dans certains cas, être considérés comme de véritables professionnels et ils deviennent alors les « vedettes » des rencontres. D'autres jouent un rôle plus « fonctionnel », sobre et discret.
Très différents les uns des autres apparaissent aussi les intervenants. Les auteurs font ainsi entrer en scène « le maître respecté », « le spécialiste reconnu » et le « spécialiste contesté », la « vedette », le « généraliste discret », sans oublier l'« inspiré jaculatoire » ou encore l'« impétrant ». Le public des débats, enfin, fait l'objet d'une semblable analyse. A. Benveniste et J. Roman sont conscients que ce dernier partenaire eût mérité, à lui seul, une étude complète, tant il est vrai qu'il constitue un véritable « acteur » dans les rencontres du Centre, à la satisfaction duquel se mesure d'ailleurs largement le succès ou l'échec des manifestations.
Un dernier chapitre s'efforce de mettre en lumière la place qu'occupent les rencontres de Beaubourg dans le « champ culturel ». Les débats remplissent, pour les auteurs, trois grandes fonctions : l'une de diffusion (d'un livre nouveau, d'une exposition...) ; la seconde de « légitimation » ou de consécration d'un artiste, d'un écrivain ; la troisième, enfin, de production. Certains débats, en effet, écrivent A. Benveniste et J. Roman, ont une « fonction inaugurale », c'est-à-dire qu'« ils parviennent à imposer un thème, une problématique » qui n'avaient pas encore été envisagés comme tels. Que de semblables surgissements aient trouvé pour cadre le Centre Georges Pompidou et non l'Université, comme cela se fût produit dans d'autres pays, est typique de la situation française et rend d'autant plus indispensable une institution telle que Beaubourg.
Trois annexes complètent les analyses proposées dans le corps de cet ouvrage d'une lecture aussi agréable qu'instructive. Relevons seulement l'existence de quelques « coquilles », un accident typographique survenu aux pages 62 et 92 et une erreur de renvoi, répétée à trois reprises (pages 96, 100 et 105).