La formation

Martine Poulain

Tel était le thème du dernier congrès de l'Association des bibliothécaires français, en juin dernier à Dijon.

Nouveaux statuts, nouvelles formations

Il fut d'abord l'occasion, comme c'est de fait la coutume, d'entendre les représentants des administrations centrales ou le président du Conseil supérieur des bibliothèques faire le point sur leur politique pour les premiers, leurs réflexions pour le second. Faute de place, nous ne reprendrons ici que les points de leurs interventions concernant l'objet du colloque, soit les statuts et la formation.

André Miquel estime que la réforme des statuts et l'évolution des métiers rendent urgente une remise à plat complète des formations. Estimant qu'un conservateur aujourd'hui doit être « un érudit, un administrateur, un technicien », il a regretté que la scolarité à l'ENSB 1 n'ait pas été portée à deux ans. André Miquel a été nommé président d'une commission de réforme des programmes qui doivent répondre aux exigences des nouveaux statuts. Une nouvelle donne devra être aussi prise en compte dans ces réflexions : l'accueil dans le corps de conservateurs de personnels venant d'autres corps équivalents de la fonction publique. Si le Conseil supérieur est favorable à cette ouverture, il s'est déclaré en revanche opposé à ce que ces personnels exercent des fonctions de direction.

Les professions intermédiaires sont aussi en plein bouleversement. André Miquel souhaite qu'il y ait une grande fluidité d'un corps à l'autre à l'intérieur de la filière culturelle des collectivités territoriales ; il souhaite que la formation en deux ans soit effectuée dans le cadre de modules communs avec ces autres professions, dans un cadre universitaire et que l'on favorise ensuite des domaines de spécialisation technique : audiovisuel, information scientifique et technique, etc. Les programmes doivent être harmonisés avec ceux proposés dans des professions voisines (documentalistes, secteur scolaire, voire les enseignements en documentation dans les IUFM 2, etc.). Il y a en ce moment, estime André Miquel, une occasion unique pour de tels rapprochements.

Les formations initiales sont aussi à repenser. « Il est anormal, dit le président du Conseil supérieur avec force, qu'un pays qui dit vouloir amener 80 % d'une tranche d'âge au bac, accepte des agents non qualifiés ». Quant à la formation continue, elle est assurée par des organismes de plus en plus variés, ce qui est le signe d'une situation de déficit. Les répartitions des personnels entre les ministères ne doivent pas empêcher une formation continue pensée en des termes globaux.

Evelyne Pisier, directeur du livre et de la lecture, « n'ignore pas que tout n'est pas réglé » sur la question des statuts. Mais elle pense qu'il ne faut pas minimiser les acquis et par exemple celui de la parité entre fonction publique territoriale et d'Etat. Evelyne Pisier s'est dite attachée à la formation continue, en lien avec, par exemple, les récentes circulaires sur le renouveau du service public. La Direction du livre joue un rôle important dans les propositions de formation continue, mais l'existence des responsables interrégionaux de formation dans les DRAC 3 et la baisse des effectifs de l'Etat, l'oblige à repenser ces offres. « Car, a affirmé Evelyne Pisier, le droit commun, c'est bien maintenant le personnel territorial dans les bibliothèques de ces collectivités ; le personnel d'Etat n'y sera que sur profil et sur projet ».

Baroque

A Jean Gasol 4 revenait d'expliquer et de justifier les aventures d'une négociation interministérielle mouvementée, ayant abouti à des statuts qu'il a qualifiés de « baroques ». Cinq corps en douze grades : si la simplification était recherchée, elle n'est pas vraiment atteinte, a souligné Jean Gasol, prenant les devants d'une critique qu'il connaît parfaitement. Il estime que la revalorisation dont ont bénéficié les conservateurs est excellente (débouché en échelles-lettres et hors-échelle A, corps de conservateur général, etc.) et rappelle que le corps sera ouvert par détachement aux conservateurs du patrimoine et aux enseignants-chercheurs, ce qui « permettra de faire face à une énorme expansion ».

Le corps des bibliothécaires-adjoints spécialisés, le C II, n'était « pas prévu au départ ». Il vient du plan Durafour. Jean Gasol a clairement affirmé que le ministère de l'Education nationale emploiera plus systématiquement des bibliothécaires, soit le nouveau corps A'. Quant au corps des bibliothécaires-adjoints, il est maintenu vivant pour deux raisons : c'est un corps de débouché pour les magasiniers ; il faut qu'un titulaire du bac puisse entrer dans les bibliothèques.

Et Jean Gasol de rappeler que les nouveaux statuts vont permettre d'intégrer les contractuels et de préparer pour demain les personnels nécessaires à deux « formidables moteurs » : la Bibliothèque de France et les bibliothèques universitaires.

Conclusion de Jean Gasol : « Le train statutaire a trop de wagons, certes, mais prenez-le, il y aura des reclassements ».

