Éditorial

Les bibliothécaires français seraient-ils avant tout des techniciens ? La rareté de leurs réflexions et prises de position sur les raisons et les objectifs, premiers et ultimes, de la mise à disposition de tous du patrimoine, de la documentation et de l'information, pourrait le laisser croire. Nous parlons « boutique » beaucoup plus souvent qu'éthique, quand bien même l'éthique est, le plus souvent, au fondement de nos engagements et choix professionnels. Nos voisins anglais sont, eux, plus pragmatiques et plus précis. Aux envolées lyriques sur la mort du livre ou la vitalité de l'information, ils préfèrent, semble-t-il, l'examen des faits : où sont les savoirs et les sources d'information ? Quelles sont les attitudes de ceux qui les possèdent ? Mettent-ils en avant le partage ? La rétention ? Dans quels secteurs la transparence ou au contraire l'opacité sont-elles le plus fort ? Quels minimums d'information doit-on exiger dans tel ou tel secteur ?

L'intérêt de la démarche proposée, de l'attitude revendiquée, est de se situer non plus seulement en aval, mais en amont ; non plus seulement comme des professionnels chargés de traiter et d'offrir les documents préexistants, mais aussi déterminant quels types d'informations sont nécessaires et prêtes à demander, voire exiger, que ces dernières soient construites et fournies. L'attitude « offensive » ici proposée est séduisante, dynamique.

L'intérêt est aussi le dépassement d'un certain nombre de formules, consensuelles et rassurantes, certes, mais en cela même incantatoires. Qu'avons-nous dit lorsque nous décrivons les bibliothèques comme des lieux d'éducation, de loisir, d'information, de culture, de recherche ? Autre chose est de déterminer avec plus de précision les besoins des différents publics et la manière dont une offre d'ensemble et des fonds particuliers lui répondent. Enfin, dernier atout d'une telle réflexion, celui de revenir aux questions fondamentales, c'est-à-dire politiques ou civiles. Maurice Line l'affirme ici bien fort : ce ne sont jamais des « erreurs » ou des contingences matérielles qui expliquent réellement la négligence par un pays de ses bibliothèques. C'est au contraire un déni : déni actif, refus que les savoirs et donc les pouvoirs, s'enseignent et se partagent. La négligence serait alors la forme moderne de l'apologie de l'ignorance.

Voilà des questions auxquelles toutes « les nouvelles technologies » - nous leur faisons une large place dans cette livraison du Bulletin -, devront, tout autant que les « vieilles », être confrontées.