Premières réflexions

Pour Daniel Renoult, il faut le plus possible intégrer les formations professionnelles aux enseignements supérieurs : les formations strictement professionnelles sont en effet menacées, et dépassées. Le sous-directeur des bibliothèques au ministère de l'Education nationale prévoit les modes de travail suivants pour la refonte des formations entraînée par les nouveaux statuts :
- la formation des conservateurs : le Conseil supérieur des bibliothèques assume donc, en liaison avec les ministères concernés et le corps enseignant de l'ENSB, une réflexion sur ce thème ;
- formation des bibliothécaires (futur corps A') : un document de travail a été élaboré et sera discuté, notamment avec l'Association des bibliothécaires français ;
- formation des bibliothécaires-adjoints spécialisés (futur C II) : une réflexion sur une réforme du CAFB 5 est en cours, confiée à la Commission pédagogique nationale ;
- formation des bibliothécaires-adjoints : Jean Goasguen préside un groupe de travail qui proposera une trame pour une réforme du concours de bibliothécaire-adjoint.

Ces différentes déclarations suscitèrent, on s'en doute, des réactions dans l'assistance. Débat bref où les quelques intervenants, de manière plus ou moins radicale, ont critiqué la réforme statutaire, se sont inquiétés des dispositifs d'intégration des personnels en place dans ces nouveaux corps ou ont cherché à préciser de quelle manière ces nouvelles formations pouvaient être conçues, par exemple en prenant en compte cette notion nouvelle de formation post-recrutement.

Marcel Piquemal, professeur à l'université de Bourgogne, a apporté sa compétence de spécialiste de droit administratif à la journée. La fonction publique française compte aujourd'hui pas moins de 1 800 statuts particuliers et 3 800 corps ! Marcel Piquemal estime que des disparités de plus en plus grandes s'installent entre les différentes administrations, que la catégorie B est « laminée » par les accords Durafour, que la France s'engage dans un processus risqué de « fonctionnalisation des grades », selon la logique de la fonction publique allemande. Il estime enfin que nul intervenant précédent n'a pris en compte une donnée essentielle de la conjoncture : l'Europe. Celle-ci nécessitera des constructions administratives. Plus existera une multiplicité de grades particuliers, plus la concurrence sera forte. Cette donne nouvelle renforce en tout état de cause l'impératif de formations dans le cadre universitaire : lui seul, en effet, autorise le jeu des équivalences.

Un avenir encore flou

Les pré-séminaires et les débats des assemblées plénières ont cherché à explorer les conditions actuelles et à venir des formations : bilan et lacunes de l'existant, questions et incertitudes sur l'avenir. Comment se passeront les formations post-recrutement ? Quels montages entre les différents partenaires : ministères, collectivités territoriales, CNFPT 6 ? Ce dernier doit passer une convention avec l'ENSB qui assurera la formation des conservateurs territoriaux ; mais son représentant, Jean-Louis Pastor, s'est, après d'autres, inquiété des difficultés d'une formation post-recrutement de 18 mois à la charge des collectivités territoriales. Il ne disposait guère d'éléments pour préciser les modalités et lieux de formation des autres personnels. Quels nouveaux lieux, par exemple, pour les formations moyennes ? Conserver les centres régionaux de formation en l'état ? Intégrer ces formations en deux ans dans un DUT ou un DEUST, voire dans les nouveaux IUP 7 ? Qui assurera ces formations ? Doit-on former des généralistes ou des spécialistes ? A quels flux de personnels s'attendre ?

Les flux

François Orivel, directeur de l'Institut de recherche sur l'économie de l'éducation à l'université de Bourgogne, a tenté de cerner l'importance quantitative des professionnels, prévisible pour les années à venir. D'après son état des lieux, 3 000 emplois nouveaux, auxquels il faut ajouter 1 000 départs à la retraite, seront à pourvoir d'ici dix ans, soit un rythme de 400 par an. Il est formé actuellement environ 120 professionnels (tous types confondus) à l'ENSB (cette estimation peut sembler bien optimiste), et 700 candidats, dont la moitié sont déjà en poste, obtiennent un CAFB. Il a donc semblé à François Orivel que l'offre répondait assez bien, en termes quantitatifs, à la demande, même si l'on peut constater des déséquilibres, les bibliothèques municipales manquant, par exemple, de personnel qualifié. N'y aurait-il alors pas de nouveaux flux à prévoir ? Curieux paradoxe au moment où sont créés tous ces nouveaux corps.

Bref, un congrès où les questions, en ces temps d'incertitude et d'évolution, étaient très nettement plus nombreuses que les réponses.

  1. (retour)↑  ENSB : Ecole nationale supérieure des bibliothèques
  2. (retour)↑  IUFM : Institut universitaire de formation des maîtres
  3. (retour)↑  DRAC : Direction régionale des affaires culturelles
  4. (retour)↑  DPES : Directeur des personnels d'enseignement supérieur
  5. (retour)↑  CAFB : Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaires.
  6. (retour)↑  CNFPT : Centre national de la Fonction publique territoriale.
  7. (retour)↑  DUT : Diplôme universitaire de technologie, DEUST : Diplôme d'enseignements universitaires des sciences et techniques, IUP : Institut universitaire professionnalisé.